L'auteur : Renard Luxo
La course : La Bouillonnante - 72 km
Date : 23/4/2016
Lieu : Bouillon(B) (Belgique)
Affichage : 2608 vues
Distance : 72km
Objectif : Se défoncer
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Samedi 23 avril, 2h30 (du mat …). Au lit seulement à 23h00 la veille, et à 2h, pression de la course oblige, plus moyen de fermer l’œil, çà fait court tout çà … En y ajoutant quelques semaines assez hard au boulot, une gastro à peine « digérée », cette Bouillonnante 2016 ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Côté positif, un début de saison assez constant dans le premier décile des classements, ainsi que ma meilleure performance sur ultra à ce jour début mars aux Crêtes de Spa.
3h10, Yves est arrivé. Horreur, je découvre en ouvrant la porte l’ampleur du désastre climatique. Les 20°C de jeudi sont loin. 5°C tout au plus, et une pluie tenace et constante. On se regarde un peu comme deux chiens battus, ou qui s’apprêtent à l’être c’est selon … Avec ses 73 Km, 3.200 m D+ et quelques parties techniques bien gratinées, cette édition s’annonce déjà dantesque. Durant le trajet, le reset mental s’opère pourtant déjà sur ces routes détrempées, participant ainsi à une forme de thérapie préventive.
4h30, suivant le flot silencieux des coureurs vers l’Esplanade, nous entrons dans le chapiteau. Eclairé au seul feu des bougies, j’ai cru en une énième ruse du P@t (Patrick Van Gasse, le G.O. de l’épreuve) visant à renforcer la dimension crépusculaire de l’épreuve. On apprendra plus tard qu’il s’agissait d’une « bête » panne électrique. Faut pas lui dire, mais j’ai trouvé çà assez sympa, cette ambiance intimiste propice à entrer dans sa bulle, et comme de toute façon on démarre à la frontale, point besoin de la fée électricité pour régler les derniers détails techniques (prépa dossard, crémage généreux des pieds à la nok, et autres « manies »). Tout le monde retarde sa sortie du chapiteau, dehors c'est de la pluie bien dégu*, mais à moins le quart, l'orga nous enjoint de cheminer vers la cour du château. Tous en file indienne dans les recoins de ces galeries séculaires, échos de moults sortilèges et autres tortures, ce trail prend décidément une dimension sectaire, ne manque que le guide pour que la promenade prenne un accent touristique !
Il est 5h, mais Bouillon ne s’éveille pas … Nous voilà néanmoins bel et bien, on se demande un peu ce qu'on fout-là vu les conditions, mais fini de pleurer sur son sort, ON Y VA ! Positionnés dans le premier tiers du peloton, nous quittons rapidement les faubourgs pour nous diriger vers le traditionnel sentier Ladmirant, puis un camping où quelques courageux participants ont planté leur tente (respect ... ). Bouchon tout aussi habituel au pied du premier single du parcours, tortueux tant dans sa partie ascendante que descendante. Comme d’habitude « j’aime pas être à l’arrêt », çà me donne des fourmis dans les jambes, et j’exploite donc la longue côte qui suit sur un chemin large et au pourcentage régulier pour me repositionner. Suit une descente assez technique et jonchée de troncs d'arbre suite aux deux tempêtes qui ont frappé nos régions cet hiver. Certains coureurs ne semblent pas trop à l’aise, j’en profite pour pacmaniser encore un peu. Yves a bien fait de ne pas embrayer car j’attaque assez fort, sans doute un peu tôt d’ailleurs, mais avec un objectif fixé autour de 9h-9h30 et un premier quart de course plus abordable, j’ai le sentiment que c’est l’occasion de thésauriser un peu en prévision de la chute inévitable des moyennes horaires.
Je croise quelques connaissances, Stella (la fameuse coureuse au look capilaire si particulier, habituée des podiums féminins ; on la voit partout !), Stéphane le Bomalois, puis Michel, qui paraît assez « facile ». Je ferai le premier tiers de course avec lui, le tout immortalisé dans une de ses vidéos dont il a le secret. P@t a sérieusement corsé l’approche de Frahan (premier ravito liquide). Finie la section d'échauffement tranquille vers Corbion, faut-il déjà commencer à gérer ???
Frahan. Je te reverrai - peut-être - dans une bonne quarantaine de Km, mais n'y pensons pas ... Remise de la frontale au fond du sac, un gobelet d'eau en rab, en route pour Mouzaive. Trois difficultés condensées sur 10 km, on entre dans le vif du sujet. Le moral est bon, on plaisante avec Michel. Sur les hauteurs vers Cornimont, un vent assez soutenu assure un séchage bienvenu des textiles, le ciel demeure certes menaçant mais la pluie cesse progressivement, cool. Comme la châleur n'est pas mon amie, j'apprécie plutôt ces conditions.
Une descente technique et glissante typique des crêtes de Semois (pierres schisteuses instables, racines, amas de feuilles) pour arriver au premier « vrai » ravito à Mouzaive. Je ne m'y économise pas, les jambes tournent bien, profitons-en. 3h06 de course (3h espéré), je commence à comprendre que l’objectif final de 9h est prétentieux, et désormais il semble sage d'ambitionner 9h30. Fidèle à la tactique adoptée depuis quelques mois pour cause d'estomac capricieux en course, je m’alimente très peu, privilégiant l’hydratation. Michel me rejoint, et peu après voici déjà Stéphane ! Il semble en état de grâce mais je lui conseille quand même de lever un peu le pied quand il me dit qu'il vise les 8 Km/h de moyenne. Sa gestion de course sera exemplaire au final, sachant que c'est une première sur un format aussi long.
Je commets pour ma part une erreur, qui aura des conséquences physiques et morales importantes par la suite : je repars "pied au plancher", et sans Michel. Sa compagnie n’aurait pas été un luxe pourtant sur cette section diabolique en dents de scie de 25 Km (1.200 m D+), en autonomie complète et sans répit ou presque. C’est le véritable juge de paix de cette Bouillonnante, et il va faire des dégâts ! Les premiers murs se présentent mais le cardio accuse bien le coup, l’important travail de dénivelé est payant, et il paiera d’ailleurs jusqu’au bout. Descente sur Vresse et son pittoresque pont Saint-Lambert. Les jambes un peu lourdes dans la relance vers Laforêt (village carte-postale qui mérite le détour), je passe en mode rando sportive à la sortie. Le niveau est élevé sur cette course car depuis la partie de pacman de tantôt, je parviens juste à conserver ma place, jouant au yo-yo avec une dizaine de coureurs, pour certains jusqu'aux derniers Km.
Le tracé est génial, il n’y a rien à jeter, et dans une énième descente technique vers Membre, je me fais à nouveau très plaisir. Un peu trop sans doute car je ressens quelques douleurs aux genoux et aux cuisses. Et dire qu’on est seulement à la mi-course ?!? Le mal est fait, j’ai grillé une bonne partie de mes cartouches, les 2-3 dernières il va falloir les garder pour les coups durs. Les côtes passent bien, mais les relances sont difficiles. Les descentes, que j’apprécie tant en général, se transforment progressivement en chemin de croix. Obligé d’adopter une foulée en canard, je subis davantage les obstacles naturels que je ne les surmonte. Les pieds commencent à prendre cher du coup évidemment, çà tape dur, sans compter que tout un biotope minéral et organique s’est invité dans mes godasses. Trop la flemme de les enlever et de revoir le laçage, je me résous à faire avec le plus longtemps possible. La longue séquence de faux-plat sur le plateau avant Alle me mine sérieusement le moral, il faut se faire violence pour relancer. Autre problème, je suis un peu court avec le litre de boisson embarqué (moitié eau, moitié isotonique), rationnement obligatoire
La descente vers le ravito me flingue définitivement les guiboles. 50 Km, un peu plus de 6h de course. Beaucoup sont dans le dur et jetteront l’éponge ici. Je serais bien tenté d'en faire autant mais les premiers rayons de soleil me ravigotent un peu. Toujours pas trop faim, mais je m’efforce de manger quelques tucs et autres morceaux de fromage, suivi d’un coup de coca pour faciliter la digestion. Un petit 150m de D+ en guise de reprise, ce n’est pas pour me déplaire. Je décide d’adopter une stratégie mixte pour essayer de finir dignement : course "économique" en descente, alternance marche-course sur les parties +/- roulantes, et marche sportive sur les gros pourcentages. Stratégie payante car je reste au contact du même groupe de coureurs, profitant de chaque grosse difficulté pour regagner le temps perdu sur les autres sections.
Sur le sentier des Crêtes avant Frahan, nous rejoignons les coureurs du 29 Km (2ème vague). Contre toute attente, je parviens non seulement à suivre, mais même à en dépasser certains. Bon, certes ce ne sont pas tous des « flèches », mais toute pensée positive susceptible de me faire croire que je ne suis pas complètement cuit est bonne à prendre à ce moment.
7h42 et 60 Km de course, qu’il est loin l’objectif optimiste de 9h, et même 9h30 … Cette fois je me pose un minimum à l’occasion du dernier ravito complet de Frahan. Il n’y a qu’un banc pour les coureurs, un peu chiche quand même, mais comme j’ai réussi à y poser mes fesses, je ne m’en plains pas. Comme sur les autres ravitos, les bénévoles sont heureusement aux petits soins, et ils me remplissent mes flasques sans rechigner et avec le sourire. Je saisis enfin l'occasion d'enlever mes chaussures, de vider tout ce qui s’y trouve, et desserrer un peu le laçage. Bien gonflé les panards ! Le coup de pied droit est rouge et douloureux (je le sens encore un peu 2 semaines plus tard …), rien toutefois à côté des genoux et des adducteurs. Impossible désormais de donner de l’amplitude aux foulées, et on se contentera donc de trottiner là où ce sera encore possible.
L’avantage, c’est que je connais le final comme ma poche et j'apprécie particulièrement l’enchaînement mur de Rochehaut – « promenade » des échelles (pas pour promeneur du dimanche quand même …). C’est ici que je balance une dernière grosse mine. Certains coureurs, y compris du 29, semblent plantés dans la pente, à la recherche de leur second, voire 3ème souffle. A partir d’ici c’est du chacun pour soi, marche ou (plutôt) crève, Yeppee Kay Hey M*** F***, et j’en passe. Dans mon délire paranoïde, je rattrape Benoît (l’inséparable compagnon de route de Quentin), qui (lui) me reconnaît … « Mais où est-il Quentin au fait? » « Il est sur le 29 ». Dommage, je m’attendais à jouer à "(r)attrape-moi si tu peux", comme sur le 104 l’an dernier, et une série d'autres trail où nous avons contume de nous croiser. Ce sera pour la TDS alors
Arrive une section que j’ai toujours détesté : la longue portion descendante qui doit nous mener au pied de Botassart. Les genoux n’en veulent plus, la douleur me fait venir les larmes aux yeux mais je mords sur ma chique pour maintenir un tempo qui ne doit pas dépasser les 8 Km/h tout au plus . Une nuée de coureurs, du 29 pour l'essentiel, me laissent sur place. La remontée sur Frahan, dans le ruisseau sur sa première partie, me redonne le moral. Le fantastique point de vue du tombeau de Géant aussi, enlacé par une Semois qu’il me tarde de traverser : la quille n'est pas loin ! Redoutée par certains, attendue par d'autres, la fraîcheur de cette eau à 8-10°C tout au plus va, je le sais, jouer son rôle de cryogénisant naturel sur les tendons et muscles endoloris.
Le courant est fort, et le premier gué est limite praticable (1 bon mètre par endroit ) suite aux fortes pluies de la nuit précédente. Malgré la corde tendue au-dessus des flots, je manque à plusieurs reprises de valser en butant sur quelques grosses pierres au fond de l’eau. D’autres n’y échapperont pas, victimes parfois consentantes, fou-rire garanti ! Une dernière relance avant de monter sur la crête rocheuse et de basculer sur l’autre rive du Tombeau. C’est à ce moment que je vois revenir Michel, comme d’habitude il termine très fort, et je me garderai bien de le suivre. En le voyant filer sur le sommet, je regrette un peu plus encore la témérité du premier tiers de course, il y avait place pour davantage de partage sur ce trail, je m'en souviendrai.
Cela étant, çà sent bon l'écurie quand même ! Un court salut aux joueurs de djembé qui chaque année rythment la bascule sur Bouillon. Les endomorphines, le retour du soleil, et le double bain dans la Semois font leur effet. Cette descente que je redoutais un peu se passe mieux que prévu et je pousse même une dernière petite accélération sur le bas. Quentin est assis sur le vieux pont (dit "de la poulie") et me procure un dernier encouragement. Benoît suivra quelques minutes plus tard. Dernière grimpette pour regagner l’Esplanade, les jambes piquent mais pour faire honneur au public, je m’efforce de relancer une dernière fois. Verdict : 9h56. L'objectif intermédiaire de 9h30 était peut-être envisageable, mais je fais logiquement les frais du début de course rapide (jeu à somme nulle ?), et aussi d’une gastro tenace qui a perturbé le programme.
Je salue quelques connaissances puis je file rapidement vers la douche. C’est qu’il fait bien frais quand même une fois à l’arrêt, et comme tout le monde semble bien emmitouflé autour de moi ... Je me demande comment Yves a géré cette course. J’ai passé trop peu de temps avec lui pour savoir s’il est ou non dans un bon jour, surtout que les gros passages techniques rendus glissants ne sont pas vraiment sa tasse de thé.
Je remonte sur l’Esplanade, voici déjà Stéphane ! Premier gros ultra pour lui, et il fait une belle perf. Il n’a même pas l’air marqué par l’effort, bien entouré par sa petite famille qui a joué l’adjuvant moral là où il fallait. Je me dirige vers la table de chronométrage, Yves vient de pointer à Botassart. Tant qu’à faire, autant profiter d’un bon massage pour tuer le temps, mais avec la file attente, il s’écoule vite ¾ d’heure avant de sortir de la tente. J'espère ne pas l'avoir "raté". Ouf, il n’est pas dans le chapiteau, je me range donc sagement dans le public à l'extérieur, guettant le passage du survivor sur le pont de la poulie en contrebas. Il ne tarded’ailleurs pas à apparaître ! Shooting photo dans la dernière ligne droite. Je le retrouve un peu contrarié car il a été le dernier à franchir la Semois (où il a connu les joies du bain intégral ). L’organisation jugeant le passage trop dangereux, ses poursuivants ont gagné au moins ¼ d’heure dans l’affaire, une vingtaine étant logiquement repassés devant … On relativise vite ce fait de course car Yves a tenu la cadence sur un terrain qui ne l’avantage pas. Il n’a pas connu de grosse galère, ce qui est de bonne augure pour notre objectif commun, la TDS fin août à Chamonix.
Bilan d’après-course. J’ai été bluffé par cette Bouillonnante 73, du lourd, des passages techniques, des paysages somptueux, mais aussi un format assez compliqué à gérer car trop long pour y aller à fond, mais pas assez non plus pour rouler au frein à main en permanence, en tout cas si on vise un chrono un peu ambitieux. Sur le 56 Km des Crêtes de Spa le mois dernier, j’avais pu relancer quasi non-stop. Ici, j’ai recherché en vain le bon tempo pendant 40 Km, avant de subir l’essentiel des 30 derniers. Avec le temps, je réalise que les trails courts ou moyens me conviennent décidément mieux, mais il ne faut pas toujours rester dans sa zone de confort si on souhaite progresser ou trouver de nouvelles réponses. La grosse satisfaction vient du D+, davantage travaillé à l’entraînement, et ce travail a payé.
Vivement 2017 pour voir ce que P@t va encore nous concocter. Chaque année il innove et parvient à entretenir le mythe de cette Bouillonnante. Pourvu que çà Bouille encore longtemps !!!
4 commentaires
Commentaire de poucet posté le 09-05-2016 à 09:15:41
Excellent !!! Bravo pour ton courage, malgré la douleur ...
Quel beau récit, je me suis régalé !!!!
Merci Renard. Bonne continuation. Bonne chance pour la TDS !!!
Poucet sous le soleil Corse
Commentaire de Renard Luxo posté le 09-05-2016 à 13:06:50
Merci, profites-en bien l'ami, c'est sûr que çà doit changer des Vosges et de nos Ardennes. Encore que ce WE on a dépassé les 25°C quand même ... :)
A la (re)voyure !
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 15-05-2016 à 19:06:12
Bravo le Renard pour cette course mythique bien menée malgré la douleur. Le Mustang m'a toujours vanté les courses belges et il semble avoir raison à te lire.
Commentaire de Renard Luxo posté le 15-05-2016 à 20:40:28
Mr Lutin après Mr Poucet, que du beau monde ! J'ai un peu morflé certes, mais la gestion de course fut très approximative aussi, on récolte ce qu'on sème ... L'Ardenne belge ne pardonne rien aux audacieux, çà monte moins haut mais très souvent :) Amitiés.
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