L'auteur : CharlyBeGood
La course : Hong-Kong Ultra-Trail
Date : 17/1/2015
Lieu : Hong-Kong SAR (Chine)
Affichage : 768 vues
Distance : 100km
Objectif : Pas d'objectif
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Vibram Hong Kong 100 Ultra Trail Race – Janvier 2015
Je le sais, chaque course est particulière… Mais là, je cumule quand même pas mal de situations assez inédites dans ma naissante « carrière » de coureur au long cours !
La date tout d’abord : janvier ! Franchement, en Suisse, à deux pas des Alpes, on a autre chose à faire durant cette période que de parcourir 100 bornes à pied, non ? La préparation ensuite : c’est plutôt mal choisi comme calendrier, juste après mes 6-7 semaines de break sportif annuel et les fêtes de fin d’année, avec tous les excès gastronomiques qui y sont attachés… Pouvoir d’adaptation : j’ai décalé et raccourci un peu la pause, mais je n’ai rien pu faire pour décrocher la charrette du surpoids accrochée à mes baskets… Le lieu enfin : Hong Kong ! Pas la porte à côté, pas un terrain connu (ni reconnu pour ses étendues naturelles), pas de cols à 2 000 mètres, pas de petit voyage pépère en train ou voiture pour arriver frais comme un gardon sur la ligne de départ. Bref, un petit air de Tintin à la recherche de l’étoile mystérieuse : aventurier sans peur et sans reproche qui part à la découverte de nouvelles contrées sans trop savoir ce qu’il va y trouver. J’ai quand même un atout dans ma manche, mon capitaine Haddock à moi, en la personne de Manu qui s’est expatrié dans la péninsule depuis un an et qui sera ma carte interactive, en plus de recomposer le duo que nous avions formé pour l’UTMB en 2013.
Le dépaysement commence avant la course. Pas de village trail, de stands des sponsors en pleine nature. On va chercher les dossards au 23e étage d’un building, dans un magasin de sports qui y est niché : autre concept de visibilité à trouver si l’on veut survivre dans la ville verticale… L’accès au départ est également une épreuve qui me rappelait la « Chasse au trésor » que je regardais étant gamin, avec Philippe de Dieuleveult qui sautait de son hélicoptère pour montrer une carte ou le nom d’un lieu-dit à un autochtone. Dans le cas présent, on remplace 1) l’hélicoptère par un taxi, 2) le parchemin énigmatique par une impression du nom du lieu de départ en anglais et en chinois et 3) le Philippe par un Charles sautillant pour arrêter un taxi dans la rue à 5h00 du mat’ et lui proposer une balade de 45 minutes pour me conduire au départ, et on a un remake exotique de cette quête du Graal.
Mes dons de persuasion font que je me retrouve parfaitement dans les temps, au lever du jour, à Pak Tam Chung (oui, il faudra s’y faire…) pour repérer les lieux du départ et tenter de retrouver Manu parmi les 1 800 concurrents annoncés… A sa recherche, je me débarrasse immédiatement de mes premiers clichés : non, les asiatiques ne sont pas tous petits et le mètre quatre-vingts de Manu n’émerge pas sans difficulté de la foule colorée des traileurs ! Je ne saurai qu’après-coup qu’il n’était en fait pas encore arrivé, ce qui me laissait bien entendu que bien peu de chance de remplir ma mission de repérage… Je profite donc du temps à disposition pour régler un problème découvert en paquetant mon sac le soir précédent : l’absence de couverture de survie, oubliée au fond d’un tiroir à la maison, et annoncée comme matériel obligatoire. C’est le moment choisi par le team WAA pour arriver sur les lieux, avec Antoine Guillon, Christophe Le Saux et Cyril Cointre (qui font partie des « top traileurs » mondiaux, pour les non-initiés). Qui mieux que des pros pour me dépanner ! Je les aborde (toujours plus facile de s’approcher de la minorité en français que de la majorité en chinois…) et si les trois gars n’ont que leur matos obligatoire, Anne, la femme d’Antoine, me dégote au fond de son sac une couverture surnuméraire ! La classe ! Et total respect pour la simplicité dont ils ont fait preuve malgré la proximité du départ (ils finiront aux rangs 3, 4 et 16 !).
Le départ approche enfin. Toujours pas trace de Manu. Ce n’est que dix minutes avant que les « fauves » ne soient lâchés, après m’être juché sur un mur, que nous nous apercevons. Il était temps, même si au vu du déroulement de la course, nous aurions certainement pu nous retrouver par la suite durant la course. Je vais enfin voir concrètement à quoi ressemblent ces sentiers qui sont, semblerait-il, très courus par les Hongkongais. J’ai aussi fait une super analyse du parcours, après lecture de récits de course des éditions précédentes, examen des cartes topographiques, prise en compte du dénivelé, etc. Je suis convaincu que le début du parcours est plus roulant, plus bitumé, presque un marathon avec un peu de dénivelé, alors que la seconde moitié serait plus raide et en nature. Je me suis donc chaussé en conséquence, peu de « grip » pour partir et des baskets plus profilées dans le sac de délestage que je retrouverai à mi-course. J’aurai largement le temps de me moquer de mes déductions fumeuses, l’ensemble du parcours se révélant beaucoup plus homogène que prévu, avec même une plus grande part bitumée dans sa seconde partie…
Dès le départ, j’ai l’impression d’être au milieu de la fête nationale : il y a des « coureurs-fusées » qui me dépassent de partout !!! Bon, c’est vrai, je suis relativement bien placé dans le peloton, donc certains concurrents devraient aller plus vite que moi sur la longueur, mais de là à voir des « mammouths » de près de 100 kg me montrer leurs talons, il y a un pas que je n’aurais pas osé franchir ! Bref, on voit des sprinteurs passer à droite et à gauche, on évite les photographes au milieu de la route et, après un kilomètre, on voit le rythme fortement se réduire : c’est le premier goulet d’étranglement pour partir sur un sentier. Alors que je parlais d’une première partie roulante, marathon, je sens que je ne suis pas au bout de mes surprises…
On part pour 3-4 kilomètres de single track, style Grand prix de Monaco : hyper difficile de dépasser ! Et pourtant, il y aurait de quoi vu les limaces qui obstruent le sentier… Entre les fusées qui n’avaient manifestement qu’un réservoir de carburant, les traileuses qui ont une peur bleue de la moindre pierre qui jonche le sol (elles ne sont pas encore au bout du parcours…) et ceux qui sont déjà en train d’enlever la troisième couche de vêtement (totalement inutile lorsque le mercure annonce déjà 14°), c’est soit mission impossible, soit slalom à la Ligety obligatoire.
Retour sur le bitume pour parcourir les retenues d’eau des réservoirs et changer de rive. Le soleil est pleine face, encore doux et d’une lumière chaleureuse. Des ombres dansent devant moi, par grappes. Nous traversons West Dam avant d’entamer une petite montée sur le bitume, parfaite pour un petit rythme de course que certains n’arrivent déjà plus à tenir (ne pas partir trop vite, sagesse traileuse maintes fois expérimentée…). Le coup d’œil sur le lac artificiel est de toute beauté, avec les bords échancrés de la retenue d’eau qui forment un paysage dentelé surmonté d’une végétation verdoyante offrant le contraste avec le bleu aquatique.
Ah ! Enfin une descente ! Je me laisse aller, fais monter le compteur à 15 km/h et débouche sur la seconde retenue, East Dam. C’est aussi le premier ravitaillement, après 11 km : on ne va pas manquer de nourriture sur cette course ! En contrebas du barrage, on peut voir le dispositif anticyclone, avec des obstacles destinés à casser les vagues et une sorte de pré-barrage pour éviter que l’eau douce du réservoir ne soit contaminée par de l’eau de mer qui passerait par-dessus la retenue d’eau. Assez impressionnant comme ouvrage, symbole de préoccupations que nous n’avons clairement pas sous nos latitudes.
Après 1h30 de course (526e position), les choses sérieuses commencent avec un premier pic à 314 mètres d’altitude. Même si nous étions pratiquement au niveau de la mer, il est clair que le D+ n’est pas extraordinaire, mais c’est ce qui fera la difficulté de cette course : rien n’est jamais plat et c’est continuellement à la relance qu’il faut s’atteler. La montée sur Sai Wan Shan me donne un bon aperçu du type de terrain que je vais trouver : pentu, caillouteux, marches à gravir, poussière. Je profite du début de course et de la fraicheur dont je peux encore me prévaloir pour lever le nez et laisser trainer mes yeux alentours. Il n’arrive pas souvent de voir la mer en trail ! La vue est dégagée, on distingue de nombreuses baies qui se succèdent, avec une végétation plutôt basse qui n’entrave pas la vue.
Dans mes grandes premières, le passage sur les plages ! C’est un sentiment difficilement exprimable de plaisir mêlé d’étonnement (suis-je bien en trail ?). Je ne peux résister à faire quelques photos, certaines même en courant dans le sens contraire de la course pour avoir le soleil en face (un peu cabotin, je l’admets !). Le plus surprenant est l’absence de gens sur les plages. Réflexions faites, même si pour des Européens qui quittent les frimas de janvier, il fait vraiment chaud, cela reste l’hiver pour Hong Kong et la température doit être trop fraiche pour les locaux. Bref, au bout d’une interminable plage à la « Alerte à Malibu » (sans Pamela malheureusement), je rejoins avec Manu le ravito de Ham Tin (il faut bien que je donne les noms, faire un peu exotique !).
Sans trop tarder, nous repartons pour traverser une anse de terre et rejoindre à nouveau la mer après un petit pic de 200 D+. Le chemin est très facile, parfois même avec une petite bande de bitume au milieu. Si cela ne correspond pas vraiment à ce que j’aime voir en course, je comprends la nécessité de ces aménagements pour permettre de préserver ce sentier de randonnée – et le rendre accessible au plus grand nombre de marcheurs – au vu de l’érosion qui doit se produire lors de la saison des pluies. Certains passages pentus font penser à des mini-canyons, tant l’eau a creusé son lit. Arrivés au sommet de la bosse, un petit coin de paradis s’ouvre devant nous : plage de sable blanc avec pinède en retrait, mer bleue qui jette langoureusement ses vagues sur la plage, contraste de douceur avec l’aridité de la végétation. J’ai bien fait de venir !
On renouvelle l’opération « passage d’épaule ». Je teste un nouveau type de descente, le ruban de bitume au milieu de la végétation et les marches d’escalier. C’est moins fun que ce que je pratique usuellement, mais cela semble bien convenir aux locaux qui sont beaucoup plus à l’aise que dans des descentes plus naturelles. Sans trop m’en rendre compte, je rejoins une nouvelle plage et file sur le 2e check point, Wong Shek, au 28e km. Déjà 3h45 de course et une remontée au 383e rang, sans forcer, juste en laissant sur le bord du chemin quelques « cadavres » d’inconscients qui ont fortement présumé de leurs forces (et qui me font comprendre pourquoi la limite temps est de 30 heures pour 100 bornes !).
En route pour Hoi Ha sur une très chouette portion du trail en longeant la côte. La proximité de l’eau est vraiment très spéciale pour moi dès lors qu’il ne s’agit pas de lacs de montagne ou de torrent ! On traverse de temps à autre un petit hameau de 4-5 maisons, parfois abandonnées, à d’autres endroits on slalome au milieu de jolis potagers, avec une barque amarrée qui semble être le seul moyen de transport pour rejoindre la civilisation et son rythme frénétique.
Il est temps que je prenne un peu de temps pour observer mes adversaires, de confronter mes constatations avec celles qui s’étaient imposées à moi dans le cadre de ma petite balade autour du Mont-Blanc. Tout d’abord, il est clair que la densité de non asiatiques est beaucoup plus importante dans la portion du peloton dans laquelle je me trouve que sur l’ensemble de la course. Beaucoup de Hongkongais et Chinois (selon les infos qui m’ont été données par Manu) s’inscrivent sur cette course sans avoir le niveau physique pour la finir. Ils partent et vont le plus loin possible, réalisant leur défi personnel. Ils se trouvent souvent nettement plus proche de la queue de la course que des avant-postes, ce qui fait que je ne vais pas vraiment être à leur contact, hormis au départ lorsque j’ai vu les fusées partir et au fil des kilomètres, en observant les bas-côtés occupés par quelques traileurs qui ont très fortement présumé de leurs capacités…
Je suis donc entouré de pas mal d’Occidentaux et de quelques expats et voisins territoriaux. Un constat : tous sont hyper bien fringués. Cela me rappelle mon voyage en Corée du Sud où les locaux, pour aller visiter un temple qui demandait 5 minutes de balade et l’ascension de 58 marches, s’équipaient de pied en cape de manière à pouvoir faire face à toute éventualité, y compris être bloqués 5 jours dans la face nord de l’Everest… Ici, la marque est reine et les couleurs plutôt criardes (surtout pour les filles, pratique, on les repère de loin !). Leur manière de courir est également typique pour moi. Ils passent leur temps à se mettre au pas de course pour butter sur la première petite pente et reprendre un rythme de marche façon escargot (si je peux me permettre cette image à la construction boiteuse). Sur ces chemins vallonnés, cela doit donner un curieux ballet pour un observateur extérieur qui voit un chassé-croisé permanent de coureurs (avant que la première montée un peu sérieuse n’achève la concurrence et ne me laisse les coudées franches pour mener le rythme).
Après un peu plus de 5 heures d’effort, j’arrive à Hoi Ha, premier ravitaillement où j’avais décidé de passer un peu plus de temps afin de tester les nouveautés locales : boulettes de riz et soupes de pâtes ! L’endroit est en plus très agréable, en sous-bois, et, dans un coin un peu à l’écart, une femme chante, accompagnée par un malvoyant qui joue au synthétiseur. C’est apaisant, dépaysant, étonnant et… ravissant ! Je déguste donc en musique mon lunch (il est 13h) en attendant Manu qui avait pris un peu de retard sur cette portion. On a passé le tiers du parcours, tout va bien, je suis heureux de découvrir de nouveaux paysages, des dénivelés courts et intenses, des nouveaux visages, des plantes inédites, des points de vue sur l’océan… Il est toutefois un peu tôt pour me prélasser, même si j’adore prendre ces boulettes de riz avec un peu de sel, ces « noodles » qui remplissent bien l’estomac ou les pleines poignées de fruits secs mixés. En route pour la prochaine étape avec, en point de mire, le long break de la mi-course où je retrouverai mon sac d’allégement.
C’est presque à regret que je quitte l’agréable sous-bois où j’aurais volontiers fait la sieste… Je traverse une zone défrichée où des potagers sont en cours de réalisation, des petites maisons isolées et non dénuées de charme. J’ai de la peine à me représenter la distance à la ville, son éloignement du centre urbain de Hong Kong. C’est assez déstabilisant de ne pas avoir de point de repère, ni même une idée de la direction vers laquelle il faudrait se diriger pour retrouver ne serait-ce qu’une route carrossable ! Sur un petit chemin pavé, j’observe pendant quelques minutes un spécimen remarquable de « traileur-je-cours-avant-de-marcher-comme-un-gastéropode » qui fait un passage tantôt à bâbord, tantôt à tribord, lorsque je le dépasse de mon pas régulier. Mon attention est toutefois attirée par un autre phénomène, un coureur bien fringué, athlétique et… pieds nus ! Pas avec des chaussures minimalistes style « five fingers », mais vraiment barefoot ! J’ai mis 40 km pour lui passer devant. Il m’épate complètement et je crois même que j’ai eu l’impression d’avoir mal aux pieds pendant les minutes qui ont suivi cette rencontre…
Le sentier nous ramène au bord de l’océan et nous suivons la côte. Il y a plus d’ouverture et la zone est relativement accessible, avec même un petit village où le ravitaillement est organisé. Je fête l’arrivée au 4e point de contrôle par une bonne soupe de nouilles. Cela fait 6h25 que je suis parti et j’ai parcourus 45 km pour atteindre Yung Shue O (il faut quand même que je mette les noms, ça fait exotique…). Manu arrive quelques 2-3 minutes plus tard, je l’attends pour que nous repartions ensemble en direction de la mi-course et le grand break où je pourrai me changer, voire trouver quelque chose à boire. Il faut dire que sur ce plan, c’est un peu la dèche, du côté de Hong Kong… Moi qui ai enfin trouvé un pis-aller pour gérer mes problèmes d’hydratation en buvant du sirop ou du jus de pomme durant la course et parfois, lorsque l’occasion m’est donnée, un p’tit yop, je n’ai absolument rien de ce que j’ai l’habitude de prendre… Et oui, pas de sirop à Hong Kong, malgré des recherches assidues dans les supermarchés locaux… Pour les yops, vu la chaleur, mieux vaut éviter également de les mettre dans le sac d’allégement de mi-course… Alors je me réjouis d’arriver sur ce prochain ravito car un distributeur de boissons est annoncé et que j’envisage un petit jus (autorisé par le règlement).
Je pars avec entrain sur ce tronçon qui promet une jolie montée. On croise quelques randonneurs qui crapahutent sur ces sentiers qui semblent être très courus par les locaux, sur l’équivalent de 1 ou 2 check point de notre HK 100. La côte est raide, ravinée, parfaite pour faire chauffer un peu les cuisses, mais, contrairement aux Alpes, pas pour trop longtemps ! 1h10 minutes pour les 7 km qui me séparent du break où Manu et moi passeront près d’une demi-heure pour repartir en 316e position. Je suis changé de pied en cape, des chaussures au t-shirt en passant par le slip et les chaussettes !
Nous repartons sur une portion bitumée qui nous fait prendre un peu de hauteur avant de repartir en pleine forêt. Je suis, sans le savoir, en route vers le plus beau souvenir de ce trail, le passage de Ma On Shan. La pente est abrupte pour y arriver, raide à souhait, avec une végétation plus rase et de la caillasse à volonté sous les semelles. L’arrivée au col, dans une lumière douce et chaude du soleil couchant, avec une ouverture sur l’horizon, reste gravée dans ma mémoire. La quiétude qui se dégageait de cet endroit était juste magique, innée, inévitable, intangible. Un moment suspendu dans le temps et l’espace, entre beauté et confiance, foi et nature. D’instinct, j’aurais envie de m’arrêter, de me poser sur un rocher, de contempler, de rêver, d’admirer… Mais je suis dans une course, alors je me contente de ralentir un peu le pas, laissant partir Manu qui connaît le lieu comme sa poche, et de lever la tête, portant mon regard loin devant moi sur les montagnes et la ville au loin, ou derrière pour admirer encore le col habillé de la chaleureuse lumière du soir. Moment d’éternité.
Une succession de montées et descentes nous conduit au poste de Gilwell camp, atteint à la tombée du jour. Il est temps de sortir la frontale et la veste coupe-vent, car la fraicheur du soir s’installe très vite. Malgré mes états contemplatifs, j’ai bien carburé puisque 60 places ont été gagnées ! Après 2/3 du parcours, je pointe en 257e position et je ne suis pas encore trop entamé physiquement (et pas du tout moralement, trouvant cette course plutôt « facile » et amusante).
La pénombre s’installe de plus en plus, surtout en entrant dans une zone forestière qui nous dirige vers le royaume des singes. La plus grande particularité n’est pas qu’il y ait des singes, mais c’est qu’il ne se trouvent pas dans la forêt, justement, mais à sa sortie, sur la route. Méfaits de la civilisation certainement, ils ont plus pris l’habitude de se nourrir de déchets ou de nourriture amenée par des promeneurs que de trouver leur subsistance dans la forêt. Pour nous, le passage est par ailleurs réputé « dangereux », car les cas d’attaques sont connus, plus spécialement lorsque les randonneurs sont seuls. En l’occurrence, rien de tout cela, nous en croisons quelques uns isolés, nous en entendons beaucoup faire du bruit alentours, mais rien de bien inquiétant.
Nous remontons sans souci une route bitumée (qui est au milieu de rien ou que je situe comme telle, étant toujours en désorientation totale !) et j’en profite pour discuter un peu avec une expat belge, Virginie, qui me démontre une nouvelle fois que le monde est tout petit puisqu’elle me dit qu’elle vient de passer ses vacances dans le Val d’Anniviers, où elle adore aller courir, exactement comme moi ! Elle va superbement bien finir, à la porte du top 200 et 24e féminine.
Pour l’heure, il s’agit de se lancer dans une nouvelle montée dans la forêt. L’effort en vaut la peine : nous atteignons un balcon offrant une vue splendide sur la ville aux mille lumières qui s’étend à nos pieds. C’est tout le contraste d’Hong Kong, cet entremêlement des buildings et de la nature, cette quasi symbiose qui unit l’architecture humaine et l’organisation naturelle. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié les travaux d’un photographe, Manuel Alvarez Diestro, qui a travaillé sur ce thème, proposant des clichés de buildings de HK dans un décor de nature envahissante.
L’arrivée sur le meilleur des check point est très sympa. Le ravitaillement est assuré par des scouts et le moins que l’on puisse dire, c’est que la notion d’accueil leur tient à cœur ! Nous sommes déjà encouragés par une troupe en avant-poste 300 mètres avant le ravito, puis le chemin est marqué de petits filaments phosphorescents de couleur, donnant une impression magique dans la nuit noire et conduisant sans hésitation au camp où des dizaines de jeunes sont aux petits soins avec les coureurs qui arrivent, nous laissant à peine le temps de souffler avant de nous demander ce que nous voulons manger, boire, ou quoique ce soit d’autre ! A presque 12h de course, c’est appréciable.
Le froid commence vraiment à se faire sentir. La veste coupe-vent suffit à peine à maintenir la température corporelle lorsque l’on s’arrête. J’essaie de ne pas trop tarder, surtout que le sprint final de 30 km est entamé ! La reprise est des plus agréable puisqu’il s’agit d’une bonne descente qui aurait pu me permettre de lâcher les chevaux. Je dois malheureusement tirer le frein à main : la puissance de ma lampe est trop limitée, ce dont je ne m’étais pas rendu compte en montant à Beacon Hill, auparavant. Je me dis que le prochain ravito n’est pas trop éloigné et que je vais temporiser jusqu’au moment où il y aura à nouveau un apport externe de lumière et où je pourrai sans trop m’embêter changer les piles (que je transporte dans le sac).
Le manque de visibilité me joue bien entendu quelques tours, tantôt vers le bas, en ne comptant plus le nombre de fois où je trébuche sur les racines proéminentes des arbres (je me félicite de toujours accorder pas mal d’importance au niveau de protection des chaussures sur l’avant du pied…), tantôt plus haut, en ramassant en pleine figure 2-3 branches qui devaient être trop hautes pour celui qui a assuré le dernier entretien du sentier !
La course se poursuit avec de nombreuses relances après des petites côtes raides mais courtes. Les jambes commencent à être lourdes et je n’ai plus ma superbe de la première partie de course… Je commence un peu à calculer les efforts. La nuit m’aide, je m’enveloppe dans ce cocon sombre, laisse l’ambiance m’envahir (bruits inconnus, absence de points de repère) et je me dis que j’ai d’ores et déjà réussi ma course en étant arrivé aux trois quart sans difficultés, sourire aux lèvres.
L’avant dernier ravitaillement point au bas d’une descente, dans une zone de détente. Nous croisons quelques jeunes qui ont mis la musique à coin et qui discutent, dansent et boivent autour d’un feu. Je valide mon passage en 13h15 de course au 237e rang et file m’assoir sous une tente, à la lumière et à l’abri du froid pénétrant de la nuit, pour changer mes piles de lampe. Je me restaure de quelques bananes, oranges et fruits secs, bois un verre de coca et repars avec Manu pour 7 km relativement pentus. Je commence à être dans le dur, le rythme s’est fortement ralenti. J’ai aussi des difficultés à boire et à manger, signe que la fatigue s’est vraiment installée et que le corps est en train d’envoyer un petit signal de ras le bol ! Bien entendu, je n’en ai cure, à 15 km du but, il peut râler tout ce qu’il veut, j’irai de toute manière au bout de la course !
Voilà, au terme d’une descente, le dernier ravitaillement. Il fait vraiment froid. Je m’assieds sur un banc avec un peu de coca en attendant que Manu ait fini son arrêt technique. Si j’avais su, j’aurais anticipé et serais parti en avance plutôt que me refroidir… parce qu’à peine reparti, je me rends compte que je n’ai plus les jambes pour appuyer et garder un rythme dynamique. Je vais être contraint de subir cette montée que Manu connait bien et qu’il m’a décrite comme relativement ardue dans sa première partie, avant de rejoindre une route forestière moins difficile et moins intéressante également. Bref, après 5 minutes, je dis à Manu, qui s’est refait une santé, d’y aller à son rythme, tant pour éviter de lui faire perdre inutilement du temps que pour prévenir de mon côté une tentation de forcer et de me retrouver dans le rouge. Il va me prendre plus de 20 minutes en 10 km !!
Bon, j’ai adopté le pas du guide, me concentre pour utiliser au maximum chaque poussée de mes cuisses pour me hisser un peu plus haut. C’est un travail d’abnégation qui me conduit hors de la forêt sur une sorte d’alpage parsemé de pierres où le vent souffle (frais !) et les nuages prennent par moment leurs quartiers. C’est une jolie ambiance, un peu écossaise ou proche des « hauts » plateaux de Madère, qui m’accompagne jusqu’au sommet de Tai Mo Shan, point culminant de Hong Kong, qui se révèle entre étoiles et brouillard, avec une antenne satellite aux allures d’extra-terrestre.
Je bascule dans les 7-8 derniers kilomètres, tout en descente sur une route bitumée. Autant le dire tout de suite, cette partie du trail n’a aucun intérêt ! Je m’en étais pourtant fait une image très positive en m’imaginant arriver en bonne forme au sommet et prêt à enclencher le turbo dans la descente. Cela restera de la fiction… Je maintiens péniblement un petit 11km/h et rejoins juste trois concurrents qui m’avaient passé en fin de montée. Le dernier d’entre eux, c’est dans les 300 derniers mètres que je l’enrhume, galvanisé que je suis par l’audition du speaker d’arrivée qui encourage les finishers.
Voilà, la ligne est passée ! 16h55 d’effort, de découverte, de plaisir, d’ambiances, de partage, de plages, de réservoirs, de forêts, de racines, de pierres, de mers, de lacs, de noodles… Je n’ai pas vu le temps passer… J’apprends que je termine 233e sur les 1800 inscrits : je suis aussi surpris que content, surtout au vu de mon entraînement plus que léger pour cette course qui était surtout un prétexte au voyage et non un objectif majeur pour moi. Pour finir, j’en suis presque à regretter que Hong Kong soit si loin, je crois que j’aurais eu plaisir à la refaire, cette balade de 100 bornes et ses 4500 mètres de dénivelé ! Qui aurait cru que la nature était si présente dans la ville des buildings ?
3 commentaires
Commentaire de o[Bob] posté le 17-08-2016 à 19:32:56
Voilà un récit aussi vivant que dépaysant ..!
Merci pour le voyage, et pour cette écriture limpide..
Commentaire de CharlyBeGood posté le 18-08-2016 à 10:10:16
Merci pour ton appréciation ! Question dépaysement, c'est vraiment top, à faire au moins une fois (Hong Kong ou un autre pays asiatique, je pense).
Commentaire de AldeBleau posté le 22-10-2017 à 21:52:17
Quel plaisir de retrouver, à travers un autre regard, ces sensations du HK100 ! ;+)
Clairement pas dans la même catégorie, tu m'as mis presque 10h dans la vue !!
(Il est vrai que j'avais 50h de dette de sommeil, mais tout de même...)
Le trail exotique, c'est magique !
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