Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2006, par BARRIER

L'auteur : BARRIER

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 25/8/2006

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

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Distance : 158.1km

Objectif : Balade

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Le récit

Vendredi 25 août 17h00, je conduis tranquillement vers Chamonix et je dis à ma brune, d’un ton grave « Je n’ai plus envie de prendre le départ !«.
Et la réponse que j’attendais, single comme une gifle « Ah non, pas maintenant … » (ça fait du bien un feu vert comme ça).
Il faut dire que j’em… bien tout le monde avec ULTRA TRAIL DU MONT BLANC depuis mon inscription le 30 novembre 2005. Je ne pense pas avoir jamais autant parler d’une épreuve. Maintenant je regrette mon manque de discrétion, ça m’apprendra si je ne réussis pas.
Pour l’instant il faut positiver, je n’ai pas le trac, à la sortie de ma sieste mes battements étaient de 38pls/mn, donc jusque là tout va bien.

Après avoir déposé nos deux sacs à l’organisation, qui se chargera de les acheminer à Courmayeur en Italie et à Champex en Suisse, nous arrivons sur la place du Triangle de l’Amitié bondée de sportifs en tenue trop légère pour des alpinistes.
Je profite que tout le monde soit bien occupé à écouter les discours pour aller faire une vidange à la Maison des Guides de la Montagne et lire les dernières prévisions météo, qui sont plus optimistes que ces derniers jours. Sur le retour Alain, un vrai montagnard, m’interpelle comme à la piscine de Montataire (responsable à la RATP chercher l’erreur), pour me dire que sa blessure l’empêche de prendre le départ et en me souhaitant bonne route il me donne quelques derniers conseils.
Je me faufile pour rejoindre Jean C. et Philippe en évitant les pointes de bâtons dépassant des sacs à dos (il va falloir rester très vigilant à ce sujet). Ca y est la musique du film C. Colomb retentit, 5, 4, 3, 2, 1 et c’est parti pour 158km avec 8500m de dénivelé. On est tellement compressés qu’on touche à peine le sol et dans la foule bruyante je vois des visages souriants, d’autres inquiets et même des larmes, c’est émouvant une transhumance qui traverse une ville. On sait tous que peu seront à l’appel dimanche.
Rapidement je trottine, mais je mettrais bien 3kms avant de rejoindre mes potes et que je laisserais avant les Houches (alt.1012m-8km). Premier ravitaillement je passe tout debout, je n’ai besoin de rien. Mon camel-bag contient presque 2 litres de boisson au citron et je tète une gorgée obligatoire toute les 5 minutes.
Ravitaillement au Col de Voza (alt.1653m-13km) j’ai du mal à m’isoler pour remplir ma poche à eau en buvant un coca. J’en profite pour enfiler les gants en laine, mettre le bandeau et la lampe frontale.

Après quelques descentes agréables et petites remontées j’arrive aux Contamines (alt.1150m-25km). Il y a là une ambiance de folie la foule compacte ne nous laisse qu’un couloir pour passer. Je tape dans les mains tendues par les enfants, c’est dingue tout ce monde qui est venu nous applaudir. Ces spectateurs iront loin dans la nuit et en altitude pour nous encourager et nous secouer les clarines!
Maintenant on ne rigole plus, tout le monde en file indienne et c’est parti pour le Col du Bonhomme et sa Croix (alt.2479m-38km). Mis à part un groupe d’Italien bruyants, personne ne double ; le rythme est imposé par les plus lents et cela me convient très bien.
Ca y est je bascule, la descente se divise en une multitude de sentiers creux et le troupeau explose dans tous les sens. Je fais gaffe à ma trajectoire et ou je mets les pieds (j’ai promis à Maria que je ne prendrais pas de risque).
A mi-pente le chemin devient meilleur et je me surprends à courir et de plus en plus vite. A tel point que je ne comprend pas pourquoi les autres ne courent pas.
Enfin j’arrive aux Chapieux (alt.1549m-44km) et je regarde ma montre pour la première fois, il 3 heures « wouah » la barrière horaire est a 6 heures.
Constat après 8 heures de course et j’ai gagné 3 heures de mou et suis en 965ème position; le moral est gonflé à bloc. Dans une ambiance rock roll je prend une soupe, un coca, deux Tuc, remplissage du réservoir d’eau et basta c’est reparti.

Je profite de cette route en pente légère pour trottiner et réfléchir « Pourquoi ça va bien ? » « Est-ce que ça va durer ? ». Il faut dire que cette année sportive a été catastrophique : claquage du mollet gauche, arthrose dans les lombaires, hématurie puis 7 semaines avant la course casse d’un gros orteil. De plus, lors de ma première sortie en montagne, il y a 12 jours, je me casse plusieurs fois la figure. Bilan poignet gauche enflé, annulaire droit aussi et luxation de la première cote qui m’empêchera de bien dormir. Retour au gîte avec 3 heures de retard et l’engueulade méritée.

Pour l’instant je suis dans un décor magnifique, le sentier serpente vers le Col de la Seigne (alt.2516m-54km) et les lampes devant moi forment une guirlande jusque dans le ciel étoilé. Tiens une étoile filante …
Très lentement j’arrive là haut, me voilà transalpin et aussi transi de froid. Je préfère rester en tee-shirt manches longues même si le vent se lève. Le jour s’annonce et attention, « hop » récupération in extremis, il y a de la glace sur sol.

Je longe le lac Combal (alt.1970m) lorsque le soleil se met à éclairer le Mont Blanc de Courmayeur et le glacier du Miage. Pas le temps à la dolce vitae il faut regrimper à (alt.2435m-63km) Arête du Mont Favre. Enfin on bascule et je me remets à courir, je sais que j’ai devant moi 10 bornes de descente quasi continue. Je sors l’appareil photo au col Chécrouit pour figer cet instant.

Il n’est pas 9 heures lorsque j’arrive à la base de Courmayeur (alt.1190m-72km) et j’ai encore remonté dans le classement 766ème.
A l’entrée de la salle des sports on me redonne mon sac d’effets personnels. Je m’installe par terre pour me changer complètement, tant pis pour la douche j’ai pas le temps de chercher. Pareillement pour le plat de pâtes, pas le temps de faire la queue, je prendrai deux coca et l’addition. J’empile mon sac de linge sale à la sortie et je constate que j’ai quand même perdu 35mn ici.

Je profite de l’ensoleillement de cette station balnéaire pour faire des photos.
Quelques spectateurs matinaux nous crient « bravi » ou « brava » je ne sais plus. A partir de là le calvaire prévu commence. J’ai horreur des cotes et celle-là particulièrement, à chaque hectomètre le % augmente. J’ai les yeux rivés à la pointe de mes pompes. A chaque virage je me range pour laisser doubler des paquets de coureurs. Je m’en fou, je ne m’occupe pas d’eux, je suis résolu à ne pas me mettre dans le rouge. Mais c’est dur, si je ralenti encore je vais m’arrêter ! Une famille italienne m’encourage et se gare pour me laisser passer mais je ne vais guère plus vite qu’eux.

Refuge Bertone (alt.1989m-77km) le supplice s’arête. Un coca, un pipi et c’est reparti. Tiens au fait, c’est que la 2ème fois que fais un pissou, avec tout ce je bois est-ce bien normal ? Bon j’arrête de me poser des questions physiologiques, pour l’instant tout va bien et il vaut mieux profiter de ce panorama de carte postale avec sur la gauche les Grandes Jorasses et la Dent du Géant.
Le sentier ondule sur le coteau est du Val Ferret, un vrai régal, d’ailleurs je fini ma pellicule ici. Quelques génisses pas farouches s’installent sur l’allée et on reconnaît là les citadins pas très fiers, qui laissent passer leur tour.

Descente rapide au pointage d’Arnuva et je repart aussitôt pour attaquer le plus gros monstre de l’UTMB. Si on lève la tête on ne voit pas la fin de cette déclivité, mais par contre on surprend le ciel se remplir de nuages inquiétants.
Je gravi le Grand Col Ferret (alt.2537m-93km) d’un pas tellement lent, que je me fait doubler par un coureur qui avait décidé d’abandonner. Je me dis, pour me faire oublier mon supplice, qu’il doit y avoir une bonne descente coté Suisse.

Là-haut je pointe en 585ème place, formidable ce n’est pas la peine de doubler pour remonter dans le classement, c’est les abandons enregistrés et mis à jour en permanence, qui en est la cause. Je profite de la générosité d’une secouriste pour remettre de l’eau dans mon sac. J’ai eu de la chance, mon ami Christian (dossard : 630) m’avait pourtant prévenu, l’année dernière il y était resté à sec.
Je prends dans ma poche de cycliste, un biscuit a la figue et remet l’emballage dans l’autre poche. Maintenant je plonge dans ma récompense, je me mets à courir vite et même très vite parfois. En 20 bornes personne ne me double et je ne comprends toujours pas pourquoi les autres marchent ?

Je suis de plus en plus souvent seul et le sol devient glissant avec cette pluie tant redoutée. J’optimise ma trajectoire en cherchant loin devant les balises fluorescentes et avant chaque ravitaillement je me fais une liste des courses, pour ne rien oublier. Il y a en moyenne moins de 2 heures entre chaque ravito, c’est mieux qu’au Grand Raid de la Réunion. Les bénévoles me font l’article sur leurs nombreuses victuailles, mais je ne me laisse pas aller à ma gourmandise naturelle. Faut il rappeler que je suis fils pâtissier et hier encore je faisais 86kilo pour 1.78m. Donc je continue sur les mêmes carburants et je ne m’attarde pas (quelle force de caractère).

C’est à peine pointé dans la forteresse de Champex (alt.1477m-117km) que l’on me donne aussitôt mon sac de change. J’entre dans le chapiteau où je cherche une place pour poser mon sac et manger une soupe. En fait avec le mauvais temps, les familles qui attendent leurs coureurs se sont misent à l’abri. Je réussis, sur 60cm de banc et avec les doigts gelés, à mettre un maillot sec une veste imperméable et à refaire le plein. J’ai un excédant de gâteaux que je donne à mon nouveau copain Lucas (18mois). En sortant je ne pique qu’une friandise sur un étal gargantuesque et gratis (inversement à Paris-Brest- Paris). Il pleut encore, je pose mon handibag dans une remorque et je me refait pointé avant de partir. Tiens, tiens j’ai repris plus de 50 places rien qu’au ravitaillement et je n’ai pas enclenché la phase repos. Formidable, sauf pour les fesses qui sont irritées par la sueur. J’aurais dû me laver et me changer complètement, est ce que je fais marche arrière ? Non, c’est décidé je range cette souffrance dans la case petit bobo et on pense à autre chose !

Ho, qu’est-ce qu’il est beau ce lac et si j’allais me baigner au clair de lune, hein ?
« Non et non, on est pas là pour s’amuser ! » Comme dit Jean Barto.
Tiens au fait, il doit être sur Internet à me surveiller, ainsi que Marie-Hélène mon attaché de presse, Bruno, Alain, Dominiques, Jean Noêl, Saïd, Thierrys , Cyril, Marilyne, Didier, Marie-Louise, Andrée, Stéphane, Yves… Rien que de penser à tous ces amis ça me booste. Ils doivent ce dire qu’il est shooté le Marcus. 468ème c’est hallucinant, si je termine je demande à passer au contrôle antidopage pour savoir ce que mon corps fabrique.

En attendant ce moment rêvé, j'injurie le déluge, les cascades, les torrents, les rochers glissants et les balises qui se cachent. C’est dans cette galère de Bovine (alt.1987m-126km) que je fais connaissance de Vincent G. Je lui parle de Djamel Bahli et lui me raconte les aventures de Mike Horn, du coup on relativise notre peine. Curieusement on avance pareil, doucement en cote et lentement dans les descentes techniques. Par contre,il n’a pas de bâtons et il lui veut rester plus longuement aux refuges. J’en profite pour demander aux Tseppes (alt.1932m-135km) quelle est la position de Jeannot et Philippo.
Ils sont derrière à l’approche de Trient (alt.1300m-132km). Je suis content ils sont encore dans la course et j’ai 1h30 d’avance sur eux. Jean Barto doit les tenir informés de mon escapade puisque Jean C. ne quitte jamais son téléphone.

Là je voudrais accélérer parce que j’ai trop froid, mais Vincent a terriblement mal à son mollet. Moi, mis à part des hallucinations de plus en plus fréquentes, ça va plutôt bien. C’est juste le manque de sommeil qui doit faire ça, je vois une bâtisse au bord du sentier !
On avance toujours mais les arrêts s’allongent. Entre Vallorcine et Argentière du brouillard s’installe. Je crains que Jean C. vienne me taper sur l’épaule comme sur la fin de la Diagonale des Fous. Alors on décide avec mon compagnon de route de rompre notre pacte implicite.
Quelle erreur, dans ma précipitation je loupe une balise et je descend jusqu'à la rivière. Là mon chemin était à contresens ! Je réussi à prendre un sentier rive droite qui me ramène jusqu'au début de la cote de Tine (une vraie saloperie). Je ne pense pas m'être beaucoup rallongé.

Dimanche matin j’entre victorieux dans Chamonix, le peu de gens qui sont là s’arrêtent pour m’applaudir, moi. Il est 7h30 je passe la ligne d’arrivée dans un état de fraîcheur incroyable et je dis aux Dominique(s), qui ce sont dépêchées pour m’accueillir, que je pourrais encore faire 42km.

Jean C. et Philippe arriveront dans plus de 2 heures, je décide de prendre la navette qui m’emmène aux douches. Puis, je veux dormir, mais pas moyen j’ai trop froid. J’ai raté le coche en ne prenant pas le temps de me restaurer juste à l’arrivée. Je fouille dans mon sac à dos pour m’empiffrer les 5 barres restantes. Ca va mieux maintenant, je sens comme un bouillonnement interne et ce n’est pas désagréable. Il y a dans ce gymnase d’autres coureurs qui arrivent à dormir, je les jalouse un peu. Et voilà ma dulcinée qui me rejoint et me complimente comme jamais elle ne l’a fait, merci la vie.


Bilan 36h28 et 350ème / 1151 finishers / 2500 partants, c’est inespéré pour quelqu’un qu’a jamais aimé les cotes. Aujourd’hui je suis sur un petit nuage et je réfléchis à faire une course plus longue et plus dure. En attendant ce jour je retourne finir les travaux dans ma salle à manger.

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