L'auteur : jedaf
La course : Forest Trail 31 - 25 km
Date : 4/2/2017
Lieu : Levignac (Haute-Garonne)
Affichage : 2820 vues
Distance : 25km
Objectif : Terminer
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Je l'ai fait.
La buse, je l'ai vécue. Elle est incontournable, au propre (d'ailleurs plutôt au sale) et au figuré.
Quand on part vers Lévignac sur Save, on ne peut s'empêcher d'éprouver un sentiment d'exaltation comme un sentiment d'angoisse. C'est un trail magnifique et c'est le début février. Il fait nuit, il fait froid (et encore cette année nous avons été épargnés) et il pleut. A part la neige, les coulées de lave et les primaires de quelque parti qu'elles soient, il ne peut y avoir plus compliqué.
Je m'aligne au départ du 25 kilomètres qui dans la réalité s’avère plutôt être un 27 kilomètres et croyez-moi, quand on vous dit pour vous encourager vers la fin "courage, il ne reste plus que 1,7 kilomètres !" vous les trouvez sacrément longs ces kilomètres.
Je suis avec mon fils Nicolas et le compagnon de ma fille Julien. Je suis ce qu'on appelle hermétiquement un V3H autrement dit un PPH (Passera Pas l'Hiver) mais je le finirai ce trail
et pas le dernier.
La salle où nous sommes accueillis est surchauffée, l'ambiance extérieure est géniale, animations, monstres sur échasses, feux de Bengale. On en oublierait presque que la pluie, insidieusement, commence à s'installer. Je ne sais combien de temps nos tenues fluo résisteront à l'eau. Les frontales resplendissent. C'est un bonheur d'être là. Le décompte démarre et c'est le départ. Pas de ruée, pas de précipitation. Les "cadors" ont déjà gagné et les autres savent qu'il faut gérer la course dès maintenant.
Nous commençons à nous mettre en jambes par un parcours dans Lévignac qui nous emmène jusqu'à une montée progressive de plus d'un kilomètre puis au-dessus du village nous pénétrons enfin dans un chemin forestier. Nous voilà chauds. Dans les premiers sentiers cela bouchonne un peu, normal, quand on voit qu'il y a plus de six cents inscrits sur le site. Enfin, nous courons dans les sous bois. Si cela fait de nombreuses années que je cours et que je me suis frotté à quelques modestes trails ( Ronde forestière de Brassac, trail du Cassoulet de Verfeil), je n'avais jamais couru de nuit entièrement à la frontale. Je m'aperçois que l'on éprouve un plaisir particulier. On amène son univers avec soi. Plus tard quand la course se clairsèmera, on se trouvera seul dans des sentes étroites où seuls quelques réflecteurs, de place en place, nous indiqueront la voix tracée. J'ai l’impression de pouvoir ainsi courir éternellement. Rassurez-vous, les organisateurs ont remis de l'ordre dans tout ça. Pas question de prendre du plaisir ; ici, c'est du sérieux, on doit en avoir pour son argent.
Julien galère comme je le fais, moi parce que je suis un diesel qui tourne encore rond mais qui commence à accuser par mal de kilomètres au compteur, lui parce qu'il habite Perpignan. Les courses, il connaît, mais peut-on comparer des parcours dans les vignobles catalans où le risque essentiel est de trébucher sur un caillou et de prendre une insolation et la course à Lévignac où cela s'apparente plus à un bain de boue Thalassothérapique qu'à un rythme de course régulier. "Moi, j'étais à la limite de prendre du plaisir, je croyais qu'on allait courir!" Oui, mais tu as glissé. Nicolas lui semble se promener, il va de l'un à l'autre, il encourage Julien, il s'inquiète de son père, il court devant, repart derrière, prend une vidéo. Cela le change des 80 kilomètres du GRP ou des 70 kilomètres de la SaintéLyon qu'il a faits cette année. Mais sincèrement, pour tous les trois ce n'est que du bonheur.
Les quinze premiers kilomètres sont sublimes, le sol est humide mais ferme, souple sous les semelles. Nous ne sommes que modérément mouillés, nous avons des foulées longues et régulières, pas la moindre sensation de fatigue, une petite allure de 9 kilomètres/heure de moyenne. Le parcours alterne entre de longues lignes droites non piégeuses, où nous pouvons lâcher les chevaux (de trait, les chevaux) et des sentes monotraces dans la forêt, très bien balisées. La course est étalée et nous ne sommes que rarement doublés.
Si mon fils aurait volontiers adopté un rythme supérieur lui permettant de remonter nombre de coureurs, il reste avec nous qui sommes souvent dépassés et avons comme objectif de la finir cette fameuse Forest Trail.
Une question que je soumets à votre haute sagacité : Comment se fait-il que sur une courses de 30 kilomètres, quand vous êtes au 15ème kilomètre vous voyez surgir de l'arrière de nombreux coureurs qui vous doublent aisément, à vive allure, sans paraître le moins du monde fatigués et que vous-même maintenez votre allure de croisière sans fatigue notable ?
Ils auraient dû passer devant bien longtemps avant. D'où sortent-ils?
Tout baigne jusqu'à l'eau. A moment donné le chemin plonge vers le lit asséché d'un ruisseau dans lequel nous courons. Puis nous suivons une sente enfoncée dans des taillis ensuite nous replongeons dans un ruisseau, non asséché celui-ci. Ca y est, nous y voilà ! Et moi qui avais mis des chaussettes neuves.
C'est sans hésitation que nous avançons dans une eau boueuse qui nous monte à mi-jarrets, on sent celle-ci qui pénètre dans nos chaussures, la sensation de froid est vite résorbée mais je ne sais au prix de quelles calories inutilement gaspillées. Allez! un bon coup de barre chocolatée et on compense. Jusqu'à la fameuse buse !
Mondialement connue (ou presque), elle fait paraît-il la jalousie de la Barclay. Nous nous retrouvons engagés dans un cylindre annelé qui traverse sous la route départementale. Je vois mon fils qui disparaît jusqu'à mi-cuisse dans un creux obscur où il a glissé non sans se détruire un tibia contre une roche vicieuse et traîtresse. Vu qu'il mesure 15 bon centimètres de plus que moi, je commence à retenir mon souffle pour une immersion totale, mais tout se passe bien puisque l'ayant vu à l’œuvre, je longe la paroi et, ne glissant pas au flanc de ce cylindre, je réussis à ne me tremper moi-aussi que jusqu'à mi-cuisse. Ce qui ne fait pas une grosse différence, le reste étant détrempé depuis bien longtemps. Julien est derrière moi et n'entendant aucun râle caractérisant les noyades, je présume qu'il s'en est sorti. L'extrémité de la buse nous emmène dans le fossé longeant la route puis à quatre pattes nous grimpons le talus et pouvons prendre pied sur le bitume.
Là, je m'aperçois que j'ai pris dix kilos, le flic floc qui m'accompagne me rappelle mes dernières vacances en Bretagne, les palourdes en moins. Le collant d'hiver est imbibé, j'ai beaucoup de mal à rependre un rythme de course mais j'y parviens.Un photographe en profite pour immortaliser ces images que je ne suis pas sûr de vouloir transmettre à ma descendance. Je ne suis pas certain d'être tout à fait à l'image de ce que les enfants s’imaginent du grand-père. Julien a compris maintenant qu'il ne courait pas dans les sentiers des Corbières et nous repartons vers les bois.
Le raidillon qui nous attend se fera en marchant. Au kilomètre 18 nous atteignons le PC où nous sommes badgés et nous faisons une pause pour nous regrouper. Le préposé aux badges nous apprend que chaque année quelques coureurs n'atteignent pas la barrière horaire de trois heures et qu'il lui restait 50 minutes avant que celle-ci n'entre en vigueur. Nous avons donc parcouru les 18 premiers kilomètres en 2 heures 10 minutes. ce qui constitue une promenade printanière pour Nicolas et un exploit mémorables pour mes vieux jours. Julien qui commençait à accuser le manque d'entraînement repart avec entrain.
Cette dernière partie de 9 kilomètres (la course avais-je dit est qualifiée de 25 mais il semble qu'elle soit plus proche de 27, mais ceci est un calcul plutôt nébuleux) nous semble une formalité. Grave erreur! Il reste deux épreuves terribles comme le montrera la suite de ce récit. Si les premiers kilomètres sont agréables (nonobstant la fatigue musculaire que les bains de boue n'ont pas le moins du monde atténuée) très vite la situation se dégrade. D'abord, dans un virage serré, nous voyons Julien dévisser. En un entrechat pathétique, un grand écart sublime et un pirouette majestueuse il s’encastre proprement dans un innocent buisson qui se croyait bien à l'abri dans sa cache forestière. "J'ai la cheville qui m'a lâché." dit-il. Évidemment cela peut vite se révéler problématique. Bien sûr nous avions des pastilles de cyanure pour achever les blessés mais Julien ne méritait-il pas de survivre? Au fond, bien que Parisien, il a le droit de continuer en souffrant. Finalement il finira la course mais ce ne sera pas sans quelques difficultés.
Tout le reste du trajet se déroule le plus souvent dans des sentes sinueuses totalement glissantes. Chaque pas est un acte de patinage. Tout glisse, nous nous appuyons à chaque arbuste. Les chutes, heureusement sans gravité, sont fréquentes. Nous sommes boueux jusqu'aux oreilles. Parfois, nous rejoignons un chemin qui devient un raidillon où les bénévoles nous réorientent sur un nouveau chemin de traverse. A moment donné le préposé au guidage nous dirige vers un chemin balisé au sommet d'une colline où un vent glacé nous rappelle que nous devrions plutôt somnoler devant une émission de télé réalité plutôt que d'y participer. Ce chemin est un affreux marécage où courir est une utopie. C'est là que nous avons entendu "Plus que 1,7 kilomètre !" La distance est donc aussi relative que le temps einsteinien qui l'est déjà presque autant que les indemnités sénatoriales. Il nous semble que nous courons deux heures. J'ai les cuisses en feu. Enfin nous arrivons à Salvignac tous les trois. Fiers et fatigués. Ultime badgage, puis un sandwich à la saucisse, puis une bonne bière dans un salle comble où tout le monde est boueux. Certains sont en short et en tee shirt, d'autres enveloppés dans une couverture de survie. Il fait chaud.
Nous sommes arrivés respectivement 457, 459 et 460 èmes sur 503. J'ai mis 3 heures 41 minutes à 1 heure 38 du premier, ce qui si vous l'analysez bien, signifie que j'ai couru 1 heures 38 de plus que lui. La classe!
La troisième partie de la course, celle dont on ne parle pas, est celle qui part de la salle des fêtes où vous êtes au chaud, un sandwich à la saucisse dans une main, la bière dans l'autre et d'où vous sortez pour regagner votre véhicule garé à 500 mètres de là. L'horreur! Vous tremblez tant que vos plombages jouent des castagnettes, vos cuisses qui vous brûlent ont du mal à guider votre corps boueux le long du trottoir, vous ne savez plus si vous n'avez pas laissé vos doigts accrochés au gobelet de bière que vous pensez avoir abandonné dans une poubelle à moins que vous l'ayez croqué avec le sandwich.
Tous les trois près de l'auto (heureusement, celle-ci s'ouvre automatiquement quand elle me voit approcher, et encore je craignais que dans l'état où j'étais elle ne me reconnaisse pas) sous la pluie, à 23 heures 30, nous quittons hâtivement nos vêtements détrempés et terreux, les jetons dans un sac poubelle ou en vrac dans le coffre, enfilons, toujours sous la pluie glacée, nos habits secs, nous précipitons dans l’habitacle et attendons de trembler moins, moteur tournant avant de démarrer. "Et encore, me dit mon fils, l'année dernière j'étais seul et il faisait froid ! " Il avait fait le 42 kilomètres. Et il a remis ça cette année. Il faut être fou.
Je n'ai qu’une envie.
Remettre ça l'an prochain.
Je suis fou.
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