L'auteur : forest
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 20/10/2016
Lieu : Saint-Pierre (Réunion)
Affichage : 3283 vues
Distance : 167km
Objectif : Terminer
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Ce texte n’est pas un compte-rendu de course mais une aventure vécue !
Il est des courses dont la simple évocation fait naître le rêve et le fantasme ! La Diagonale des fous à la Réunion est de celle-là
Jeudi 20 octobre 2016, 21h30, le site de la ravine blanche à Saint-Pierre bouillonne de vie, entre l’angoisse d’un énorme défi annoncé et le simple bonheur de se retrouver au milieu de 2500 privilégiés sur l’une des plus grande course d’Ultra au monde. Pour cette première sous les tropiques, Je suis membre de l’équipe GASPAR quatre épices, et Phil, notre pygmalion, m’a fortement suggéré de prendre un départ canon afin d’éviter les bouchons après domaine Vidot . Facile à dire !
C’est dans une ambiance de kermesse, que des milliers de fêlés sont libérés par l’organisation à 22 h pile poil ! Vivre un départ du grand raid sur le front de mer de Saint-Pierre est un privilège rare !
Le corridor humain et hurlant s’étire sur au moins 4 kms et son enthousiasme débordant anesthésie un tant soit peu les méfaits physiques d’un départ évidemment trop rapide ! Les faubourgs de la capitale du sud s’effacent rapidement pour laisser place aux premiers contreforts montagneux. Le chemin s’élève lentement au milieu des cannes à sucre alors que la quasi-totalité des concurrents continue de courir dans la montée .Mais on joue la gagne les mecs, ou quoi ? Passage au domaine Vidot en 1h58 pour 15 kms de grimpette et 660 D+ .Ne cherchez pas c’est mon Record, D’Haene doit être derrière !
500 m après le ravito, les premiers bouchons, Mexico aux heures de pointe ! La bonne blague c’est que tout le monde part plutôt rapidement sur cette course dans l’espoir d’éviter ce dans quoi je viens juste de tomber !! Un single très pentu et très fréquenté .Une succession de ravines à franchir, parfois à quatre pattes ! Beaucoup de gars se font piéger par les barrières horaires à cause de ce passage délicat et long de plusieurs centaines de mètres. Je n’ose à peine imaginer un tel tableau s’il avait plu, comme c’est souvent de coutume sur le début de course. La boue eût été un défi supplémentaire de taille. Pour l’heure nous n’avons droit qu’à une poussière étouffante et opaque, c’est quand même vachement mieux ! Un vrai bal de tuberculeux, toux, crachats, spasmes, sympa la plus belle course du monde !!!! Fort heureusement, après une bonne heure de gros ralentissements, je sors de cette épreuve sans un seul miasme étranger sur mon beau t-shirt offert par Chicaud et sa bande. A moi piton Textor !
Les sentiers s’élargissent, le peloton s’étire, tandis que disparaît enfin cette poussière tenace. A 1600M d’altitude, les champs de canne ont laissé place à la forêt et les premiers contreforts très verdoyants du Volcan. Arrivée à Notre Dame de la Paix à 3h15 du mat pour 5h15 de course et 25 kms ! Compte tenu des bouchons c’est acceptable ! Les sentiers sont agréables et raisonnablement roulants jusqu’à piton sec. La température fraîche reste supportable, le relief correspond à de la moyenne montagne alpine, et la soupe qui nous attend sera chaude et bonne !!! Que demande le peuple. Sachant que la course commence à Cilaos d’après les experts, le troupeau avance en silence, comme une procession vers son lieu de pèlerinage. L’apparition du jour Réunionnais dévoile l’impressionnant précipice de la rivière des remparts que nous longeons depuis quelques kilomètres ! La beauté du grand raid commence à prendre tout son sens !
Piton Textor, enfin ,6h45 du matin, 8h45 de course pour 41 kms et 2620 D+.3H d’avance sur la barrière .Une bonne soupe chaude (plus chaude que bonne d’ailleurs), quelques photos du lever de soleil sur le piton des neiges, suffisent à mon bonheur d’être ici. Au loin, l’Océan indien, le contour des cirques et la charmante atmosphère helvétique de la plaine des cafres surgissent alors que s’évaporent les dernières brumes de l’aube ! Nous attaquons la descente de Mare à boue gonflés à bloc ! La majorité des coureurs redoute cette descente de 10 kms jusqu’au ravitaillement, car généralement cette partie est atrocement boueuse comme son nom l’indique et s’avère être un vrai calvaire . L’organisation faisant néanmoins très bien les choses, cette redoutable section a été asséchée pour notre passage cette année, merci Robert ! (Chicaud, organisateur) Un vrai miracle, pas une seule mare à signaler. Il faut bien reconnaître que nous avons eu du bol car le sentier est quand même bien technique et de nombreux rochers s’érigent au milieu d’un sillon argileux très piégeux pour les chevilles. L’arrivée dans la plaine se fait au milieu d’une haie d’honneur orchestrée par des militaires déchaînés. Cependant Le vrai grand moment de ce premier quart de course reste l’arrivée sur la route du ravito de mare à boue .Des dizaines de spectateurs, des centaines peut-être accueillent les naufragés de la première nuit avec l’enthousiasme d’un car de Japonais débarqué sur le champ de mars un 14 juillet. Je crois avoir perdu quelque degré d’ouïe au milieu de ces encouragements personnalisés ! J’ai enfin compris pourquoi les bâtons étaient interdits sur la Diagonale .C’est pour pouvoir taper dans toutes les mains tendues par les supporters, et elles sont nombreuses.
Arrivé au poste de Mare à Boue à 8h30 pour 10h30 de course et 51 kms. Bon ce n’est pas le rythme d’une SaintéLyon, mais on va s’en contenter ☺ . Le fumet du poulet Boucané et du rougail saucisses envahit directement les narines, l’eau gazeuse coule à flot, la soupe mijote depuis plusieurs heures dans les marmites et je sens bien que ma progression va en prendre un sacré coup ! La qualité de ce ravito me restera gravée. Je vais ripailler ainsi une grosse demi-heure avant de m’arracher à regret de ce lieu où j’aurais pu résider une semaine si Airbnb avait couvert la zone. C’est reparti pour le coteau Kerveguen, et une lonnnnnnngue montée sur sentier technique. Une très légère bruine nous accompagne sur la majeur partie de cette ascension finalement pas très pentue, mais très cassante.Je revoie encore, avec délectation cette fois, ce long serpentin de traileurs avançant comme un seul homme à l’assaut du coteau, à présent noyé dans la brume. Par instants, le cirque de Cilaos se dévoile, le temps d’une photo, histoire aussi de bien prendre conscience des précipices qui nous entourent et de la difficulté à venir pour atteindre le fond du cirque.
J’ai longtemps vénéré la descente de l’Esquino d’Aze, sur le grand raid 6666 à Roquebrun, en France mais je dois bien avouer que la dégringolade qui s’opère du sommet du rempart de Cilaos jusqu’à la Mare à Joseph, en bas, est certainement plus sévère et dangereuse encore. 850 D- en 2 Kms!!!!! Qui dit mieux ? Il parait que l’on peut y courir, mais n’étant ni Réunionnais, ni quadrupède, ni encore alcoolisé à ce moment de la course, je me contente de marcher, et croyez-le bien, ce n’est pas honteux du tout, loin de là ! Une stèle dans la descente vient d’ailleurs rappeler au quidam, la dangerosité du lieu. Toujours est-il que je pointe à Mare à Joseph à 12h28 sous un soleil de feu. Il me faudra une grosse heure encore pour atteindre Cilaos et le point d’assistance du team Gaspar ,200 mètres avant le pointage du ravito officiel .J’y retrouve Philippe, le GO de l’équipe ,2 kinés pour moi tout seul et ma dévouée, pour une assistance personnalisée aux petits oignons ! Une vraie pause physique et psychologique avant d’attaquer le dur, le très dur !
Cilaos : 67 kms ,14h05 au pointage départ (barrière à 17h45) pour 16h05 de course. J’ai pour objectif d’atteindre Marla, premier ilet du cirque de Mafate avant la nuit. Pour l’heure le soleil est au Zénith et le départ de Cilaos s’effectue dans un brasier pour le moins inquiétant, rendant les relances pénibles. Le passage à la cascade de bras rouge ,situé 350 D- plus bas marque le dernier point de baignade officiel , mais surtout le point de départ d’une des plus grosses difficultés du grand raid , le col du Taïbit ,1200 D+ pour 6.5 kms .Le ravitaillement en eau au premier tiers du parcours est salvateur ,de même que la soupe bien salée consommée sans modération à Cilaos . Cette dernière me permet d’éviter la déshydratation, vilain fléau guettant le raideur imprudent !
La suite de la montée n’entre pas dans le champ d’application du mot calvaire, mais s’en rapproche grandement. Seule la mythique pause de la tisane ascenseur, que de sympathiques Réunionnais nous offrent à mi- pente apporte un peu de réconfort ! Il me faudra 1h45, pauses comprises, pour effectuer les 800 D+ en 3.7 kms depuis le ravitaillement du début de sentier, et enfin arriver, cette fois dans une brume épaisse au sommet du Taïbit. Ce col est la porte d’entrée du cirque de Mafate, dernier port avant l’immersion dans l’irréel, le nec plus ultra de l’aventure, la quintessence même de l’Ultra-trail ! Si tu entres dans Mafate, tu en ressors sur tes pattes ou en Hélico !! ☺ ☺ Il faut bien avouer que cette portion de 38 kms dans la galaxie mafataise fascine autant qu’elle effraie. Fidèle à mon petit et modeste objectif, je pointe à Marla à la nuit tombante, à 18h40, pour 20h40 de course et 80 kms. Pas encore la moitié du parcours ! Je me jette sur le poulet grillé, un bol de soupe chaude, et tente de trouver une place pour faire un petit somme de 30 mn sous un chapiteau de fortune. Je n’ai pas sommeil, mais la perspective du sentier scout et de ses précipices, me pousse à engranger de la lucidité et de la force. Hors de question de me retrouver à moitié endormi dans des zones un peu risquées. Je me couche en chien de fusil entre deux coureurs sous une couverture et ferme les yeux une demi-heure. Pas de sommeil, mais un petit repos salvateur. Il commence à faire froid sur Marla et la remise en route de la machine est une vraie torture. La descente vers la rivière de galet sera à peine suffisante pour trouver à nouveau un peu de chaleur. Il faudra d’ailleurs au petit groupe que j’accompagne, quelques minutes pour traverser cette rivière, par des sauts de cabri, de rochers en rochers, en équilibre précaire sur des dalles de fortune. Le grand Raid de la Réunion n’est pas un Ultra-trail roulant, qu’on se le dise !
Notre périple nous emmène à présent vers la plaine des tamarins et le col des bœufs pour un petit 500 D+ de grimpette. Malgré la nuit, je distingue parfaitement la végétation très particulière de ce tronçon. Un chemin de rondins de bois serpente au milieu de tamarins aux formes torturées et biscornues .De petit ponts permettent de traverser sans encombre des zones boueuses ou marécageuses .L’apparition progressive de la brume donne à ce lieu un aspect totalement magique et intrigant. C’est accompagné d’un épais brouillard et d’une pluie fine que nous atteignons le col des bœufs .Ca farine sérieux comme on dit au Péi . Le sommet franchi, Il est 22h environ, nous pouvons attaquer la descente sur la plaine des merles et le sentier scout. Je dois avouer que le balisage est un peu léger à ce moment et dans ce contexte de la course, il faut beaucoup d’attention et je cherche rapidement à me rapprocher d’un groupe déjà constitué de coureurs ! Les sentiers, toujours aussi techniques, sont rendus glissants par la pluie, les prises d’appuis sont précaires et tandis que le relief tend à s’escarper, la prudence est de mise. Voici le sentier scout .22h55 ,24h55 de course et 90 kms. Ce chemin descendant est posé sur une arête bordée de part et d’autre par des gouffres rendus insondables par la nuit . Même si le passage reste assez large, tu sens quand même qu’il vaut mieux éviter la grosse déconnade ici , d’autant que des mains courantes, fixées un peu plus loin sur une paroi , ont pour effet de réveiller les somnolents. En contrebas le grondement du vent dans le feuillage de la canopée, renforce l’aspect impressionnant du lieu . A quelques encablures d’Ilet à Bourse le décor change par contre complètement. Avec la perte d’altitude, l’atmosphère s’est asséchée, le vent est complètement tombé, et, un peu de partout, s’improvisent des bivouacs réparateurs pour les coureurs fatigués. La scène est d’ailleurs surréaliste, dans chaque recoin exploitable, des couvertures de survies brillent aux passages des frontales. Avec du recul, il est beaucoup plus judicieux de piquer un roupillon ici, au chaud, sur un moelleux sol d’aiguilles de pins, que dans le froid de Marla ! Un peu avant Ilet à bourse va commencer une partie fort douloureuse de montées/ descentes dans les bas de Mafate .Passerelles branlantes et montées ultra sèches vont s'enchaîner .Pointage à Ilet à bourse à 1h30 du matin, le samedi 22 pour 27h30 de course et 97 kms. Il me faudra 1h pour faire les 3.5 kms jusqu’à Grand Place-les-bas, pour un petit 150 D+. Trop court pour la gagne, mais suffisant pour la middle class dans laquelle j’évolue !
C’est bien à partir de Grand Place les bas que commence le tronçon le plus terrible du cirque de Mafate ! C’est une portion de 14.5 kms pour 2000m de D+, seulement entrecoupée par la très raide et très dangereuse descente du bloc vers la Rivière de Galets !
Je fais la connaissance d’un sympathique Valaisan de Sion dans la montée de grand place les hauts. Nous échangeons sur nos vies et activités respectives. J’adore ces moments où le temps suspend son vol, le terme n’est pas usurpé. Tu oublies la fatigue, la douleur momentanèment et le lendemain tu ne sais plus si tu as rêvé ou réellement vécu ces instants !
Ces bons moments d’échanges ne vont cependant pas résister à l’étonnant parcours du combattant qui nous attend dans le bloc. Quelle descente mes amis. De vicieux gravillons précipitent au sol une grande partie du peloton. C’est pentu et ça glisse sévère ici. Attention au carton, et surtout aux pierres qui dévalent dès qu’un gars se gaufre dans ce chemin en « S » ultra serrés. C’est avec soulagement que je réussis à rejoindre la rivière de galets, au point le plus bas du cirque ! La suite est la montée de la Roche ancrée jusqu’au hameau de Roche Plate 670 mètres plus haut. Autant que le dénivelé, qui commence quand même à peser dans les chaussettes, c’est surtout la configuration du parcours qui m’a profondément marqué dans cette montée. Le chemin qui semble évident sur le papier ne correspond en rien à la réalité du terrain. Tu prends 100 de D+ par endroits, pour les abandonner quelques centaines de mètres plus loin, c’est épuisant moralement. Le relief Mafatais est si torturé , que la montée sur Roche Plate traverse des ruisseaux ( le même en fait ,mais plusieurs fois) , emprunte des voies très raides ,traverse des ravines escarpées , et incorpore même quelques descentes à flanc de falaise , c’est d’une beauté et d’une difficulté peu courantes .
Roche Plate les amis, il est 6h35 du mat samedi 22, le jour s’est levé dans l’ascension, pour 32h36 de course et 108 kms ! J’essaie de gratter au stand Gaspar, une pompot’ fraise qui me fait fantasmer depuis maintenant plusieurs heures. Et bien ils n’en ont plus les mufles, tout est parti pour les blaireaux passés durant la nuit !!!!!!! ☺ Tant pis, après une bonne rigolade avec les bénévoles du team je vais me réconforter d’une soupe chaude sur le ravito officiel. On est bien à Roche Plate, peut-être le plus beau coin de la course selon moi………… à condition bien-sûr de ne pas lever les yeux en direction de la suite des réjouissances ☺ ! Vous connaissez le rempart du Maïdo ? Après une pause évidemment un peu longue je décide de repartir à l’assaut de la bête avant l’apparition des grosses chaleurs. Ce point me paraît fondamental .Je pique une bouteille d’eau gazeuse au stand et m’en vais affronter mes démons. Il y a 200 D+ pour atteindre la brèche du Maïdo, c’est-à-dire le vrai début du combat physique, et ensuite 800 D+ jusqu’au sommet. Le Maïdo est le juge de paix du Grand Raid de la Réunion. La difficulté de la montée vaut tout autant que la beauté du paysage, à couper le peu de souffle qu’il reste aux grimpeurs, souvent groggys par la pente. Bien sûr je souffre dans cette ascension, mais la fraîcheur relative du matin et les pauses photographiques que je m’accorde, atténuent grandement la difficulté du challenge. 25% ,50% ,66%, de petits génies ont eu l’idée d’indiquer la progression du pêcheur tout au long de son chemin de croix. Le sentier est envahi de dizaines de supporters enthousiastes, tandis qu’un hélico tournoie au-dessus de nos têtes pour des images surement somptueuses. Un ami fustigeait il y a quelque semaine de cela le barnum trop important selon lui, que représentaient ces courses mythiques. Et bien mon pote, je te donne tort aujourd’hui, c’est magique, tripant, et la décence m’impose de m’arrêter la ………… ☺
Que dire des derniers hectomètres effectués au milieu d’une marée humaine, des photographes, des supporters, ces mains qui se tendent, les tapes amicales dans le dos ………..putain j’en pleurerais !
Pointage à Maido Tête Dure, il est 10h du matin, 36 h de course et 115 kms, hourra, le plus dur est fait !!!!!!!!??????
Dans mon esprit, les 13 bornes de descente vers sans-souci s’effectuent tout en relâchement, sur un tapis rouge moelleux, déployé en notre Honneur par l’orga, agrémenté de quelques stands de dégustation de Rhum arrangé. NON bien sûr ! Avec l’expérience j’aurais dû me douter du loup. Nous longeons le rempart du Maïdo sur plusieurs kms (d’ailleurs le gouffre n’est pas très loin), dans un enchaînement de petites montées /descentes, rendant la relance des plus pénibles . J’enrage, de ne pas pouvoir me laisser glisser dans l’agréable pente, comme l’indique clairement le topo officiel, pour filer rejoindre ma douce à sans souci. R Chicaud et D Boullé, si je vous croise …………. ☺
Le périple jusqu’au ravitaillement de sans souci représente une perte de 1700m d’altitude, et il me faudra 2h45 pour atteindre le 129eme kilomètre dans la fournaise des bas de la Réunion ! Il est 13h30 ,39h30 de course, 129 kms .Je retrouve avec une grande joie le team Gaspar, Philippe et Dorothée (dit “Dodo”, un bon présage !) . Un des deux partage ma vie ☺
Pour la première fois en 10 ans d’ultra-trail, je change de chaussettes en cours de course !!!! J’en ignore encore la raison, d’autant que je ne me faisais d’aucune formalité le fait de voir mes pieds ravagés bien drapés dans leur linceul crotteux !
Encore 38 kms de course, je dois repartir dare dare sous un cagnard de fou, je n’ai pas très envie de me palucher une troisième nuit en course. Et oui, au fait, hormis la petite pause yeux fermés de 30 mn à Marla pas de dodo depuis le départ, mais de bonnes pauses casse-croûtes aux ravitos quand-même.
Dans la descente sur la rivière de galets je vais faire la plus belle rencontre de mon aventure . Willy, Réunionnais, un pur, un vrai, avec lequel je vais partager 12 heures de course. Mon nouveau compagnon me guide dans le dédale de la rivière de galets, très large estuaire, que nous traversons avec précaution, sous l’œil inquisiteur d’un photographe à l'affût de la chute dans l’eau. La rivière se traverse à guée en sautant de rochers en rochers !
Il fait à présent atrocement chaud et à cet instant je dois avouer avoir eu peur de la déshydratation . Sous l’œil étonné de locaux je me dépoile dès qu’ une citerne ou un point d’eau croise mon chemin , trempant ainsi casquette et t-shirt crado, pour un rafraîchissement vital. La montée vers le chemin Ratineau reste une sacrée épreuve sous le soleil agressif de l’ile Bourbon. Il y a quasiment 700 D+ sur cette portion traversant à nouveau les champs de canne ! Des ravitos sauvages s’improvisent de partout ! Vraiment la gentillesse et le dévouement de la population Réunionnaise ne sont pas usurpés, merci à tous !
Nous effectuons le pointage du Ratineau à 16h50 après 42h50 de course et 138 kms .Mon compère doit s’en douter mais j’ignore tout de l’épreuve de 6 kms qui va suivre dans la Kalla. C’est un véritable enfer, de rochers, de racines, de ravines et je ne sais trop quoi d’autre ! Un bordel sans nom ! C’est quasiment de l’escalade à de nombreux endroits et les branches nous servent d’appui pour éviter les chutes, une section qui restera gravée dans les anales …… les annales aussi ! Dès qu’il le peut, Willy relance et je m’accroche à ses basques comme un morpion, trop heureux en fin de compte (c’était moins évident dans le feu de l’action) d’être boosté par une tête brûlée .C’est qu’il en a de l’énergie l’animal, motivé par une perspective d’arrivée avant minuit ! .C’est assez entamé que nous déboulons à l’école de la possession , en ce jour de kermesse ………heuuuuu Ha non c’est la foule venue voir le grand raid , impressionnant ! La Possession ,19h pétante ,45 h de course et 146 kms.
Je vais faire une autre rencontre capitale en ce lieu vénéré. Au détour de la table de ravitaillement je tombe sur une rosette finement tranchée, pas trop grasse, à faire pâlir les plus fins palais lyonnais ! Une tuerie, je mange un quart de porc arrosé d’un litre de gazeuse; j’ai un peu honte devant le regard effaré des bénévoles.
Je savais qu’en arrivant dans ces zones horaires -ci, nous allions échapper à la punition collective subie par une grande partie du peloton dans le chemin des Anglais, arpenté sous la chaleur d’un après midi estival. J’ai beaucoup entendu parler de ce foutu chemin et de sa réputation. De grosses dalles noires érodées posées de façon anarchique comme une rue pavée défoncée, du grand n’importe quoi. Je comprends complètement le désespoir des esclaves humiliés, violentés et obligés de construire ce long serpentin dans la montagne... mais enfin! il faut jointer les mecs, sinon c’est impraticable ! ☺ ☺
Bref, la torture pour les pieds et les chevilles est grande. Pas un appui ne semble naturel, le pas est forcé et les quadris dégustent particulièrement .Mon acolyte semble souffrir dans le long tronçon pavé de 6 kms .Willy, qui me parle créole depuis plusieurs heures, alors que j’échange avec lui dans notre langue de Molière, n’apprécie que très peu ce beau cadeau du patrimoine touristique local ! Sa gouaille en verve jusqu'ici, a disparu dans les Anglais. Nous atteignons la grande chaloupe à 21h50, pour 47h50 de course et 153 kms. C’est mort pour l’arrivée avant minuit, tant pis, mes Dodos attendront .Il reste encore 850 D+ pour atteindre le Colorado, et dans l’état de forme du moment le challenge est de taille .Figurez-vous que cette maudite section pavée, oui, celle qui ralentit considérablement la progression des naufragés que nous sommes à présent, continue sur plusieurs kilomètres après le pointage de grande chaloupe. C’est une première sur ce raid, mais je prends un gros coup au moral, je pensais en avoir terminé avec cet enfer pavé. 7 kms de terrain miné, et relativement abrupte . Calé dans les pas d’une raideuse, les yeux rivés au sol, je progresse comme un zombi .Pas un mot ne vient troubler l’écrasant silence de mort qui règne sur cette portion infernale. Pour la première fois depuis que je cours sur ces distances je vais connaître les fameuses hallucinations dues au manque de sommeil. Chaque pavé se transforme en autant de toiles peintes et j’ai beau écarquiller les yeux, me gifler même, cet étonnant voyage muséographique ne s’estompe pas. Tous ces dessins sont signés de ma propre mère, je distingue parfaitement sa griffe .J’en profite d’ailleurs pour lui tirer un coup de chapeau pour ce talent encore inconnu dans la famille ! Bon il faut vraiment que cette course se termine. En même temps que l’aspérité du terrain s’améliore, la lucidité semble revenir petit à petit. Le dernier coup de rein jusqu’à Colorado demande beaucoup d’énergie et d’abnégation, d’autant que certaines portions raides et poussiéreuses, imposent des déplacements à quatre prises ! Il est 00h45, ce dimanche 23 lorsque mon compagnon et moi atteignons le pointage de Colorado, dernier port avant la terre promise. 50h45 de course pour 162 kms. Je m’efforce, par d’incessantes relances, de donner un nouveau souffle à notre duo de choc dans cette descente, absolument interminable et mal balisée jusqu’au stade de la Redoute. Je perds un peu patience dans cette portion, trop technique pour un modeste coureur après 160 kms. La vue sur Saint Denis, illuminé de mille feux, est magnifique et nos amis de l’organisation n’ont pas oublié de prolonger ce plaisir par une très longue, et très lente descente. Je ne trouve plus le balisage dans cette forêt épaisse et laisse passer en éclaireur mon pote d’infortune .A bout de nerfs, je crie au complot et à la machination, persuadé encore aujourd’hui que nous avons perdu 30 minutes au moins dans cette forêt amazonienne de l'Océan indien, et son dédale de chemins !………….On est con quand on est fatigué !
Soudain, au détour d’un chaos de roches et d’arbres, il nous apparaît, magnifique, grandiose, le Maracaña de la Réunion, plus beau stade du monde, celui qui procure toutes les joies, les émotions les plus belles. Dorothée est là, fidèle à ce rendez-vous que l’on semblait s’être donné secrètement depuis des années . Elle m’accompagne sur cette voie royale, tandis que mon Willy a filé vers son destin. A mon tour je vais chercher mon dû, ces émotions et cette délivrance qui mijotent en moi, comme un bon Cari Réunionnais, depuis des dizaines d’heures maintenant. Il n’y a plus grand monde à cette heure de la nuit ,mais qu’importe , je savoure ce tour de stade ,rempli d’acides lactiques ,mais surtout d’une joie immense de franchir la ligne d’arrivée de La Diagonale des fous après 52h15 d’une aventure sans pareil .
Willy et mes Dodos (ma femme et la fameuse bière locale donc) m’accueillent dans l’intimité tardive de la Redoute, il est 2h15 du matin ,167 kms au compteur …………….
YM dossard 366 ,52h14
3 commentaires
Commentaire de coureurenscene03 posté le 08-11-2016 à 05:31:27
Merci forest,
Ton CR synthétise très bien ce que j'ai également vécu de cette Diagonale 2016...c'est vraiment une grande aventure humaine...
J'espère que tu reviendras pour découvrir Mafate en plein jour et si possible refaire la descente de Grand Place les hauts vers la Roche Ancrée ainsi que la remontée vers le Maïdo....mais en mode rando cette fois...juste une petite précision pour la montée au Ti Col c'est 25%, 50% et 75%..
La lecture de ton CR m'a de nouveau replongé quelques jours en arrière et rien pour cela...je te félicite...
Commentaire de Bacchus posté le 09-11-2016 à 22:07:48
Bravo, beau récit
très belle gestion de course
Commentaire de lub001 posté le 15-11-2016 à 14:57:28
Beau récit et bravo pour ta performance
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