Récit de la course : Semi-Marathon de Marseille 2017, par alpaco

L'auteur : alpaco

La course : Semi-Marathon de Marseille

Date : 19/3/2017

Lieu : Marseille 01 (Bouches-du-Rhône)

Affichage : 1646 vues

Distance : 21.1km

Objectif : Battre un record

7 commentaires

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Seul sur Mars.

Il y a un an presque jour pour jour, j'avais écumé les rues de notre belle capitale du sport, ex-capitale de la culture, tel une meute de loups à moi tout seul. Oui, de même que pour ces labels, je ne suis pas à une exagération près.
Et à une distance de plus de 300 jours et plus de 3000 kilomètres, je suis revenu pour un nouveau massacre. Non pas celui des nombreuses victimes de la supériorité athlétique dont je fis preuve alors, mais... du mien. Piétiné par moi-même, achevé par une soixantaine de coureurs.
En voici le récit.

J'avais retrouvé Pieromarseille, Gilles+ et son beau-papa sur la Canebière à 8h passée. Et hop, nous voilà partis, trottinant, direction le départ, prévu pour 8h45, entre le Mucem et la Joliette. 13000 personnes, ça brasse du monde ! Le temps que Pieromarseille fasse une halte aux vestiaires, nous sirotons un fond d'infusion de verveine-menthe. Le soleil brille, le vent ébouriffe les cheveux de ceux qui en ont, et les collègues ont le sourire. Gilles+ et Pieromarseille meublent les 20 minutes d'attente en aller-retour à bonne allure. Je ne comprends pas trop pourquoi cavaler maintenant alors qu'une heure et demie de course nous attend ; je décide cependant de les suivre, impressionné par leur sérieux. Je les colle jusqu'au moment de l'entrée en sas, sensée nous séparer puisque j'ai pu bénéficier d'un dossard "préférentiel" tandis qu'ils ont dû se contenter d'un modeste "1h35".
Surpris de les découvrir à quelques mètres derrière, je recule pour me mettre "à leur niveau" ;p Nous patientons dans l'ombre de la Major, le moment du départ étant reculé de quelques minutes à cause, je l'apprendrai le lendemain, de gamins alcoolisés et armés de pistolets à plomb. Le speaker fait son boulot le mieux possible pour combler l'attente ; les gambettes se secouent et s'agitent par mouvements intermittents et saccadés dans l'attente de l'instant libérateur. Gilles+ affiche un sourire d'enfant un matin de Noël et Pieromarseille fixe l'horizon de son regard de spartiate affûté. Je joue la décontraction et l'assurance, persuadé de donner le change. J'espère que les prochaines dizaines de minutes vont donner tord à ce pressentiment qui se confirme depuis 2 jours.

Zéro !
Le départ est donné. Ce précieux petit moment de tension relâchée qui marque la limite entre notre quotidien d'adulte et la liberté de l'enfance retrouvée. Sans un regard pour mes deux acolytes, j'accélère d'entrée de jeu pour me tenir en queue du peloton de tête. Mon plan de course ? Habituel : partir le plus vite possible, dans la mesure du raisonnable, puis tenir le mieux possible. La réussite va dépendre de l'équilibre entre mon propre rythme et la vitesse du ou des gars juste devant. Je suis d'autant plus obligé de tenir ce plan que je démarre sans les jambes. J'ai les cuisses raides, les muscles durs comme de la pierre depuis 2 jours pour des raisons que j'ignore. Jusque là, j'étais persuadé de pouvoir égaler, voire même améliorer mon record de 1h23' de l'année précédente. Je n'ai jamais été aussi musclé des guibolles, aussi solide du coeur et des poumons, aussi sûr de ma technique de foulée et de pose du pied. Et pourtant, patatra ! Excès de confiance, excès de courses, je démarre les ischios déjà durcis comme après 3/4 d'heure de course à bon train. Je flippe, je le sens mal, et les pensées négatives qui finiront par avoir ma peau me picotent déjà le moral.
La première ligne droite jusqu'à la Tour est un régal. Le temps est parfait et je sens autour de moi la motivation et la combativité des autres concurrents. Ça tourne sec pour retourner vers République-Colbert. Tout va bien. Je tiens le bon rythme et me cale entre quelques coureurs de mon niveau. J'en passe, je suis doublé ; à ce stade là, pas de souci : chacun fait ses réglages, qui devront tenir jusqu'à la ligne finale. Arrivé à Belsunce, j'essaie de me faire croire que je vais pouvoir conserver ce rythme plus d'une heure encore. Première fissure mentale.

5 km.
Direction Castellane sur la voie du tramway, j'assure la cadence le mieux possible mais devant, ça va vite. Et je (re)commence à expérimenter cette très désagréable sensation : mettre des coups d'accélération, accentuer la longueur de la foulée, tirer sur les muscles, augmenter la cadence, ... pour ne pas perdre de terrain et conserver la même distance, au mieux. Pourtant la foulée du gars devant est parfois décousue, lente ou avachie ; et malgré tout l'écart se creuse. Je profite de mon chant du cygne pour regagner du terrain entre le rond-point de Castellane et celui du Prado. A bonne allure d'ailleurs ; je me permets d'y croire.
Les ravitos sont vite passés, le temps de vider une bouteille d'eau. Quelques batucadas placées le long du parcours redonnent du rythme, du courage.
La ligne droite suivante, jusqu'à l'entrée du parc Borély, marque le début du déclin. Et c'est à partir de ce moment que j'ai commencé à voir encore et encore les dos de ceux qui me dépassaient, lentement, sûrement. Constamment. Pendant une heure à partir de maintenant, je vais devoir m'habituer à ravaler ma fierté. Dure leçon que je n'accepterai que sous la contrainte.
Je m'accroche dans les circonvolutions du parc, terrain de jeu habituel des coureurs marseillais. Mais cette fois, c'est le cimetière de mes illusions. Le moral baisse, les coureurs qui m'accrochent dans les virages me dépassent lentement. Mes cuisses sont finies. Ils ne me restent que mes pieds, mes mollets et mes hanches. C'est déjà bien pour avancer mais insuffisant pour tenir le rythme imposé et pour contenir le flot des adeptes du negative split à venir.

10 km.
Le 10 kil' est passé en 38'53", contre 39'11" l'année dernière. Je devrais me réjouir mais les efforts déployés en vain pour accélérer me font craindre la panne. Les virages et les aller-retour entre le parc et l'Escale Borély n'en finissent pas et, si le vent est clément, le soleil commence à taper dur et j'ai la bouche sèche. J'attendais le dernier virage du rond-point de l'Escale, pour attaquer ferme, accélérer en continue sans rien lâcher, comme je le fais habituellement. Mais si je ne ressens aucune douleur ni crampe, je me retrouve non seulement dans l'incapacité d'accélérer mais également, et pire, dans l'impossibilité de maintenir ma vitesse. Le 15,5km/h tenu toute la première moitié de la course se réduit comme peau de chagrin, inéluctablement. A mon plus grand désespoir. Mais impossible de faire mieux. Je me dis qu'avec de la patience, "ça" va revenir. "Ça" ne reviendra pas.

Vitesses semi
(vitesses déclinantes sur le semi du 19/03)

Mon mental est friable, je le sais. C'est pourquoi je m'arrange d'ordinaire pour que la course soit facile, pour que mes jambes fassent tout le travail sans entamer mes réserves psychologiques. Sans les jambes, c'est au mental qu'il faut avancer et... j'envisage l'abandon pour échapper au déshonneur d'une foulée minable dictée par l'épuisement et la douleur. Vaincu, je trouve des excuses pour ralentir et tolérer de me faire encore et encore dépasser par des bonhommes plus en jambe.
En quittant Bonneveine je vois arriver de l'autre côté le premier du semi, seul. Je cris pour l'encourager. J'admire son effort. Il a au moins 5-10 minutes d'avance. Je me fais doubler à vive allure quelques instants plus tard par une marathonienne kényane, collée de prêt par un grand brun aux bras serrés. Je pense un instant que ça m'énerverait sérieusement mais elle semble en avoir l'habitude.

15 km.
Puis l'enfer de la Corniche, sensée au contraire être le glorieux champ de bataille où j'aurais dû donner à mon corps de coureur la possibilité d'exprimer le résultat de toutes ces heures passées sur le bitume ou la caillasse. J'oublie la chance que j'ai d'être là et je décide de souffrir, de croire que je ne veux plus en être et qu'il est temps que cela se termine. J'ai beau me dire que les 5 kilomètres qui restent peuvent me donner toute la fierté que je recherche pour l'année qui commence, je continue de décélérer malgré moi. J'enrage de me faire dépasser encore et encore par des coureurs que j'estime pouvoir battre mais qui, aujourd'hui, sont mieux préparés et/ou entretiennent un mental plus fort. Je finis par comprendre que mon boulot du jour ne sera pas de me valoriser sur le dos des plus lents mais simplement, déjà, de terminer cette course au maximum de mes limites.
Aujourd'hui, le plus lent, c'est moi.
Je le sais depuis le kilomètre dix : si j'échoue dans ma tactique, je m'expose à me faire exploser par les tenants du negative split. Et c'est aujourd'hui. Maintenant il faut assumer sans chouiner et accepter un échec relatif. Les boules ! Seule la peur de devoir payer le coup aux trois comparses me fait tenir. La radinerie et l'orgueil.
J'avais été content de croiser Gilles+ et Pieromarseille, reconnaissable à sa casquette rouge de kikoureur, en sens inverse, en entamant le bord des plages avant la montée de la Corniche. Pas loin derrière tout de même... Constatant que ma vitesse ne cesse de baisser, je me souviens alors que Gilles+ est un bon marathonien et que Piero' travaille la régularité. Ce qui signifie qu'en dessous d'une certaine vitesse, je ne vais pas tarder à leur contempler le postérieur. A défaut de me construire une légende de semi-marathonien d'exception, je décide de ne pas me faire doubler sur ma distance de prédilection sur bitume par les 2 marathoniens-traileurs. Si je veux continuer à me la jouer, c'est le minimum ;)
La suite continue d'être l'exacte opposée de la course de l'année dernière : je décélère, je perds tous les duels. La fin est minable. Ma Brune, venue m'encourager pour la première fois, m'a trouvé une foulée de petit gibier effrayé. Su-per ! Je me fais doubler encore et encore comme au ralenti. Argh. Alors je me paye le luxe de rétrograder pour checker la main tendue d'un pitchoune. Cette mission là au moins est accomplie et nous sommes trois, avec le père, à avoir la banane. Ça me rappelle l'extraordinaire arrivée du dernier Marseille-Cassis. Je ne peux toujours pas accélérer mais j'essaie au moins d'allonger ma foulée et de faire style "je finis tranquille à mon rythme".

 arrivée sur Mars
"je finis tranquille à mon rythme"

21,1 km.
Fini. Ouf.
Les bénévoles sont adorables et souriants. Ils compensent la tristesse des buffets où sont principalement alignés des produits à découvrir à la consommation. Bof. Ni bière, ni rosé, ni camembert, ni pain, ni tous les bons trucs des trails et courses d'arrière-pays. J'avance comme un zombi tandis que ça crie de toute part qu'il ne faut prendre qu'une bouteille, d'eau plate ou gazeuse au choix, afin de ne léser personne. La réalité d'un monde petit-joueur. Reconnexion.
Gilles+ finit peu après. Le temps d'échanger quelques paroles et un Piero' sanglant arrive. Il semble avoir vécu sa course à l'identique : si la première partie nous a laissé croire que nos RP pouvaient être battus, la seconde partie s'est évertuée à nous faire abandonner nos prétentions initiales. J'avais apprécié de nous sentir sur-motivés à l'unisson ; j'en déduis que nous avons peut-être mal régulé la pression et, donc, soufferts de concert. Puis c'est un Papakipik souriant qui vient nous serrer la main, pas plus entamé que Gilles+. Nous partageons tous les quatre un léger sentiment de déception : chacun avait l'espoir de faire un meilleur temps. Normal, nous sommes des compétiteurs ! Des guerriers !! Seuls Piero' et moi exprimons des regrets appuyés. Et lorsque je dis à Piero' qu'on se paie le luxe d'être déçus à moins d'1h30', il me répond mi amusé mi crispé qu'il vient d'en finir en... 1h29'59" ! Trop lol !
Le soleil brille, l'ambiance est bonne et autour de nous d'autres coureurs partagent la joie de se retrouver, d'être venus, de l'avoir fait. Nous nous séparons avec le sourire en nous promettant des retrouvailles et de nouveaux défis dans des courses à venir. J'utilise, mort de rire, les bâtons qui me servent de jambes pour rentrer. Il est beau le guerrier de l'asphalte ! Je bénis l'ascenseur qui m'élève jusque chez moi, je chéris la douche chaude, je frémis de plaisir sous les draps, allongé pour une courte sieste réparatrice.

Je finis 121e en un peu moins d'1h27', surpris de n'avoir pas été doublé par plus d'une soixantaine de coureurs.

A l'année prochaine !


photo pourrie

(merci à PhotoRunning de s'être assurés que leurs photos soient parfaitement inutilisables.
Apparemment, nous nous contentions de trop peu de qualité.)

7 commentaires

Commentaire de Trixou posté le 21-03-2017 à 09:47:19

Très bon récit tout en introspection, merci !

Commentaire de Papakipik posté le 21-03-2017 à 11:39:24

Souriant mais en souffrance le Papakipik pendant 500m sur la Corniche...ton récit est effectivement très introspectif comme le souligne Trixou, ce qui le rend d'autant plus intéressant à lire. A 30s près au kil', on fait la même course ;-) bonne récup'.

Commentaire de Caracole posté le 21-03-2017 à 13:44:12

Je me souviens d'un semi que j'avais couru pour me tester, et pareil, j'étais partie fatiguée, pas le bon jour. Dans le dur au 2e km.
Enfin il m'a tout de même fallu 30 mn de plus que toi pour le finir!
Pour quelqu'un qui ne s'entraîne pas très rigoureusement, t'envoies pas trop mal!

Commentaire de junoos posté le 21-03-2017 à 19:08:26

superbe récit qui met en évidence la solitude du coureur face au jour sans.

Commentaire de Pieromarseille posté le 21-03-2017 à 19:59:48

J'adore ton récit Alpaco !! Peut-être parce que je souffrais aussi quelques minutes derrière toi, mais ton écriture me touche vraiment. Continues à courir, juste pour le plaisir de t'entendre le raconter après.
Je vote pour sélectionner ce récit dans la prochaine lettre Kikourou !
A bientog !

Commentaire de gilles+ posté le 21-03-2017 à 23:11:50

Il manque juste les snickers et les baies de goji ;-) Non mais sérieusement: whaou quel récit ! Tu as une sacrée plume pour décrire à la perfection ce qu'un jour ou l'autre nous avons tous vécu sur une compèt: un jour off. Allez zou, viens prendre ta revanche le 2 avril au semi de Pertuis qu'on ait le plaisir de te revoir !

Commentaire de Arclusaz posté le 23-03-2017 à 08:59:22

je vais être méchant : qu'est ce que ça fait du bien pour un boulet comme moi de voir que lez zavions peuvent souffrir et ne pas réussir leur course ! merci pour cette sincérité.

Et merci pour cette phrase qui décrit exactement pourquoi nous faisons cela :
"Ce précieux petit moment de tension relâchée qui marque la limite entre notre quotidien d'adulte et la liberté de l'enfance retrouvée".

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