L'auteur : PaL94
La course : Alpine Endurance Trail Valle d'Aosta
Date : 3/9/2016
Lieu : Aoste, Cogne (Italie)
Affichage : 712 vues
Distance : 360km
Objectif : Terminer
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AHAH AH, on va voir ce qu’on va voir, la poudre va parler !
Déjà bien atteint, les jours précédents par le manque de sommeil, je bascule avec ce rire débile dans le côté obscur, la démence du traileur perdu. Tel Smeagol en compressport et sous acide, je erre dans la montagne à la recherche de mon Précieux. Mon précieux temps perdu à la base vie, je n’aurais pas dû me reposer autant, perdu dans cette longue montée en yoyo vers Pontposet. 4 heures pour faire moins de 10 km, saoulé de sommeil.
Mais maintenant c’est fini, à l’allure que je mène, je vais rattraper tout mon retard et même plus. Je vais tous les enrhumer, ils ne vont pas comprendre ! Marmonnant à mon double et à l’adresse des montagnes, je passe devant quelques cadavres de traileurs. Qui sur un banc, qui sur une embrasure de porte a cédé aux sirènes du sommeil. Fini pour moi, vous ne m’aurez pas. S’il faut se jeter dans le torrent, je le ferai (j’avais prévenu : c’est grave !).
On m’avait dit que tôt ou tard on se met un peu à délirer sur ce genre d’épreuve avec la fatigue et la privation de sommeil. Mais là j’ai carrément lâché la rampe ! Pourtant j’avais tout prévu pour éviter cela : un plan de marche aux petits oignons et bien adapté à mes capacités. Je plafonne en vitesse ascensionnelle mais j’arrive à me maintenir dans les barrières horaires. La preuve, je suis encore là. Mais hier sur la portion technique j’ai fait le choix de partir avec une heure de sommeil en plus alors que j’étais déjà en retard. Fichue section, elle a failli m’avoir ! Il a fallu que je me dépouille pour arriver 50mn avant la clôture et je n’ai pas économisé mes forces. Je paye peut être le contrecoup.
Autrement ça ne se serait pas trop mal passé, le départ et le passage au col Loson conforme avec 30mn d’avance. La descente sur Dégioz en aura éprouvé plus d’un car il y aura des abandons à ce stade. Entrelor avalé facilement et la descente sur Rhêmes idem.
La montée du col Fenêtre à 50% (sans neige ce coup-ci), prendra plus de temps et je rejoindrai la première base vie de Valgrisenche en ayant vu fondre en partie mon avance. Départ à 4h et direction le fameux col Crosatie que j’atteindrai le jour bien levé. La descente sur Promoud et remontée sur le col Haut Pas dans les gros pierriers et le cagnard. Coup de mou, baisse de moral et retard de 15mn sur l’ascension. Je commence à ressentir l’accumulation.
Descente direction La Thuile, longue et parfois technique, J’y vais en m’économisant un peu car j’ai toujours de l’avance et il fait très lourd, on attendait la pluie prévue plus tôt. C’est au ravito de Baité Youla qu’elle se déchaine enfin et il me faut m’équiper pour faire l’ascension du col de L’Arp. Descente ensuite en courant vers Courmayeur et une autre base vie que celle du TOR et par un chemin rallongé et qui semble interminable. Courmayeur que j’attendrai avec plus d’une heure d’avance ce qui va me permettre de bien me poser.
Départ de la base à l’heure prévue sur mon plan. J’ai dormi environ 2h mais il est 1h30 et j’ai toujours les paupières lourdes. Le début, je le connais car emprunté 3 fois sur l’UTMB mais j’ai du mal à le reconnaitre. Je devrai m’arrêter à Bonatti 10mn pour m’allonger et dormir un peu. La montée vers Malatra pourtant assez gentille me fera perdre du temps. Je commence déjà à perdre pied et me dire que tout est foutu. Le temps plus clément sur l’autre versant et la descente me réveilleront si bien que j’atteindrai St Rhemy dans le temps prévu. Le fait de manger, ce qui est mon problème en course, me permet un regain d’énergie et de moral. Ainsi après un deuxième ravito à Ponteille Dessot avec une excellente polenta et des non moins excellentes grillades, je repars pour l’assaut du col Champillon que j’atteindrai avec un peu d’avance. Le moral est revenu et je me laisse couler vers Ollomont, promesse de deux heures de sommeil.
En fait je suis resté plus de 3h30 dans la base, un peu lent dans mes transitions mais je sais ce qui m’attend. La montée du col Brison très raide va en éprouver plus d’un et re-déclenchera ma contracture à la cuisse droite. La descente assez roulante va me permettre de refaire la moyenne mais malgré mon allure, rien y fait. Il semble que cette portion fasse bien plus de 6,4km car j’ai couru pendant 2h20 pour la finir.
Oyace, je reprends des forces et des pâtes car le col suivant va être long. Beau mais long car fait en reconnaissance. Effectivement je perdrai 40mn dans l’ascension du col de Vessona. J’ai la haine de me trainer comme cela, il faut que je rattrape ! Je fais le plein de pâte au refuge Clermont mais j’ai un peu de mal car pas assez cuite. Je vais vivre la pénitence sur le Col Chaleby et ensuite la montée au Rifugio Cuney. Idem dans la descente sur Maggia où le ravito me permettra de me refaire un peu. La montée sur la fenêtre de Tzan très raide également sera néanmoins absorbée à grand coup de pâte d’amande. Ce qui me permettra d’avaler sans soucis la fenêtre d’Ersa et se laisser couler vers le rifiugio Bamassse. En revanche la descente vers Valtournenche va m’achever. Les pieds sont de plus en plus douloureux et la piste que l’on suit n’est pas le tracé car nous arriverons au nord de la ville au lieu de l’Est. Peut-être 1 ou 1,5 km en plus, ce n’est pas énorme mais quand on a les pieds en feu et la fatigue au corps, ça casse le moral. A marche forcée et en râlant, la base vie est atteinte avec une heure et demi de retard sur le plan de marche.
Je me refais une santé avec 2h de sommeil et surtout un repas consistant. Départ pour le col des Fontaines atteint à peu près dans les temps. Suit, le col de Nanaz gravi pareillement. Pas de doute ça revient ! La descente en trottinant sur le refuge Grand Tournalin, au-dessus d’une mer de nuage est magique. J’y retrouve, attablés, Stéphane et Michel croisés plusieurs fois en compagnie du Sénateur Jean-Mi, toujours jovial. Content de ma descente je me joins à eux pour une petite pause. C’est là que Jean-Mi va me prescrire l’abus effréné de Coca pour l’angine infectieuse que je promène sans qu’elle passe (les toubibs ne peuvent rien me donner sauf du paracétamol) mais qui me fait souffrir à chaque bouchée avalée.
Descente sur St Jacques et Champoluc à fond mais là encore, malgré que j’ai couru tout le temps la vitesse n’est pas flagrante. Je commence à me dire que je suis de plus en plus diminué. Un bon arrêt et des pâtes excellentes me rebooste pour attaquer la suite.
Il fait beau, un peu chaud et l’abreuvoir sont le bienvenu pour y tremper les buffs et parfois la tête. Passage au Rifugio Vieux Crest avec accueil sympathique puis l’ascension du col Pinter avec ses guirlandes népalaises. Apparemment j’ai tenu la cadence de mon tableau. Le moral remonte en flèche. D’autant que je vais même reprendre du temps pour la descente sur Alpenzu où l’on est également très bien reçu et je continuerai comme cela jusqu’à Gressoney que je rallierai avec simplement 20mn de retard sur mon plan.
C’est là que je vais commencer à un peu dérailler. Je m’étais fixé de partir vers 20h ce qui me laissait 2h de sommeil plus une heure d’intendance mais je me suis dit que la section technique méritait d’être frais et de s’accorder une heure de plus de sommeil. Jusque-là tout va bien mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? J’ai trainé dans la base vie et j’en repars avec presque 3h de retard sur mon plan. Comme si je pouvais me le permettre ! Pourtant je ne me rends compte de rien et monte gentiment vers Ober Loo et échafaudant des plans de course pour mieux lutter contre le sommeil.
Ober loo, les vaches ont eu le lait qui a tourné cette nuit-là, vu le tintamarre en pleine nuit que font les hôtes de ce ravito. Ils sont fous, des fous sympathiques mais des fous, ça fait plusieurs dizaines de minutes que j’entendais le boucan qu’ils font. En tout cas c’est bien chaleureux et ça réveille. La montée ensuite vers le col Lasoney m’a semblé une formalité. J’y assisterai un chinois que je côtoie régulièrement et qui m’a pris en affection. Le pauvre a les cuisses explosées et je luis donne un extrait de ma pharmacie qui j’espère le fera tenir dans la descente jusqu’à Niel. Sinon il est coincé pour un bout de temps ici. A Niel la BH le rattrapera mais il pourra se faire rapatrier par les bus qui attendent. En fait il tiendra jusqu'à Donnas mais n'en repartira pas. Pour ma part Niel sera atteint correctement mais j’y resterai plus longtemps que prévu car je me suis frigorifié dans la descente malgré mes nombreuses couches.
La montée vers le Col de la Vecchia va me permettre de bien mesurer le côté technique et joueur du terrain. On monte et on descend avec cette impression de ne pas progresser qui vous fait douter même d’être en mouvement. C’est beau mais long et épuisant. Plus de 3h pour atteindre le col où le jour s’est levé bien avant mon arrivée. Paysages rudes mais grandioses. Çà et là, des traileurs endormis dans des creux. Seul le doux froissement de leur couverture de survie révèle leur présence.
C’est ensuite le fameux Crena du Ley, qu’il faut atteindre en traversant des pierriers, en les descendant, en les remontant et ainsi de suite pour rejoindre la cheminée terminale. De l’autre côté, un autre décors, moins minéral et plus pastoral. Plus exposée au soleil une descente rapide vers Lago Chiaro et son sympathique ravito sorti de nulle part. Toujours une heure et demi de retard mais je prends le temps de me restaurer d’une bonne soupe aux pâtes. Je fais même un chabrot !? Ca fait rire la plus âgée des bénévoles à qui cela rappelle des souvenirs. Moi ça aurait dû plutôt m’alerter ! Ce n’est pas vraiment le moment, la preuve je repars sans mes bâtons. Obligé de faire demi-tour en me traitant de tous les noms.
Col du Marmontana, pas loin, un peu plus d’1km mais il faut quand même le gravir. Ça sera ensuite la belle descente vers Le da Barma et son ravito près du lac. Là j’y ferai 10mn de pause mais engloutissant tout ce que je peux. J’en repars requinqué et remonté comme une pendule. La descente sur Lago Vargno à fond (j’exagère un peu). Je passe le barrage et des truites viennent me narguer en se prélassant près du bord. Pas le temps les filles, une autre fois !
Là maintenant il va falloir remonter sur Rifugio Coda et ça va être long. On se croise avec plusieurs traileurs sur cette partie en yoyo et en pleine chaleur. Un bout de chemin avec Michel que je retrouverai plus tard car il avance mieux et finalement me distance. La dernière partie de l’ascension du col Sella est éprouvante mais des petits nuages et un vent frais nous rafraichissent un peu. Courte rampe et nous voilà à Coda où les bénévoles redoublent de conseil de prudence car sur le début de portion suivante un coureur certainement exténué est tombé et s’est fait une fracture et un traumatisme crânien (sans grosse gravité nous l’apprendrons ensuite).
J’ai rattrapé de mon retard mais je repars avec désormais 1h20 d’écart sur mon plan. C’est à ce moment-là que j’ouvre les yeux et réalise dans quelle panade je me suis mis. J’ai perdu le fil. Sur le papier de la descente mais avec D+ jusqu’à Donnas. Un peu plus de 18km mais technique tout au moins au début. Je me vois perdu et me voue aux Gémonies.
Un traileur (Eric) qui m’accompagne est lui aussi circonspect. Plus le choix, une seule chose y aller, ne rien lâcher et tant pis si la douleur aux pieds s’accentue. Ça serait trop stupide de se faire coincer 50 km de l’arrivée pour une mauvaise gestion de plan de marche.
Entamant une course contre le temps, je trottine, saute de rocher en rocher en m’encourageant de la voix à grand coup de « Précision » pour les rochers et « Vitesse » ailleurs. Cela donne un discours décousu mais qui me motive. En revanche mon suiveur perd pied, certainement par crainte d’être contaminé par le virus qui me ronge. C’est sous cette folie et exténué que j’atteindrai la Tour D’Herreraz avec en définitive une moyenne à peine digne d’un mollusque. La remontée rude vers Perloz m’assommera un peu plus. Il me faudra encore 2h de plus pour jouer dans les chemins des vignes et la route vers la base vie et dire définitivement adieux à mes pieds que j’imagine perdus pour toujours.
Donnas Minuit 10 il faut que je me dépêche, douche repas et une heure de sommeil, pas le choix il faut partir avant 3h du matin. Ce sera fait à 2h50, le cœur léger et persuader d’aller au bout.
Voilà où j’en suis et je ne comprends plus rien. J’ai cru avancer mais non, Pontboset m’a ouvert les yeux. Allez ! Pas grave maintenant vu comment je brûle la piste, ce retard sera vite oublié. On se croise avec Eric, Michel, Mario, Paolo, Patrick et d’autres. Je ne regarde plus ni ma montre ni mon tableau, tout concentré que je suis sur ma progression.
Les abords de Chardonney et nous longeons le torrent où nombre de pêcheurs taquinent le salmonidé dans les beaux trous d’eau qui ne manquent pas. Voilà le ravito et la grosse cloche retentit. Je vais savoir où j’en suis.
Enfer et damnation ! Le résultat est sans appel et contredit tous mes ressentis presque 4H pour faire 9,2 Km ! Et moi qui croyais tracer. Je suis anéanti, c’est foutu ! Je serai finisher mais jamais en moins de 155h, temps limite de la course. Je me maudis, trop perdu de temps, trop cédé aux illusions. Je prends des forces dans un dernier repas comme un condamné et je repars à l’abattoir.
Ma blonde m’appelle (j’ai enfin activé mon téléphone) je lui déverse mes état d’âmes. Elle essaye de me rassurer mais je sais bien qu’il n’y a plus grand-chose à faire. Elle me dit que j’ai bien fait pire et que je vais y arriver mais j’acquiesce pour lui faire plaisir. Elle me dit que tous les copains me suivent y compris les amis de L’Asva. J’ai plein de sms mais je n’arrive plus à lire, mes lunettes de course sont pleines de sueur et je n’avais pas le cœur à ça.
Du coup je chope la honte, tout le monde me suit et je renoncerai ? Tant pis mais si je ne veux pas décevoir, j’oublie mes moignons et même si c’est foutu, je tenterais tout comme si c’était possible. Qu’il soit dit que j’échouerais sur la ligne d’arrivée en n’ayant rien lâché.
Michel qui m’a rejoint est dans le même état d’esprit : il n’y croit plus mais ce dit que ce serait trop bête de ne pas essayer. On se réconforte l’un l’autre mais il va trop vite et je le laisse partir. Il a beau avoir les ischios explosés, selon son expression, je n’arrive pas à suivre. Le toubib lui a donné un anti inflammatoire qui lui permet de tenir jusque-là. Je le rattrape un peu plus loin, cependant car perdu sur la piste : les vaches ont joué avec le balisage et s’amuse à l’arracher. Si en plus ça fait râler cet animal sur deux jambes et deux bâtons, double plaisir.
Comme je connais le coin je donne la direction tout en faisant des calculs sur nos chances d’arriver dans les temps. A Dondena on se pose quand même et Michel prends même une bière. Un bon expresso question de finir de se réveiller (la tête reste embrumée) et direction Miserin.
Chemin faisant nous extrapolons sur la mise en place d’une barrière horaire quelque part sur le parcours vu le nombre de concurrents derrière nous. Nous nous motivons l’un l’autre tout en échangeant sur nos différentes manifestations de démence précoce due au trail. On n’a l’impression de ne plus savoir raisonner. Ce qui est logique semble incongru et l’illogique devient parfois une vérité avérée.
Bien remontés par le risque de se faire coincer par une nouvelle BH nous abordons d’un pas décidé la rampe qui mène au rifugio Miserin. A notre allure le bénévole de faction nous indique qu’on va pouvoir gravir le col car il est sûr que nous l’atteindrons avant 16H !
Du coup on se bâfre vite fait et on gicle de là à 15h17. Moins de 3/4 h pour l’atteindre. Je n’y crois pas mais il faut qu’on essaye. Grâce au ciel et à la montagne, le pierrier pour l’atteindre n’est pas très important ni méchant. Nous poussons sur les bâtons comme des galériens sur leurs rames, en apnée profonde, on se motive de la voix et petit à petit les silhouettes qui nous attendent en haut se rapprochent de plus en plus. Un dernier coup de rein et nous y sommes. Je note l’heure. Incroyable, 15h55 il nous aura fallu seulement 38mn. On se congratule, grandes accolades avec les bénévoles et la course reprend ses droits. Un panneau indique 30mn pour le refuge Sogno, Si on court, on va gagner du temps car il ne reste tout de même, pas loin de 18 KM. En 4h c’est faisable mais il y aura du technique et donc ça va être juste, pas le temps de trainer.
Michel sent que l’effet du médoc est passé et prend la deuxième pilule que lui a donnée le toubib. Comme j’en ai également une sur moi à cause du déboitement de gros orteil et que je n’en ai pas l’usage, je lui donne au cas où…
Le refuge sera atteint en 30 mn alors qu’on a trotté toute la descente !? Dégoutés s’il faut courir pour faire le temps des marcheurs, c’est que nous sommes plus que diminués. Ravito express donc où on y rejoint Patrick qui prends pour argent comptant les 3h annoncées par les bénévoles. Bénévoles, que je reprends gentiment en leur rappelant que nous avons déjà 340km dans les pieds et que nous n’allons pas prendre le même chemin.
Il est 16h 38 quand nous sortons. Je connais bien cette partie et je suis plus qu’inquiet. Je m’en ouvre à Michel, si on veut ne serait-ce qu’avoir une petite chance, pas le choix il faut courir jusqu’à la ligne d’arrivée. Il est OK avec ça, il veut lui aussi y arriver. Il prévient ses parents à qui, il veut faire vivre des derniers moments intenses que nous pourrions arriver entre 19H30 et 20h30. Un type bien, ce Michel et un sacré traileur avec cette année, entre autres, la Montagnard et la première partie de la Transpyrénéa, rien que ça !
On ne joue pas dans la même cour, il est plus jeune et bien plus véloce. Seuls ses ischios font qu’il n’est pas devant. Comme je connais le coin je prends la direction des opérations et donne la cadence. On s’encourage toujours. Never give up ! Tout est bon pour ne rien lâcher.
Le long plateau défile mais aussi les minutes. Ensuite ça sera la descente vers Goilles mais ça deviendra plus technique. Cela semble interminable et nous avons beau accéléré dès que nous pouvons, le paysage reste trop figé à notre goût.
La fin du plateau et le début de la descente comme prévue, bien moins roulante mais nous continuons sur notre rythme tout en nous aidant des bâtons comme des skieurs au désespoir. On ne parle plus , trop concentrés que nous sommes sur nos appuis et sur l’enjeu.
Hélas quelque temps à l’épreuve de ce terrain, Michel m’arrête, nous avions convenu que quel que soit ce qui adviendrait celui qui pourrait, continuera sans l’autre pour atteindre la ligne avant 20h. Il me montre ses genoux gonflés, il ne peut plus continuer sur ce rythme. Je suis déchiré mais on se donne rdv sur la ligne. Je repars aussitôt de peur d’avoir perdu trop de temps. On n’a même pas pris nos numéros de téléphone. Le délire continue !
Seuls mes « Vitesse ! » et « Précision ! » m’encourage maintenant et j’en abuse, hurlant dans la montagne, m’insultant à chaque faux pas. Les bips des sms que je ne veux pas consulter par peur du temps, m’aiguillonnent et me culpabilisent. Oui je sais les amis, je fais tout ce que je peux mais j’ai beau aller le plus vite possible, Goilles n’arrivent toujours pas. J’ai l’impression de voler sur le chemin mais s’il faut, en fait je n’avance pas, diminué que je suis par les kilomètres d’avant.
Plus j’avance et moins j’y crois et plus je m’encourage pour ne rien lâcher. Je veux pouvoir dire que j’ai tout donné pour y arriver même si je sais que je vais échouer. Le tout sera de savoir de combien. Là encore je les regrette ces 2h perdues à Gressoney !.
Tout arrive : Goilles. 15 sec pour marquer le temps (18h50) et je repars. Sur le papier il me reste 1h10 et 6,5 km mais comme en courant j’ai mis 2h14 pour faire 9,3km, je ne me fait aucune illusion sur ma soi-disant vitesse. Je sais que c’est plus que plié. Seule lueur d’espoir, la partie roulante après Lillaz. Mais on n’y est pas encore. Je double un couple qui s’entraine à la marche. Bon point de repère car 5mn plus tard en me retournant je les vois à 20m derrière. Pas de doute plus j’envoie et moins j’avance. Il me semble que j’ai encore un peu de latitude et j’accélère. Les remontées sont absorbées comme à Verrières, finie la Bièvres où on se repose plus en haut des côtes. Ça passe ou ça casse ! J’aperçois la conduite forcée de Lillaz que l’on suit sur un chemin technique, je bourre là-dedans à la limite du décrochement, pour atteindre le petit village. Je ne regarde même pas l’heure, ça ne sert plus à rien. C’est une course contre le temps, il n’y a plus rien d’autre. Je ne me suis même pas rendu compte que je ne trébuche plus et que je ne ressens plus aucune douleur aux pieds et pourtant mes deux steaks hachés, ils m’en ont fait bavé !.
Je croise un finisher et sa famille qui vont manger et qui m’encourage. Je passe la rivière et là un long ruban à dérouler mais sans piège technique, je vais lâcher mes dernières forces et je pourrai mourir tranquille (je vous l’ai dit, je délire complètement).
Lapin m’appelle, il me félicite me dit qu’il me reste 3km et que je roule 3,6. Je regarde l’heure 19h20. Je t’aime bien Lapin mais toi aussi tu dérailles : 40mn à 3,6 ça fait 2,4 KM. Bien ce que je dis, je suis refait ! Je raccroche et en essayes d’accélérer encore. Pas possible, j’ai l’impression de voir défiler maintenant le chemin et je ne ferais que du 4kmh ?
Ça ne fait rien, j’ai promis que je ferai tout et j’accélère au taquet, je n’ai plus de souffle mais c’est en descente ce qui me facilite la tâche. J’imagine les contrôleurs de course amusés de voir mon spot GPS se démener pour atteindre la ligne sans aucun espoir.
Comble d’ironie, un hum hum ! gêné me fait tourner la tête : un coureur du soir me dépasse en trottinant, désolé de m’humilier sans le vouloir. Je ne t’en veux pas, vas ! Mais qu’est-ce que c’est que ces jambes qui tournent au ralenti ?
Je n’ai presque plus de pensée, le cerveau a tout dirigé vers les jambes Je salue les « bravos ! », de mes bâtons, comme un automate. Je vois des maisons mais vous ne m’aurez pas ! Je sais bien que ce sont des hameaux avant Cogne. Ne rien croire, ne rien écouter, ne rien penser, ne rien lâcher, on s’arrêtera sur la ligne d’arrivée et pas avant !
Petit à petit Cogne se rapproche et mes yeux s’embuent de plus en plus : c’est bientôt fini mais ça a été long. Je rentre dans le village, je capte quelques encouragements et vois surtout le bénévoles qui se précipite pour me diriger. Il faut remonter dans le village pour retourner en sens inverse du départ. Il me dit que c’est bon mais je n’écoute je ne crois plus rien, je ne comprends plus rien. Il veut me faire ralentir mais je continue, du coup il m’accompagne en prenant mon pouls et à grand renfort de Piano, Piano !
On tourne à droite et nous sommes accompagnés par une troupe de gamins qui me donne la main, tout contents d’être à fête. Encore à droite, le bénévole lâche mon pouls, il a dû conclure que j’étais déjà mort cliniquement depuis longtemps et me crie « tapetto rosso ! » Oui, oui , le tapis rouge ! Les gamins m’accompagnent en me regardant bizarrement. Ils ont cet air grave qu’ils prennent quand ils sont en présence de grande personne très malade. Il y a longtemps que je le suis, les enfants !
Un cri de surprise, semble-t-il ,sorti de la ligne d’arrivée : je viens de me prendre littéralement les pieds dans le tapis et m’écrase au sol (sans entrainer de gamins heureusement). A peine au sol je me relève aussitôt comme un gibier blessé. Ne faudrait pas que je prenne ce prétexte pour dire que je suis arrivé après l’heure. Mais il n’y a qu’à moi que ça arrive !
Les derniers 30m seront survolés sans encombre. Tout arrive ! J’atteins enfin la plateforme et je suis arrêté par la speakerine et un directeur de course. Il valait mieux sinon je courrais encore. Je n’écoute pas ce qu’on me raconte, je prends mon stylo, mon plan de course regarde l’horloge et marque le temps 19h 44 !???. Je ne comprends pas, je ne comprends rien, j’avais encore 16mn ? (En fait 13mn car nous sommes partis le samedi à 8h57) Je suis complètement perdu. Je devine que c’est gagné mais j’ai trop tiré sur la corde, je n’arrive plus à revenir au monde réel. La speakerine me parle mais tel un poisson sur la rive, je n’exprime plus que l’asphyxie.
J’entends des applaudissements, je vois le directeur de mon hôtel venu gentiment me chercher, j’aperçois ça et là, plusieurs compagnons de route déjà arrivés. Je réponds machinalement aux questions insistantes de la speakerine : oui je l’ai fait j’avais promis (je ne sais même plus à qui) je parle en pleurs de Michel, laissé, blessé dans la montagne. Elle me dit que je l’ai fait aussi pour lui. Je laisse échapper un oui du fond de ma détresse. Je suis complètement parti, on m’entraine vers la zone interview on m’offre du champagne mais une seul gorgée m’arrache la gorge et on me dirige sur le panneau pour signer. Je mets « Pour tous les amis » qu’est-ce que vous vous voulez que je mette d’autre ?
On me présente Bruno Brunod (à ce stade je suis le dernier classé avant qu’ils repoussent la durée limite). Ça ne dure pas longtemps, complétement dans le gaz, je lui demande s’il a gagné. Pas de chance il finit second. Du coup je ne sais plus quoi dire et lui non plus. Bon ben, il faudra parce qu’en plus, on interview tous les finishers. Je n’ai pas la tête à faire des discours et on finira après deux questions par me laisser partir chercher mon sac.
C’est sur le chemin reprenant mes esprits et la maîtrise (relative) de mes émotions et malheureusement les sensations douloureuses aux pieds, que je croiserai Sénateur Jean-Mi, tout content de me voir (ce type est adorable). On discute un bout et je le remercie chaudement pour son conseil Coca qui m’aura permis de tenir l’angine infectieuse (je vais passer par 3 jours d’aphonie ensuite ce qui prouve que j’étais bien atteint).
Je remonte mais pas de Michel, finalement il est arrivé plus tôt que ce que j’estimais, seulement 26mn après. Je l’ai cherché lors de la cérémonie mais en vain. J’ai crains un moment que ces problèmes d’ischio soient plus graves et qu’il ait été hospitalisé.
Comment revenir à la vie normale après ce genre de périple ? Déjà que mes pieds me rappelle jour comme nuit, ce qu’ils ont enduré et les coups de fatigue qui vous assomment et on se dit qu’on n’y reviendra pas. Et pourtant je comprends, une telle intensité c’est comme une drogue, on côtoie la folie mais c’est tellement fort qu’on ne peut plus s’en passer.
Expérimenter ce que c’est d’être supporté à ce niveau, c’est une expérience riche. On a beau savoir les effets, les vivre à ce niveau- là c’est magique. Grâce à cela et malgré tout ce qui s’était passé avant, j’ai couru comme un fou pendant plus de 3heures en ayant oublié les douleurs des pieds meurtris par trop de kilomètres, simplement pour ne pas décevoir mes supporters, alors même que je n’y croyais plus.
J’ai fait, je crois, ma plus belle course sur ce final, uniquement parce que je ne la faisais pas pour moi. Justement parce que pour les autres !
4 commentaires
Commentaire de Mike33 posté le 15-09-2016 à 16:33:17
Salut Pierre,
Excellent ton récit et tellement le reflet de la réalité sur le terrain ;-)
cette fin de course a été mouvementé et éprouvante ! elle restera un bon souvenir maintenant que nous sommes FINISHERS !!!
Après notre séparation forcée dans cette dernière descente j'ai reposé les jambes en m'asseyant 2-3 minutes régulièrement sur des rochers. permettant aux genoux et ischios de se relâcher...puis j'ai retrouvé un petit rythme de course à Lillaz jusqu'à l'arrivée...j'ai fait juste une apparition à la cérémonie car j'avais du mal à rester debout...maintenant la forme revient bien sur !
je te donne mon numéro : 0648701696 si tu veux on pourra allez boire un verre un de ces jours sur la capitale pour fêter notre statut de Finisher :-)
Sportivement et amicalement,
Michel
Commentaire de PaL94 posté le 15-09-2016 à 17:21:07
Super content de voir que c'était moins grave ! On s'appelle pour fêter ça :-)
Commentaire de Sylou38 posté le 15-09-2016 à 19:28:30
Super recit PaL94, quelle determination pour finir dans les temps, il me semble que les organisateur avait rajoute un bonus de 4h pour finir vu la difficulte de la course, donc tu avais le temps ;) alors partant pour l'edition 2017 ?
Commentaire de PaL94 posté le 16-09-2016 à 10:43:34
Merci Sylou
Pour l'instant j'essaye de récupérer l'intégrité de mes pieds et tout mon sommeil de retard avant d'envisager une suite en 2017.
C'est vrai que les organisateurs ont rallongé mais je ne le savais pas et de toute façon je n'avais plus vraiment de tête...
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