L'auteur : poucet
La course : L'Infernal Trail des Vosges - 200 km
Date : 9/9/2016
Lieu : St Nabord (Vosges)
Affichage : 4538 vues
Distance : 200km
Objectif : Objectif majeur
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Raconter 200 bornes et 11000 D+ … Pfff, voilà un challenge qui me parait gigantesque. Au risque de cramer le clavier avant la deuxième page, il ne va pas falloir s’enflammer et aborder ce récit prudemment, en toute humilité, étape par étape, en pensant à bien s’hydrater et à se ravitailler régulièrement. Un peu comme si on courrait le truc quoi …
L’histoire débute donc dans la nuit de Vendredi. Je me réveille naturellement juste avant la sonnerie, il est 2h30. Il faut être un peu bargeot pour sortir de la couette à cette heure-là … J’englouti un bol de SportDej ( le nouveau parfum Caramel Beurre salé, un délice ), j’enfile la tenue préparée la veille et en route pour le stade des Perrey. A peine dix minutes pour rejoindre le village depuis notre gite (La Coquette, très bien, sandrine et Gaël les proprio sont bénévoles et couureurs sur l'Infernal), je me gare sans problème sur la parking le plus proche … Normal, il n’y a là que les coureurs du 200 (149 partants je crois) et les bénévoles.
La température est douce, le ciel tout étoilé, les prévisions météo sont excellentes pour tout le WE … Je me suis mis en tête que le profil de la course était taillé pour moi, je sais pouvoir compter sur le soutient de Danièle, Estelle et Thierry tout au long du parcours. Bref, je surfe sur un océan d’ondes positives, le mental est blindé, cet Infernal se présente sous les meilleurs auspices.
Aucune attente, aucun stress au départ de l’Infernal 200. En quelques minutes j’ai déposé mes sacs relais et fait contrôler mon sac de course. A vrai dire ce sont les contrôleurs me paraissent les plus fébriles. Mais souriants, comme tous les bénévoles rencontrés sur la course. Je suis l’un des premiers à rentrer dans l’arène … Je pose mon cul contre une barrière, je ferme les yeux et attend patiemment que l’horloge avance …
Au niveau équipement je pars en court bien sûr, avec une paire de manchettes et un buff. La casquette Kikourou dans le sac en attendant les premiers rayons du soleil. Le chargeur de ma Ferei toute neuve étant (déjà) en panne, je suis équipé d’une Petzl Nao prêtée par les copains du THK, avec une batterie de rechange (plus une autre dans le sac relais du Rouge Gazon). Mon vieux sac Endurance de chez Raidlight (malgré les innovations régulières de tous les équipementiers, Raidlight compris,, je n’ai toujours rien trouvé de mieux ...) avec 1,2 litre dans la poche a eau (mélange malto + Isostar fresh) et un bidon vide à la ceinture. Quelques gels et barres dans les poches, des pastilles de Sportenine, ma fragile cheville gauche strappée préventivement et les Kalenji XTR aux pieds … après la désastreuse expérience du GR666 les bâtons sont restés à la maison. Sans regrets.
Le speakeur interview quelques-uns des favoris, les retardataires rejoignent le Sas, puis c’est l’heure du briefing. L’ambiance monte d’un cran, un superbe feu d’artifice illumine le ciel vosgien …
Un petit tour de stade, on traverse le village désert, le rythme est tranquille, je suis calé derrière Lionel Viry et Bruno Simon, les copains vosgiens qui courent à domicile. Nous apprendrons plus tard que 3 excités avaient déjà pris la poudre d’escampette, provoquant sans le savoir une belle pagaille un peu plus tard … L’histoire ne dit pas ce qu’il est advenu de ces 3-là. Sont-ils arrivés au bout ???
Mais revenons à notre peloton. Voici déjà le premier petit raidillon, il faut se ranger dans la file, les premiers halètements font échos aux premiers cliquetis des bâtons. On s’enfonce dans la nuit, Lionel et Bruno s’éloignent, un maillot jaune avec le dossard 53 à la ceinture me double, un certain Eric, interviewé un peu plus tôt par le speaker …
Ce début de course est très agréable, essentiellement sur single, le balisage est limpide, je progresse dans un petit groupe dont l’allure me convient parfaitement …. A la faveur d’un nouveau raidillon je me retrouve devant le troupeau et débouche sur une sorte de plateforme ou je ne distingue aucune balise. Nous sommes bientôt une vingtaine a farfouiller de tous côtés à la recherche de la bonne direction … Un gars trouve enfin une flèche violette, pas très bien placée.
On grimpe sur un rocher, tourne autour pour revenir sur la plateforme ou l’on était planté et on embraie dans l’autre sens … Impression bizarre, même si les balises violettes sont bien visibles. Je tente la question qui tue à voix haute, mi taquin … "sommes-nous sur la bonne trace … ???" . Silence radio dans le peloton, c’est pas l’heure de faire de l’esprit, on poursuit donc en silence. Pourquoi s’inquiéter puisque le balisage est à nouveau nickel. Pourquoi ??? J’ai déjà connu une expérience de ce genre du côté de Gerardmer, mais c’était en fin de course et j’étais seul …
Après une heure et demi de course, je commence à songer au premier ravitaillement, situé théoriquement au kilomètre 21 … C’est alors qu’un téléphone retentit dans la nuit. Le p’tit jeune devant moi palabre un moment, ralentit, stoppe, se retourne et nous annonce deconfit que nous sommes sur la trace du 30 km !!! Consternation dans les rangs. On a 200 bornes à faire et on est déjà planté après une heure et demie, voilà une affaire bien mal engagée ….
En attendant nous rebroussons chemin grouper, en essayant de repérer les balises qui cette fois sont à contre sens. Pas d’énervement toutefois, le groupe reste solidaire. Quelques minutes plus tard nous tombons sur une traversée de route ou plusieurs véhicules nous attendent. Les bénévoles aussi désemparés que nous nous invitent à monter … On retourne au stade. Glups, j’hésite à grimper, me fais confirmer qu’il n’y aura pas de pénalité (la aussi j’ai déjà donné par le passé … ). Drôle d’ambiance …
Nous voilà donc de retour à St Nabord. J’hallucine, il doit y avoir une bonne dizaine de véhicules remplis de coureurs … On relève nos numéros de dossards et on nous explique qu’on nous ramène sur le bon parcours, une dizaine de kilomètres plus loin. Je retrouve le sourire dans la fourgonnette, content de ne pas être tout seul dans la galère et soulagé de pouvoir reprendre le fil de la course … En fait, hormis les trois excités du début, les 60 premiers sont là. Un début de course comme ça, c’est vraiment inédit. Je positive, lance deux trois vannes, ça rigole, c’est cool.
Bon, dans cette affaire nous aurons quand même loupé la traversée de la Moselle sur le fameux pont flottant monté spécialement pour l'occasion … Stéphane Hayraire nous en avait pourtant parlé pendant le briefing, on devait trouver ce pont dix minutes après le départ, un détail qui aurait du nous alerter … Et pour le pont, il faudra donc revenir !!!
Les véhicules s'arrêtent en plein milieu de la forêt. Un flot de frontales dévale face à nous. Le temps d'un petit pipi et me revoilà replongé dans le fil de l'histoire. Dans le bon sens. Je retrouve rapidement un bon tempo, mais il faut faire preuve de souplesse pour se glisser entre les grappes de coureurs moins rapides ou bien pour déborder le troupeau par les côtés. Je reconnais la silhouette de Sebastien Mackow, un solide gaillard qui d'habitude est toujours devant moi et qui pour le coup a l'air d'avoir du mal a remettre en route. Un peu plus loin le maillot jaune avec le dossard n°53 me double a nouveau, facile …
Mon chrono a largement dépassé les 3h de course lorsque le jour pointe. J'aurais déjà du passer au premier ravitaillement depuis longtemps. C'est Lionel qui apparaît maintenant dans mon champ de vision, nous engageons une descente sur une belle piste forestière en taillant le bout de gras, la première fille collée à nos basques … On déroule facile, le Syndicat ne devrait plus être très loin. Sauf que Lionel s'étonne de ne plus voir de balises depuis un moment … Re merdouille. Pfff, demi tour, on regrimpe le machin jusqu'à trouver la petite bifurcation qui plonge sur un petit single à droite. Il y a bien des flèches, c'est vrai, mais ce grand chemin aurait mérité d'être barré à la sciure ou au plâtre. Comme d'autres endroits sur la parcours plus tard … Bref, encore une dizaine de minutes de perdues bêtement. J'arrive finalement au Syndicat avec déjà une demi heure de retard sur mon timing prévisionnel. Le dossard n°53 est passé depuis 10'.
A cette heure tardive il y a beaucoup forcement de monde sur ce ravito, et il faut jouer des coudes pour pouvoir acceder aux tables et faire les niveaux. Je chope une banane au passage et repars illico après avoir rangé la frontale au fond du sac …
Bon, voilà déjà 3 pages de grattées et j'ai a peine bouclé les 21 premiers kilomètres. A ce rythme là on n'est pas rendu … Va falloir accélérer la cadence !!!
Lionel m’avait prévenu que les choses sérieuses débutaient après le Syndicat. Effectivement, à peine avalé ma banane on rentre dans la forêt et je me trouve en pleine action. Surprise un peu plus haut en apercevant deux bénévoles et un tapis, nous sommes en haut de la montée chronométrée de Chèvre Roche. Je n’avais même pas remarqué le départ en bas … Ca n’aurait rien changé de toute façon, je n’avais pas l’intention de me défoncer sur cet artifice placé si tôt dans la course.
En tous cas c’est beau, les sensations sont excellentes et j’en profite pour faire quelques photos avec mon téléphone … C’est un plaisir de croiser et de saluer Julien François au sommet, à deux pas de son fief, gravement blessé et contraint au rôle de spectateur après avoir ramassé tant de trophées sur les sentiers vosgiens.
On enchaine vers le Haut du Tôt, c’est pour moi l’un des meilleurs moments de l’Infernal … Il n’y a encore aucune douleur, aucun couinement, c’est du plaisir total. Et je suis revenu à peu près dans mon timing.
Ce point de ravitaillement est super sympa, les bénévoles y sont déguisés, on peut y trouver une option gourmande avec les viennoiseries d’un boulanger local et une option plus sportive avec les produits habituels. Là non plus je ne m’attarde pas, je rempli simplement ma poche a eau et reste au régime banane. Les 15 kilomètres suivants déroulent sans problème, je remonte régulièrement les gars qui étaient restés sur la bonne trace. Nous voilà donc déjà au Col de la Croix des Moinats, km 45, c’est là que Danièle m’attends patiemment ....
Quelques gars paraissent déjà bien entamés. Je me pose quelques minutes le temps d’avaler une soupe et quelques bouts de fromage pendant que ma douce refixe le strapping qui commençait à partir en lambeaux. Je complète la poche avec de l’eau, Danièle rempli mon bidon avec de l’Aptonia Cola, un gout qui me réussit toujours.
La descente sur Cornimont emprunte les sentiers du THM cher à Julien François, dont j’ai couru toutes les éditions. J’évolue donc en terrain connu, en restant bien attentif a en garder sous la semelle. En remontant sur l’autre versant je fais connaissance de Peter, un sympathique concurrent du plat pays belge. Avec ses bâtons il me sème dans les montées mais je reviens toujours dans les descentes … Cet Infernal ne fera que me confirmer que c’est bien en descente que l’on fait les différences les plus importantes.
La montée vers la station de Frère Joseph est gérée sans problème, je jette un coup d'oeil furtif à la piste noire qu'il faudra gravir dans une centaine de bornes et et j’arrive enfin à la première base vie ou m’attendent Estelle, Thierry et bien sûr Danièle … GRAND moment d’émotion …
Pendant que je devine la détresse de mon copain Lionel, tiraillé par des soucis extra sportifs, tout le monde est au petit soin autour de moi et j’en suis vraiment gêné. Thierry me fais les niveaux, Estelle me cherche de quoi manger, Danièle me sort mes affaires …
Les bénévoles me proposent même des soins, mais bon, tout va bien. Je mets une bonne couche de Nok, remplace les chaussettes et les chaussures … La course commence véritablement maintenant et c’est les Adidas qui vont se coller à la boucle la plus montagneuse.
C’est reparti, le moral gonflé à bloc. RV au Markstein …
Une grosse étape de 17 km avec le soleil qui commence à cogner. Col du Page, col d’Oderen, ce sont des endroits où j’ai plutôt l’habitude de passer à vélo. Puis c’est la très longue descente sur la cascade St Nicolas pour arriver sur la piste cyclable … C’est le passage qui m’a paru le plus pénible, sur le bitume, tout plat, à découvert et sous le cagna. Pas déçu de traverser la route à Oderen et de m’engager dans la montée vers le Markstein.
Gros coup de chaud dans cette longue montée lors de la traversée d’un troupeau, quand une énorme bestiole aux longues cornes pointues s’est mise à me charger, probablement parce que j’étais passé trop prêt sa progéniture. J’ai gueulé comme un veau (eh oui ..) pour éloigner l’excitée …
Les derniers kilomètres redeviennent plus courables et je retrouve mes amis au km 74 pour le 5ème ravitaillement, ou la montagne vosgienne baigne sous un magnifique soleil d’été !!!
Il est temps de se poser quelques minutes ….
Là encore quelques-uns paraissent bien mal en point. Le soutient de mon fan club me rebooste un nouvelle fois et je m’engage dans une nouvelle très longue descente, longeant la Lauch jusqu’au niveau du monument Brun. Vers le bas je me fais doubler par un gars (le fameux Marc dont mes supporters me parleront souvent) que j’ai déjà vu plusieurs fois, son jeune compagnon de route a lâché prise et le voilà parti avec un nouvel élan … Impossible d’accrocher la champion, mais je l’ai toujours en point de mire lorsque nous abordons la remontée vers le Grand Ballon. Le parcours en sous-bois est toujours aussi agréable, alternant larges pistes forestière et jolis sentiers. Marc a sorti ses bâtons et me distance régulièrement …
Voici une bifurcation bien balisée sur la gauche, mais une nouvelle fois la piste principale n’est pas barrée. Marc est allé tout droit, je l’aperçois au détour d’un lacet et le hèle … Il mettra un moment avant de me distinguer dans la forêt en contre haut, mais il ne lui faudra pas bien longtemps pour dévaler la piste, remonter le sentier, me remercier et poursuivre à son rythme.
Nous débouchons enfin à la ferme du Haag ou et installé le 6ème ravitaillement, mais Thierry m’explique qu’il faut d’abord faire le tour du Grand ballon avoir de pouvoir se poser ...
C’est un peu cruel, mais cette boucle en fin d’après-midi avec le soleil couchant est vraiment superbe … Quel pied là encore …
La température à sévèrement chutée, j’enfile les manchettes et même la veste imperméable avant de me poser. La soupe est toujours bienvenue … Estelle et Thierry vont rejoindre leurs pénates pour un petit somme et me proposent de me retrouver le lendemain matin à Frère Joseph. Génial, on convient que j’appellerai Thierry lorsque je passerai au Drumont pour lui indiquer mon horaire prévisionnel de passage … Danièle elle file à St Amarin pour un dernier RV avant de rentrer sur St Nabord.
Je ressort la frontale et m’engage donc dans la descente. Arrivée à nouveau dans les sous-bois le thermomètre grimpe à nouveau et je dois tomber la veste. Les canes assurent encore pas mal et j’arrive à St Amarin sur les talons d’un petit gruppetto. Je suis inquiet de ne pas voir Danièle dans la Salle des Fêtes, mais elle arrive quelques instants plus tard, drôlement barbouillée … Pas de bol, elle a crevé dans le descente du Grand Ballon mais a heureusement pu compter sur le dépannage express de Thierry. Le gruppetto repart rapidement, Danièle m’invite à profiter de leur compagnie mais je préfère prendre mon temps et attaquer l’ascension du Rouge Gazon à mon rythme.
La mi-course est maintenant passée et mentalement ça fait un bien énorme. Tout se passe merveilleusement bien et je m’enfonce dans la nuit douce et étoilée en direction de la seconde base vie. 16 km de grimpée, on y va tranquille pepère …
Le col des Perches arrive finalement assez rapidement, je reconnais le sentier et je sais que l’auberge n’est plus très loin. Mais au lieu de poursuivre par la voie directe, nous bifurquons sur la gauche dans un énorme raidard qui nous grimpe jusqu’à la Tête des Perches à 1200 m d’altitude. C’est le sommet de la station, on ne peut donc plus que redescendre … Voilà les prairies, les vaches sont ici bien plus calme qu’au Markstein. L’heure peut être ??? Les lumières de l’auberge apparaissent enfin au loin, nous sommes guidés par les bénévoles vers la base vie …
Au Rouge Gazon je suis un peu comme chez moi, j’ai fait toutes les éditions du Trail Blanc des Vosges en Janvier, deux fois le Trail des Charbonniers en Aout. L’Auberge n’est à coup sûr pas la plus confortable du massif mais j’adore le cadre, son plateau de fromage, son petit déjeuner fermier, le joyeux bordel dans les douches trop exiguës à l’arrivée du TVB … Nous sommes donc au km 114, la base vie est chaleureuse, conforme a ce que j’imaginais, les bénévoles se mettent en quatre pour nous aider.
Je commence par une douche et un changement de tenue intégrale, je passe en mode corsaire et maillot manche longue pour finir la nuit, je range la casquette et ressort un buff. Crémage des pieds et bien sûr changement de chaussettes. Je remplace également la batterie de la frontale. Puis je prends tout mon temps pour me restaurer et envoyer quelques sms aux copains … J’avais envisagé d’y dormir éventuellement, mais j’ai toujours les yeux en face des trous et le cerveau toujours en état. Je repars donc en me disant que je pourrai probablement dormir un instant au Drumont. Le dossard n°53 est passé 4h plus tôt …
A la sortie un bénévole nous dirige vers la première balise et nous plongeons rapidement en direction d’Urbes. Le début de la descente un peu scabreuse que j’avais reconnu quelques semaines plus tôt se passe sans anicroche, les Adidas assurent toujours parfaitement et les cuissots encaissent toujours.
Des bénévoles courageux assurent la traversée de la route en bas et nous voilà reparti pour une nouvelle grimpée vers le Drumont … Ça pique un peu, mais bon je me dis que c’est normal et je reste sur toujours la même stratégie : tranquille. On débouche sur une route dégagée, au loin j’aperçois des lumières, c’est la Ferme du Gustiberg et son éclairage automatique qui fait honneur au passage de chaque trailer … Encore un effort, il faut basculer en haut du Steinkopf avant de descendre sur le Drumont.
Le ravitaillement est installé sous un abri exposé au vent, il n’y fait pas très chaud et je renonce sans hésitation a y dormir. Deux visages connus s’engagent déjà dans la descente pendant que grignote quelques bricoles. Il n’y a malheureusement pas de soupe. 16 km sont annoncés pour rejoindre la base vie de Frère Joseph, je table sur 2h30 et envoi un sms à Thierry pour lui dire de me rejoindre vers 7h30 …
La descente sur Bussang se déroule comme dans un rêve … Je rattrape rapidement le duo Raphael – Gilles (un autre, sous banière Suisse) qui descend en marchand. On traverse un petit bout de vallée ou la rosée du petit matin rafraichit le bonhomme. Pas pour bien longtemps car voilà des balises sur la droite posées dans un champ, droit dans le pentu. Encore un truc de dingue, je m’agrippe aux touffes pour me sortir de ce traquenard.
Ouf, voilà le village de vacances Azuréva, on respire un peu. Je me pose un instant sur un caillou pour me refaire la cerise … La suite par les pistes du Larcenaire est plus tranquille. Le jour pointe fort à propos quand la batterie de ma frontale donne des signes de faiblesse prématuré, je chemine un instant en mode secours …
Des lumières miroitent au travers des sapins. Comment est-ce possible, il est 6h30 et je suis déjà à Frère Joseph ??? Je suis désolé pour Thierry qui s’est levé pour rien, mais d’un autre coté je ne suis pas déçu d’avoir une heure d’avance sur mon timing … Là encore je profite d’une bonne douche dans une des chambres de l’hôtel. On nous fournit même les serviettes et le savon. Royal. Je repasse une tenue courte, nouveau crémage des pieds et de l’entrecuisse qui commence à me bruler, j’enfile la paire de Hoka pour le final.
Le duo Raphael – Gilles repart déjà pendant que je prends le temps de manger et de faire le plein . Nous sommes parait-il au kilomètre 144, il en reste donc 56 jusqu’à l’arrivée, dont 9 jusqu’au prochain point de ravitaillement … Je table sur 2h, ce qui me parait trés large.
Je quitte Frère Joseph sur le coup de 7h30 et je commence par me tremper les pieds dans la rosée pour arriver au pied de la fameuse piste noire. Je lève les yeux et j’aperçois au loin le duo qui me précède. Ils sont partis depuis un bon quart d'heure et ne sont toujours pas en haut ... Ou la la, ça promet. On prend 180 m sur 400 m, c'est un véritable mur !!! J'ai lu que les meilleurs étaient passés là à quatre pattes ... Pas fait mieux le Poucet !!! Je suis soulagé de basculer et de pouvoir relancer dans la descente puis sur les larges pistes qui suivent, le coin est très joli, c'est roulant et j'allonge toujours une petite foulée régulière. Ça mériterait bien quelques petites photos, mais j'ai la flemme de ressortir le portable
Le duo revient vite a portée de vue et je les repasses, cette fois définitivement, dans la descente sur le Col du Ménil (le lendemain Raphael me dira qu'ils m'ont trouvé énervant a toujours courir ... m'ont pas vu a la fin !!! ) On termine dans des prairies bien pentues, c'est toujours humide et je me retrouve plusieurs fois sur les fesses. Aussitôt traversé la route on se prend un nouveau raidard, monstrueux, en pleine foret ,le long d'un vieux muret ruiné, pour basculer enfin sous le Tête du Canard (si si ..., combien de canards sont ils déjà passés par ici ???) En haut du muret, c'est le Poucet qui est ruiné !!!
Logiquement il ne reste plus alors qu'a se laisser glisser jusqu'au ravitaillement qui théoriquement aurait du être tout proche. Mais on n'y arrive jamais, une nouvelle bifurcation nous fait plonger à pic au cœur d'une sombre forêt en vrac, complètement dévastée. Il faut enjamber des tas de branchage, des ruisseaux, de la caillasse en vrac, c'est un sinistre fouillis, un truc digne de la Barkley . J'aime pas ça du tout et j'ai vraiment la cervelle en vrac lorsque j'arrive enfin au ravito, aprés 3 heures de course depuis la base vie précédente ... En réalité en examinant de près le tracé après coup, on était bien plus proche des 12 km que des 9 km annoncés. D'habitude je suis le premier à râler avec les mecs qui gémissent pour quelques kilomètres de plus ... C'est dire dans quel état mental j'étais ...
Le ravito est planqué au bout du monde, ni Thierry ni Danièle n'ont trouvé le chemin pour me rejoindre. D'ailleurs il n'y a personne en dehors du gentil bénévole qui essaie de me remonter le moral. Peut être que quelques panneaux dans le village auraient été utiles pour permettre aux accompagnateurs et aux curieux de venir nous voir, nous encourager, mettre un peu d'ambiance quoi ... Le bénévole m'annonce 9ème, ce qui me parait bien surprenant. Je m’efforce d'y croire et de rêver a un top 10.
On enchaîne par une section toujours bien roulante, mais j'ai une grosse panne de jambes. Ou de tête plutôt. Et puis une petite douleur vient tirailler la plante de mon pied droit. Je n'y suis plus vraiment et je me traîne jusqu’à ce que perçoive un cliquetis de bâton revenant de l'arrière ... Jean Marc mon poursuivant me rattrape et me dépose rapidement, il a l'air sacrement frais le jeunot alors que je suis dans le cirage. On échange quelques mots, il m'explique qu'il a dormi 4 fois ... Stratégie payante. J'essaie de m'accrocher et de relancer en petite foulée, motivé par une place dans le top 10. Mais au final je crois que j'y ai laissé des plumes et j'aurai toutes les peines du monde pour rejoindre enfin Reherrey .
On retrouve enfin un peu de visuel quand on débouche enfin sur ce joli petit village blotti tout au fond d'un vallon. La encore l'examen de la carte après coup me laisse penser qu'on a pas suivi exactement la trace prévue à l'approche du ravito. Peut importe, le soleil brille et la présence de Danièle me fait le plus grand bien. La aussi les bénévoles sont adorables.Mais je n'ai plus envie de rien, je ne peux plus rien avaler ...
Je ne m'attarde pas, un bénévole me fait un petit topo de ce qui m'attends, il faut retourner au combat. On grimpe donc à la table d'orientation avant de poursuivre un moment sur la crête puis de dévaler tout droit sur Lepange, encore un passage bien sauvage dans les cailloux qui termine de me laminer les cuissots. Je double un concurrent belge blessé qui continue courageusement en marchant ... Purée, on découvre de sacré tempéraments sur cet Infernal !!!
Nous traversons la nationale en passant dans un sombre boyau, attention la tête. Il faut maintenant remonter jusqu'aux Tronches, sur l'autre versant ... On attaque sur le bitume et c'est là que je vois passer le premier concurrent du 60 qui trottine facilement dans la pente et m'encourage au passage. C'et bien, ça ma fait un peu d'animation ... Le champion a fait un sacré écart, je reconnais Stéphane Toussaint qui passe en seconde position un bon quart d'heure plus tard. Je pense a mon ami Snoopy engagé sur ce 60, que j'imagine pas très loin derrière et bien plus frais que moi ... J'espère qu'il va me rattraper et que l'on va pouvoir finir ensemble.
Ouf, on approche des Tronches et Thierry viens a ma rencontre. Encore un effort et j'ai le plaisir de retrouver mon fan club au grand complet. Je suis lessivé, les pieds en compote et je n'ai toujours pas retrouver les crocs ... Je m'allonge un instant pour me faire strapper les pieds et me faire masser. J'ai du m'assoupir quelques minutes. Les amis me font les niveaux et leurs encouragements enthousiastes sont un formidable remontant ...
Il fait très chaud, les jambes sont raides mais le profil se prête a nouveau à dérouler ...
On y va doucement, tout doucement pour déplier les canes toutes raides. Et finalement la machine se remet a tourner. La première fille du 60 me double a la sortie des Tronches. C'est Estelle Patou avec qui j'avais fait un bout de chemin quelques semaines plus tôt sur le Trail de Ferrette ... on échange quelques encouragements, allez Estelle (7ème au scratch a l'arrivée : bravo) !!! Je m'applique a rester le plus souple possible, en essayant de préserver mes pieds ... Je me gare régulièrement pour laisser passer les coureurs du 60. Le sentier reste agréable mais ça manque cruellement de visuel. Il faut encore s'enquiller un sacré talus, taillé dans le vrac, qui donne l'impression d'avoir été posé là un peu artificiellement et qui me laisse comme un arrière goût de surenchère. Il n'y a rien à voir, hormis les tenues bariolées des gars (et surtout des filles) du 60 qui me doublent toujours régulièrement, souvent avec un petit mot gentil. Ouf, ça bascule enfin et il n'y a plus qu'à se laisser glisser sur le Peutet, dernier ravitaillement, km 187 ...
La on m'annonce que je suis 11 ème. J'ai doublé un gars, je me suis fait doubler une fois et je perds deux places ... Bizarre, j'ai pas tout compris. Bon, on s'en fout, l'objectif est bien d'aller au bout de cet Infernal 200. Je n'ai jamais vraiment réussi sur le grands ultras, je n'ai jamais rien fait d'aussi long, et là malgré la fatigue et les douleurs, je suis toujours globalement dans le bon timing. Les amis sont là, plus motivés que moi encore. C'est génial. J'ai faim et ça c'est plutôt bon signe. Le moral est revenu, c'est la dernière ligne droite, il reste 13 bornes. Une fois de plus on m'explique que ça va être roulant ... Facile quoi !!!
Je n'avances pas bien vite, mon pied droit est en feu, mais j'arrive toujours a trottiner au milieu du flot de plus en plus dense des coureurs du 60 ... Certain sont bien entamés aussi, on échange quelques mots parfois, j'en remets un sur la bonne trace ... Comme précédemment il avait suivi le grand chemin tout droit alors qu'un le fléchage nous dirigeait sur un sentier à gauche. J'attends fébrilement les panneaux qui indiquent le kilométrage tous les 5 km. Le 190 n'arrive jamais ce qui une nouvelle fois perturbe mon cerveau passablement ramolli. Mais voila le 195, ouf, soulagement ...
Et rapidement la sono arrive jusqu'à nos oreilles, le stade ne doit donc plus être très loin. Mais les balises nous emmènent dans la direction opposée, nous voila reparti sur de longues lignes droites et on n'entend plus rien. Qu'est ce que c'est que ce binz ??? L'épisode foireux du départ reste en mémoire et j'ai peur d'être engagé dans une nouvelle galère. Je temporise un moment en attendant qu'un coureur me rattrape. Le gars a son casque enfoncé sur les oreilles et marmonne vaguement que c'est bien par là .... OK, on y va.
Je regardes ma montre, 20h est largement dépassée, je devrais déjà être arrivé. J'ai bien du mal a rester serein, c'est un peu la panique, j'appeles Thierry en espérant je ne sais quoi ... Les amis sont bien au Stade et m'attendent. La nuit commence a tomber doucement et je me dis qu'il faut se magner le tarin avant d'être obligé de ressortir la frontale dont la batterie est au plus bas ... On plonge à nouveau dans une sombre sapinière, je m'accroche comme je peux aux basques d'un gars du 60. Mais je ne peux pas suivre et je trouve finalement planté sans plus aucun visibilité sur les balises ... Obligé de fouiller au fond du sac pour remettre la frontale. J'entends le speaker, la musique. Mais ou donc est ce stade, ou donc est la trace ??? Je navigue au blair au milieu des branchages et je tombe miraculeusement une flèche violette. Ouf encore. Le faible halo de la Petzl me permet de sortir enfin de la forêt, je retrouve un peu de clarté, un long passage engadouillée au bout duquel un bénévole m'indique qu'il reste un kilomètre ... LE kilomètre qui ma paru le plus long de ma vie !!!! Enfin voila les maisons, Thierry m'attend au bout de la rue, plus enthousiaste que jamais, ses paroles me réconfortent et me porte jusqu'au Stade ... On rentre dans l'arène en feu. Purée j'ai des frissons partout, quel bonheur de passer sous l'arche après 40h28' de course, classé finalement 11ème. Le fan club est déchaîné, je suis accueilli comme un héro, le speaker m'interview ...
Wouahhhh, je m’envole, je suis sur un nuage. C'est un bonheur total de partager cette énorme émotion avec mes amis ... Même Snoopy est là, arrivé un peu plus tôt après une petite séance de jardinage. Fatigué le Poucet, mais quel bonheur ....
Le dossard 53 est passé depuis 8 heures déjà. Parfaite gestion de course d'Eric Bonnotte, grand et beau vainqueur de la première édition de cet Infernal 200 ...
Son récit est a l'image de sa course .... Superbe : c'est par içi ... Bravo Eric !!!!
8 commentaires
Commentaire de Eric Kb posté le 25-09-2016 à 14:27:06
200 km et un récit à la mesure de l'épreuve. Bravo!
Commentaire de poucet posté le 26-09-2016 à 21:24:50
Bah oui, pas simple de raconter 200 pitons avec trois mots !!! Merci Eric
Commentaire de 2ni_57 posté le 25-09-2016 à 16:50:39
Bravo à toi, Gilles, pour cette incroyable épreuve (et ton récit-fleuve, mais difficile de résumer 200km, aussi...), et ce formidable résultat (t'oublie de préciser que tu finis, aussi... 2e V2 !)! Ta progression, sur le site, était limpide et ta remontée spectaculaire à voir... Passionnante, en tout cas !
Bravo aussi à tous les finishers ! La copine est arrivée, elle, 18h après toi, certes... mais est arrivée ! Ce qui ne sera pas le cas de tous, hélas...
Bonne chance à toi pour la suite de ton programme !
Commentaire de poucet posté le 26-09-2016 à 21:28:19
Merci Denis. Bravo à ta copine Jeanne qui a été sacrement courageuse pour terminer !!!
Commentaire de Madoff posté le 26-09-2016 à 21:21:13
J'ai fait le 200 à ma vitesse (10 h de plus) et en partant dans les derniers donc sans me perdre dans les premiers km. Tu as du me doubler avant Le Syndicat. Superbe commentaire, j'y retrouve les images maintenant gravées dans mon cerveau. Une belle course qui porte bien son nom. Je partage ton avis sur la partie Col du Ménil - Saulxures, seul secteur où je n'ai pas pris de plaisir. je suis originaire du Ménil et il y a mieux à faire dans la forêt du Géant. Laurent.
Commentaire de poucet posté le 26-09-2016 à 21:30:59
Et ben, si c'est un local qui le dit ...
Ceci dit le parcours était globalement très bien, je suis sur que l'organisation a pris la masure des petits trucs à changer. Un grand bravo a toi aussi ... D'accord avec toi, cet Infernal porte admirablement bien son nom !!!
Commentaire de PatriciaB69 posté le 27-09-2016 à 07:18:27
Ben me voici arrivée au terme de ton récit ! bon j'en aurais bien voulu encore un peu, m'étais bien installée dans le rythme que tu as impulsé à tes écrits....:))) Admirative de la sérénité qui transparait à travers tes mots, même pas entamé par le gros binz au départ, et à te lire il est clair que ta forme était épatante, et que tu as géré tout ça avec une grande maîtrise - dangereuse cette impression d'ailleurs pour tes lecteurs ou lectrices non avertis, nous pourrions penser que ce n'est pas si dur que ça après tout !! Les 'experts' comme toi, faut se méfier, jamais les prendre au mot...tu dégages une impression de facilité trompeuse, et je comprends le duo Raphael-Gilles légèrement écoeuré de ton aptitude à courir toujours !! Alors bien sûr tu as eu quelques galères à arpenter et des douleurs à tenir à distance en dernière partie, de celles qui t'ont fait douter, mais tu l'as passée cette arche et tu as accroché un super temps, et un classement de champion. Les moments de béatitude complète qui ont suivi, tu les as bien mérités ! Vraiment une très belle histoire de persévérance et d'endurance que tu nous a contée là, mais aussi une belle histoire d'amiité - je sais que tu carbures beaucoup à cet élixir, mais là c'est éclatant !!! Bon j'ai la raison de ta venue sur FB.....tiens comme c'est bizarre, là encore l'amitié est ton moteur.....that's life, Poucet, l'amitié et l'amour nous font faire des choses impossibles, comme de terminer l'Infernal en un temps canon, ou bien abandonner certains mouvements de résistance - endroit et envers du plus beau tableau qui soit. Un immense merci pour être le sportif et l'homme que tu es.
Commentaire de poucet posté le 27-09-2016 à 21:25:31
Pfff. Ben me voilà maintenant avec une larme à l’œil ... mais j'aime ça !!!!
Un grand merci à toi Patricia pour ce témoignage qui me touche.
Je te confirme au cas ou : il n'y a rien de facile à l'Infernal !!!!
Plein de biz
Gilles
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