Récit de la course : 80 km du Mont-Blanc 2015, par tikrimi

L'auteur : tikrimi

La course : 80 km du Mont-Blanc

Date : 26/6/2015

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 5001 vues

Distance : 82km

Objectif : Terminer

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Mon baptême de l'ultra lors des 80k du Mont-Blanc

Première fois que je fais un compte rendu de course. Étant donné que je vais faire un seul compte-rendu pour la famille, les amis et la communauté Kikourou, désolé si certains détails vous semblent superflus, mais normalement tout le monde doit s’y retrouver.


Donc l’aventure commence l’année dernière, je m’étais inscrit au tirage pour les 80km du mont-blanc, et lors du meeting qui réunit tous les employés de ma société (c’était peu avant la SaintéLyon), je reçois un mail qui m’indique que j’avais été tiré au sort (en fait, je crois que la course n’était pas pleine). Franck (finisher de la première édition), me glisse alors dans l’oreille la phrase suivante: “t’es dans la merde”, mais moi j’étais tout content, j’allais passer le début de l’année 2015 à préparer cette course, et découvrir le monde de l’ultra trail.


Je vais passer sur la préparation, car elle s’est passée on ne peut mieux, validation du matériel, de l’alimentation, du volume, de la qualité, pas de blessure ni de maladie. Juste une petite bronchite à 10 jours de l’épreuve, mais la préparation était terminée. Le repos a donc été forcé, et j’ai même terminé mon traitement antibiotique 3 jours avant la course. Je me sens dans la forme de ma vie. La préparation a clairement été plus difficile pour Astrid. Pas simple de vivre avec quelqu’un qui prépare une telle épreuve.


Les derniers jours sont longs, je suis impatient d’y être. Avec Thomas, on échange de nombreux messages sur le plan de course et sur la logistique sur place (Thomas participe aussi au 80k), et toutes les pauses au boulot avec Franck sont prétextes pour parler matériel, entraînement, alimentation en course.


Matériel et alimentation en course. Puisque qu’on y est, on va évacuer tout de suite le sujet. Ceci a été rapidement validé lors des entraînements, et affiné dans les derniers jours avec les prévisions météo.

Pour le matériel ça sera (je vais de bas en haut):

  • Des chaussures Hoka Rapa Nui 2. Je les utilise depuis maintenant 3 mois. C’est d’un confort incroyable sur du long, et elles gomment pas mal les aspérités du terrain en descente.
  • Des chaussettes Kalenji Kiprun Trail. J’aime beaucoup ces chaussettes car elles ont un bon maintien, et le système de double chaussette sur l’avant évite les frottements.
  • Des manchons de compression booster de chez BV Sport. Je ne sais pas si c’est vraiment utile, mais il me semble quand même que ça réduit pas mal la fatigue musculaire dans les mollets.
  • Mon short/cuissard Salomon que j’ai depuis l’année dernière.
  • Une ceinture porte dossard, sur laquelle il y a aussi mon gobelet pour les ravitaillements.
  • Un tee-shirt Ulta Carrier de chez WAA. C’est un tee-shirt avec 2 poches devant (j’y place mon téléphone et des pâtes d’amandes), et deux poches à l’arrière (j’y place une flasque de 500ml de gel, et une flasque de 500ml d’eau).
  • Ma montre: une Suunto Ambit 2 que j’ai depuis 2 ans.
  • Un buff roulé autour du poignet (pour m’essuyer), et un autre (plus petit) autour du coup.
  • Une casquette.
  • Mon sac à dos: le Salomon Advenced S-Lab Hydro 12 que j’utilise depuis l’année dernière dans lequel j’emporte:
    • Une paire de manchettes, et un coupe vent hyper léger (le S-Lab Light Jacket de chez Salomon) que je place dans la poche rapide.
    • Ma veste obligatoire (une veste RaidLight) que je comprime avec un buff de rechange
    • Du petit matériel et un peu de médoc (2 comprimés de paracétamol, 2 sachets de Smecta, un peu d’elasto, un couteau suisse, 20€, ma pièce d’identité, ma carte bleue, une couverture de survie). Tout ceci est dans un petit sac de congélation.
    • Une paire de chaussette de rechange. Pour changer de chaussettes à la mi course après le passage des névés.
    • Un petit tube de crème solaire.
    • Un tube de crème Nok.

J’ai dans la tête une phrase de Julia (accompagnatrice en moyenne montagne au départ de la course, et aspirante-guidette à l’arrivée): “les gros sacs sont remplis d’angoisse”. Je pars donc léger, et confiant avec du matériel déjà testé souvent à l'entraînement et parfois en course.


Détail qui a son importance, alors que j’ai toujours couru avec, je ne vais pas emporter de bâtons sur les 80km du Mont-Blanc. Le pari est risqué, mais je ne les ai pas utilisés du tout cette année à l'entraînement, et de ne pas les prendre me permet d’avoir plus de liberté pour m’alimenter, de monter moins vite (et oui en ultra c’est un avantage), et du coup d’arriver en haut plus frais prêt à “envoyer” dans la descente.


Au niveau de l’alimentation, j’ai prévu (et testé jusqu’à 6 heures à l'entraînement) la routine d’alterner toutes les 15 minutes, de l’eau plus un gel longue durée maison (recette fournie par Alain Roche), avec de l’eau et une demi pâte d’amande Gerblé. J’embarque donc dans mon sac 24 pâtes d’amande (ça sera le superflu de mon sac, mais on verra ça plus tard), et une flaque de 500ml de Gel. Je sais bien que je n’ai que du sucré, mais je compte prendre le salé (des soupes) aux ravitaillements de l’organisation.


Allez, direction Chamonix. Je bosse encore jeudi matin, mange quelques pâtes au boulot, puis je fais l’heure et demie de route qui me sépare du Camping où Thomas arrivé 20 minutes avant moi m’attend. Je monte rapidement la tente (en 2 secondes ;)). On blague en se disant que le petit déjeuner de demain matin est déjà servi (nous sommes en face du Brévent), puis on se dirige vers le centre ville pour retirer les dossards. Un petit peu de queue, et quand arrive mon tour, j’entends “Christophe”. C’est Lucie du Caf du Pays de Gex qui m’appelle pour me donner mon dossard. Elle a fait le 80km l’année dernière (cette année elle participe au kilomètre vertical, avant d’attaquer la TDS fin août). Ça me fait très plaisir de la voir (elle contrôle quand même mon matériel obligatoire!!!), on discute un peu et me donne les derniers conseils dont un qui aura son importance: “il reste de la neige pour descendre sur le lac Emosson, n’hésite pas à faire de la luge sur les névés”... et c’est aussi pour ça que j’ai emporté une deuxième paire de chaussettes. Dans le village expo, on achète avec Thomas les tatouages du parcours, puis retour au camping pour une petite sieste.


On prend avec Thomas notre dernier repas avant la course (nous sommes jeudi soir, et en ce qui me concerne, le prochain repas sera samedi midi pour un barbecue organisé par le CE de mon entreprise), on règle les réveils pour 2h45 puis direction dodo.


Je dors très peu (je pense même pas une heure), mais je m’étais préparé à ça (une semaine de bonnes nuits avec des siestes de 25 minutes sur l’heure du midi). A 2h30, je commence à me préparer. Thomas mange des gâteaux sport maison pendant que moi j’avale un bol de crème sport déjeuné d’Alain Roche (la recette est disponible sur Internet, mais perso j'achète les boîtes). Cette crème est hyper digeste, et comme tout le reste déjà testée à l'entraînement (j’avais fait une fois un départ à 4h du mat pour tester ça). Puis vers 3h30, on se dirige vers la ligne de départ au petit trot. C’est le moment de rentrer chacun dans notre course. Thomas se dirige vers l’avant du peloton (il a un objectif de 18h), moi je me positionne vers la fin (j’ai pour objectif de finir tout en espérant mettre entre 20 et 22h mais sans plus de conviction que ça). La seule chose de prévue en fait, c’est de monter au Brévent en 2h45 (ce qui est très lent, mais qui veut voyager loin préserve sa monture...). Je compte donc bien “profiter” des bouchons du départ pour ralentir l’allure.Un coureur voulant régler son altimètre me demande si je sais à quelle altitude on est. Je lui dis d’attendre 1 minute que je lance ma montre, et ma montre annonce 500m. Houston, y’a un problème là, c'est la première fois que ma montre me fait ça (ma montre est normalement équipée d’un système qui fait qu’avec le baromètre et le GPS, il n’y a pas besoin d'étalonner l'altimètre). Je ne prête pas plus attention que ça à ce problème, me disant qu’il se mettra à jour plus tard. L’altitude restera fausse toute la course. Si au début c’était assez simple de faire une addition de 575, plus le temps avancait, plus ça se compliquait.


Bon, et bien quand il faut y aller il faut y aller. Gros frisson en passant la ligne de départ en me disant que je ne la reverrai que le lendemain. Ça part vraiment tranquillement, des tout petits ralentissements quand ça se rétrécit, puis un gros bouchon de 15 minutes (c’était prévu, donc pas de panique). Je suis maintenant installé dans ma routine d’alimentation, l’allure me convient parfaitement, et le jour commence à se lever. C’est juste magnifique, je pense à Astrid. L’hiver à chaque fois que l’on a l’occasion de voir le lever du jour sur le Mont-Blanc depuis la fenêtre de notre cuisine nous sommes en admiration, et là je vais avoir le droit à une heure de cette belle lumière qui se lève sur la chaîne du Mont-Blanc. Je m’imagine revenir avec elle une prochaine fois. La fin de la montée vers le Brévent est très jolie, on entre dans le minéral, et j’arrive au sommet en 2h45 et 40 seconde. J’ai donc 40 secondes de retard sur ce que j’avais prévu… bref, tout va bien et je suis parti pour une bonne journée. Je m’arrête 5 minutes au sommet pour faire la vidange, remettre ma chaussette dans la chaussure qui a tendance à glisser avec la crème Nok, et faire un laçage plus adapté à la descente. Et c’est parti pour la descente, au ravito à altitude 2000, je ne m'arrête pas car il y a beaucoup de monde, et que j’ai largement assez d’eau pour tenir jusqu’à la Flégère. Je suis déjà bien installé depuis 3 heures dans ma routine d’alimentation, donc je n’ai pas besoin de solide...sauf que la Flégère n’est en fait qu’un point de comptage, et qu’il n’y a pas d’eau (je vais devoir attendre le Buet). Il va falloir faire attention à l’eau pendant la prochaine heure, mais bon, il est encore très tôt, il fait frais, et l’allure est faible donc ça va aller. En remontant vers la tête aux vents, j’arrête de doubler (j’ai doublé 110 personnes pendant la descente jusqu’à la Flégère), pour me remettre en mode ascension (et oui, sans bâtons je suis moins efficace, mais je sollicite moins mon système respiratoire). Je me dis que fin août pour la CCC je vais devoir emprunter ces chemins dans l’autre sens de nuit ou au petit jour avec 85km dans les jambes. On croise 4 ou 5 chamois qui doivent se demander ce qu’on fait ici à cette heure, et c’est reparti pour une partie de Pac-Man dans la descente vers le Buet (40 places de gagnées). Je repense à mes séances de casse de fibres où je faisais du fractionné dans les descentes. En fait c’est exactement ce que je fais: dans les phases de récupération je reviens sur des petits groupes que je double en accélérant. C’est le problème lorsque l’on est dans la fin du peloton, il y a beaucoup de trafic, et il faut faire avec, mais je prends vraiment beaucoup de plaisir à courir les descentes, et j’ai maintenant l’impression de plus m'économiser qu’avant. J’arrive au Buet en 5h45 bien frais, et la barrière horaire est à 1h15 derrière moi (je ne le sais pas encore, mais ça sera mon avance maximale su cette barrière). Je fais le plein d’eau (j’étais à sec), je prends un verre de coca, une soupe de vermicelles, et c’est parti pour le plat de résistance: le col de la terrasse.


Le début de l'ascension se passe bien. Je fais un petit bout avec un coureur qui me dis texto: “j’ai fait la Maxi-Race en 15h, et bien je peux te dire que la Maxi-Race à côté de ça c’est un truc de tapettes”. Il croit bon de rajouter quand même qu’il na rien contre les tapettes. Là je commence à m’inquiéter un peu, car je ne pense pas valoir 15h sur la Maxi-Race et que pour l’instant c’était plutôt facile. Suis-je bien à ma place? L'ascension continue, On sort du bois et je vois un panneau qui indique le col de la terrasse à 3h. J’ai pris l’habitude de diviser les temps de ces panneaux par au moins 2, donc je me dis que tout va bien. Mais en fait non, tout ne va pas bien, je n’avance plus, j’ai besoin de boire tout le temps, de m'arrêter tout le temps (ça fait bien longtemps que je ne me suis pas arrêté dans une côte), et des wagons de personnes me doublent. Je me dis que ce n’est qu’un mauvais moment à passer et que ça va revenir. J’arrive à identifier des personnes aussi lentes que moi donc ça m’aide à tenir. Tant bien que mal, j’en finis avec ce col. Alors que je suis presque en haut, j'aperçois une énorme pierre (plus grosse qu’un ballon de foot qui part). Tout le monde hurle “pierre”, mais au dernier moment, la pierre rebondit, change de trajectoire, et un coureur se la prend sur le côté gauche. La pierre explose alors en deux. Il y avait dans ce col un important dispositif de sécurité, on entend tout de suite que la personne est consciente mais qu’elle ne repartira pas. Elle sera évacuée par hélicoptère, et j'apprendrai dans la nuit au Montenvers qu’elle s’est fracturée le bassin.


Enfin ce foutu col est passé, c’est toujours magnifique, et c’est parti pour la descente vers le lac d’Emosson. Je me dis que je ferai un check-up complet du bonhomme en bas. Les premiers névés présentent peu de pente et doivent être courus. viennent ensuite les névés dont Lucie m’avait parlés la veille. Je vois la trace de luge, mais il y a des coureurs qui essayent de marcher dedans. Bon, je prends mon élan, et hop sur les fesses à glisser dans la neige. Je gueule pour que les personnes s’écartent de ma piste de luge, et une bonne partie de la descente se fera sur les fesses!!! Incroyable le gain de temps et d'énergie que procurera cette descente. La fin de la descente est plus classique, des chemins et beaucoup de caillasse.


Arrivé au ravito à Emosson, il est temps de faire le point. Une chose est certaine, je n’avance pas dans les montées, et le fait de ne pas avoir de bâtons n’explique pas tout (je pense avoir trouvé l’explication dans la montée suivante), par contre je suis dans un très bon état de fraîcheur, les jambes vont très bien (je viens de doubler 60 personnes dans la descente)... mais la prochaine barrière est 700 mètres plus bas, et il ne faut pas traîner car avec mon ascension catastrophique du col de la terrasse je n’ai pas tant d’avance que ça. Au ravito, je fais dans le classique, soupe, coca, quartier d’orange. Je sens que mon estomac demande quelque chose d’un peu consistant et je prends donc deux morceaux de pain que je compte manger en marchant tranquillement à la sortie du ravito. Le ravito était vraiment très bien, il y avait même une fanfare, mais le problème d’Emosson, c’est que c’est en Suisse. J’adore la Suisse, mais au niveau du pain… je suis encore en train de chercher une formule de politesse pour ne pas vexer. Une simple bouchée de ce pain vous retire toute salive pour les trois prochaines heures. Je glisse le reste du pain dans une poche puis me concentre sur la descente qui arrive. Je double quelques personnes, puis arrive sur un groupe assez important. Je me dis que ce groupe va être compliqué à doubler, mais en fait ça avance à une très bonne vitesse, et je vais faire toute la descente à cette allure régulière. Nous arrivons dans la vallée au Chatelard à 15h38 soit 52 minutes avant la fermeture de la barrière horaire. Je passe un peu de temps à la barrière car il y a un contrôle des sacs. On doit montrer la veste Gore-Tex et la frontale et un téléphone portable en état de marche. A ce moment, j’entends les conversations de l’organisation à la radio, et j’apprends que les barrières ont été repoussées de 40 minutes, mais je reste concentré sur les barrières annoncées au début de la course.


C’est reparti pour une nouvelle ascension. Dès que l’on rentre dans la forêt, je m’arrête un moment pour crémer un peu mes pieds et changer de chaussettes. Le début de la montée se passe bien, et une fois passé un ravito qui fait du bien, je suis de nouveau arrêté. J’en viens à faire des stratégies de 50m (l’équivalent de monter 4 fois à mon appartement) de D+ puis une petite pause. La montée à la Tête de l’Arolette a été vraiment très longue… mais très très longue.


Lors d’une pause j’appelle Astrid pour lui dire que tout va bien et surtout que je l’aime, mais la communication est très mauvaise, et elle a compris que je n’étais pas bien. Elle a essayé de rappeler plusieurs fois en tombant sur la messagerie. Ce n’est qu’un peu après que j’ai pu la rassurer. Elle était très inquiète en voyant sur live trail des allures anormalement basses. Bon c’est vrai que je n’étais pas rapide, mais il manquait aussi beaucoup de kilomètres (je ne sais pas comment le parcours a été mesuré, mais tous les GPS indiquent aux environs de 90 kilomètres soit 8 kilomètres de plus que ce que l’organisation annonçait).


Je commence à comprendre ce qui se passe. Je souffre de l’altitude. Je n’ai jamais été performant passé 1800 mètres, et la dernière fois que j’ai fait un effort à cette altitude, c’était en août dernier. J’ai beau avoir grimpé 19000 mètres de dénivelé à pied depuis fin mars, je suis toujours resté dans le Jura. Même cet hiver en ski de rando je n’ai pas quitté le Jura. Je finis avec un petit groupe. On discute un peu, je dis que j’en bave en montée, mais que c’est bon, on a encore 3 heures avant la prochaine barrière, et qu’on va arriver au bout. On me répond que non, il ne reste que 2 heures, et qu’il y a une longue descente avant d’y arriver. Un coureur se demande comment j’arrive à avancer sans bâtons et me dis que je dois avoir des cuisses en béton. Je lui confirme que mes cuisses vont très bien, mais que le problème est plutôt mon système respiratoire qui est en bois. Je bascule au sommet… ouf la descente. Le soleil commence à se cacher, et la vue sur le Buet est magnifique (la vue sur le massif du Mont-Blanc aussi, mais depuis ce matin je suis habitué). J’enfile mon coupe vent, et pas de temps à perdre, j’ai une course à finir moi!!!


Entre temps, je reçois un sms de Thomas qui me dit qu’il avait abandonné au Tour à cause de sa cheville et qu’il espérait que tout allait bien pour moi.


Ce fut la descente la plus roulante de la journée, je double encore du monde et arrive 35 minutes avant la fermeture initiale de la barrière horaire. Toujours la même routine au ravito, coca, soupe et je me fais un petit sandwich avec du fromage (ça fait du bien de retrouver du pain français). Je ne sais pas pourquoi, mais en discutant avec tout ceux qui repartent, on en arrive à la conclusion que c’est la fin des barrières horaires tendues, et que maintenant, même en marchant on peut finir. Je repars donc dans cet état d'esprit. Je suis venu ici pour finir, et je vais finir même en marchant. Seulement, le profil jusqu’à la prochaine barrière est plutôt descendant. Tout le monde marche, mais je me dis que eux quand ça monte ils continuent de marcher alors que moi je me traîne. Je lâche donc mon compagnon du moment (que je reverrai ensuite 3 fois), et me remets à courir. Rapidement, je dois sortir ma frontale. Il y a maintenant de longs moments où je suis complètement seul dans les bois. Ça fait plus de 17 heures que je cours après je ne sais quoi, mais je suis vivant, et bien vivant. En fait si, je sais après quoi je cours, c’est pour vivre ces moments-là où l’on est juste bien, où l’on peut laisser son esprit divaguer librement, explorer tout son corps, penser à ceux qu’on aime. Et là peu avant d’arriver au ravito, quelqu’un me double. Quelqu’un me double moi en descente??? Ça n’a pas dû arriver depuis la descente du Brévent (soit depuis au moins 15 heures). Que quelqu’un soit plus rapide que moi en descente, j’arrive facilement à le comprendre. Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi il ne me double que maintenant. Ça veut dire que c’est possible d’être plus lent que moi en montée?


Au ravito, j’ai repris 10 minutes sur la barrière horaire, sachant qu’en plus les délais ont été allongés, je sais que je vais finir (en fait, je n’en ai jamais douté). On ne change pas une équipe qui gagne: coca, soupe et je croque dans un quartier d’orange. Je blague un peu avec un médecin de la course, et lui disant qu’il attendait les clients. Elle répond qu’elle soigne surtout les problèmes de pied et les douleurs diverses. Elle me demande si tout allait bien pour moi, et je lui réponds que oui, aucune douleur, juste de la fatigue. Elle avait l’air étonnée. Mon visage renvoyait peut-être une autre information, ou alors elle n’arrive pas à comprendre comment on peut ne pas avoir de pépins physiques après 18 heures de course. Comme j’ai un peu de réseau, j’en profite pour poster une petite mise à jour sur Facebook, pour dire que je comptais bien être finisher.


Juste après être reparti, je reçois un sms de Julia qui m’envoie un petit message d’encouragement, et m’informe qu’elle vient de finir avec succès sa formation… on a déjà réservé une course avec elle mi-août avec Astrid. Je lui réponds que je suis lent mais que tout va bien, et elle m’envoie le message suivant: “Courage!!!!!!!!!! Tu envoies du gros, c’est cool!”. Ça me fait vraiment plaisir car elle elle sait ce que c’est que d’envoyer du gros pendant 24 heures en montagne. Le début de la montée vers le Montenvers se passe bien, mais je m’attends à devoir ralentir fortement lorsque l’altitude va arriver. La buvette du Montenvers (à mi pente), nous offre un thé sucré à la cannelle excellent. Un grand merci à eux. Je poursuis l’ascension (donc plus je monte plus je ralentis), et je trouve que la fin est vraiment très sympa, c’est beaucoup de gros rochers, on pose les mains. Je m’imagine déjà y retourner avec les enfants, ils vont s’amuser dans ce terrain de jeux. C’est peut-être la nuit et la fatigue qui me font penser ça. Si ça se trouve, les gros blocs sont en fait de vulgaires cailloux. Une fois au Montenvers, en regardant le topo il ne reste plus que 5 kilomètres avec 300 mètres de D+. Il me reste 2h25 pour faire ça avant la fermeture de la dernière barrière horaire (au refuge du plan de l’aiguille). Autant dire que je pars vraiment confiant. Je me dis que même à une allure de randonneur du dimanche ça va le faire. Ça va se faire sans problème en 1h30, donc que je vais arriver au plan de l’aiguille à 2h du mat, et que je serai à Chamonix vers 3h30. Ce sentier pour moi sera un véritable chemin de croix (c’est loin d’être la montée régulière indiquée sur le profil). Je vais mettre 2 heures pour le faire… les randonneurs du dimanche doivent avancer plus vite que moi sur ce sentier. A un moment je reviens sur une coureuse emmitouflée dans une couverture de survie qui se fait raccompagner par les secouristes au refuge. J’avance à peine plus vite qu’elle. Le coureur que j’avais laissé il y a maintenant 5 heures en repartant du Tour me double. J’arrive au plan de l’aiguille à 2h36 soit seulement 24 minutes avant la fermeture officielle de la barrière horaire. C’en est fini avec les barrières horaires, il n’y a plus qu’à descendre sur Chamonix. Je double un peu de monde au début (dont le coureur qui m’avait redoublé un peu avant), puis ensuite j’ai un long moment où je suis seul. Je reste bien concentré sur ma descente car ce n’est pas le moment de se faire une cheville. Je reçois un sms de Thomas qui me demande où j’en suis, je prends le temps de lui répondre, et on échange quelques sms. Il dit qu’il va essayer de venir me voir arriver, mais il me renvoie ensuite un autre sms m’indiquant qu’il n’arrive pas à marcher (il a eu besoin de ses bâtons pour aller aux toilettes). Je me remets dans ma descente, car c’est pas le tout, j’ai toujours une course à finir. Arrivé dans Chamonix, je cours encore (je me demande comment c’est possible d’être encore capable de courir après plus de 24 heures), et la décharge émotionnelle tant attendue arrive. J’ai les larmes qui montent, je suis fatigué, mais je suis bien et JE SUIS ARRIVE là où je suis parti il y a maintenant 24 heures et 28 minutes!!!


Il reste juste 20 minutes de marche pour retourner au camping, mais je ne suis plus à ça prêt. En arrivant Thomas se réveille, je suis tout à ma joie d’avoir terminé, et tellement déçu pour lui. Il a un potentiel tellement incroyable sur Ultra s’il n’avait ce problème à sa cheville. Nous échangeons encore un peu. A ce moment là, cet échec signifie pour lui la fin de ses rêves d’UTMB. Je pense que ce n’est qu’une étape, mais ça l’avenir nous le dira.


Le jour se lève maintenant. Je prends une douche car je commence à me refroidir, fais une mise à jour de mon statut Facebook et me couche. Autant vous dire que dans mon corps ça doit être un beau bordel au niveau des hormones, et qu’il est impossible de dormir. Vers 8h30, on se fait un thé avec les choco princes que Thomas n’a finalement pas emporté sur la course, et on quitte ensemble le camping vers 10h00.


Comment conclure…


Après cette nuit, je suis devenu un ultra-runner. Ok la performance (du moins celle rêvée) n’est pas là, mais l’ultra, c’est avant tout dans la tête. Le but est de partir d’un point A et d’arriver à un point B, et je peux vous dire que rien ne pouvait m'empêcher de rejoindre le point B. Mon corps, même s’il a des lacunes (je fais de l’asthme allergique, il m’arrive d’avoir des difficultés avec l’altitude), est quand même une belle machine… à ce moment il est dimanche soir et les dernières courbatures aux jambes sont en train de partir.


J’ai adoré partager cet instant de vie (l’avant le pendant et ce qui va venir) avec Thomas (on en partagera encore des trucs complètement inutiles donc indispensables pour nous) mais aussi avec Franck (qui était sur le marathon ce dimanche, et avec lequel je vais faire la CCC avant qu’il ne s’envole pour la diagonale des fous).


J’ai l’envie d’en vivre d’autres: je sais qu’un jour je serai au départ d’un truc comme l’UTMB, mais ceci se construit patiemment.


L’ultra permet de se concentrer sur l’essentiel, et pendant ces plus de 24h, il y avait une personne avec moi qui ne m’a jamais quittée: “JE T’AIME MON CHERIE”, et les enfants n’étaient jamais loin.

14 commentaires

Commentaire de Raphynisher posté le 29-06-2015 à 00:34:28

Bravo tikrimi, belle restitutionde ta course, moi aussi sans batons, egalement mauvais en montees mais les descentes me permettaient de lutter contre les vagues a l ames en jouant a mon.modeste niveau a Pacman, Bravo car dans le noir entre tour et bois, il t'a fallu beaucoup de motivation pour faire cette ascension du montenvers !
bonne recup et au plaisir de te lire ou de te retrouver sur un trail

Commentaire de tikrimi posté le 29-06-2015 à 09:42:53

Bonne récup à toi aussi, et bravo.

Commentaire de Zorglub74 posté le 29-06-2015 à 09:11:39

Bravo, pour ta course et ton récit sympa, c'est vrai que l'on gagne beaucoup de temps (et de places) à savoir descendre vite tout en préservant les cuisses.
Une question concernant ton équipement, pourquoi deux vestes alors que tu savais avant le départ qu'il allait faire beau et chaud ? La veste obligatoire suffisait (la mienne est restée toute la course dans le sac, je l'avais uniquement avant le départ pour ne pas avoir froid), le coupe vent était inutile selon moi, c'est toujours 100g de moins à porter...
Bonne récupération

Commentaire de tikrimi posté le 29-06-2015 à 09:42:21

@Zorglub74. En fait, c'est une habitude que j'ai prise avec le règlement UTMB où un vêtement chaud est obligatoire, mais qu'il est autorisé de le remplacer par un tee-shirt manche longue plus un coupe vent (et c'est ce coupe vent que j'utilise pour me protéger du vent, du froid et aussi des fois du soleil). C'est vrai qu'une seule veste pouvait suffire, mais franchement dans la nuit du Montevers à l'arrivée, je pense que j'étais plus confortable avec mon petit coupe vent qu'avec ma Gore-Tex.
Bravo à toi pour ta performance incroyable, et en plus annoncée.

Commentaire de Happy Lactique posté le 29-06-2015 à 09:31:57

Magnifique CR ... j'en ai des fourmis dans les jambes. J'espère qu'on aura l'occas de se refaire une ou deux sorties ensemble avant la folie de fin Aout ;-) Encore bravo à toi pour ta course !!! Bonne récup.

Commentaire de tikrimi posté le 29-06-2015 à 09:45:17

Merci. C'est sur qu'on va en refaire des sorties ensemble. On a encore besoin de se renforcer et de prendre du plaisir en montagne avant cette folle semaine de fin août.

Commentaire de Zorglob posté le 29-06-2015 à 09:47:13

Félicitations. Très bonne préparation et cela paye. Au final la course se déroule (presque) comme prévu. Comme tu le suggères, le trail c'est la chose la plus essentielle des choses inutiles ou est-ce l'inverse ?
Bonne récupération et pizza à midi.

Commentaire de tikrimi posté le 29-06-2015 à 22:11:42

Merci.
Tu as vu, finir une pizza, c'est plus compliqué que de finir le col de la Terrasse ;)

Commentaire de NRT421 posté le 30-06-2015 à 00:44:57

Un récit qui se lit sans pouvoir s'arrêter avant la fin avec en plus des retours d'expérience pratiques. Top, merci (enfin sauf qu'avec des récits comme celui-là, ce 80km fait super envie, grmbl slurp). Et grand bravo, ça avait l'air d'un sacré morceau !

Commentaire de tikrimi posté le 30-06-2015 à 14:31:22

Merci, je suis presque autant fier de mon récit que de ma course ;). Je ne sais pas si c'est un gros morceau ou pas car c'est mon premier (je n'avais pas encore dépassé 12h de course). Si ça donne envie, tant mieux car c'est un voyage incroyable mais qu'il faut bien préparer.

Commentaire de Renard Luxo posté le 30-06-2015 à 14:02:11

Point de bâtons pour moi aussi. Très beau et fidèle CR. J'avais choisi de ne pas le lire avant de poster le mien, histoire d'éviter les interférences. Bonne gestion des coups de moins bien aussi, tu n'as pas paniqué. Plus le temps passe, plus je suis convaincu que l'ultra se joue sur ces moments. Bonne CCC dans 2 mois, tu vas voir, c'est l'autoroute à côté de ceci !!!

Commentaire de jakobo posté le 01-07-2015 à 16:39:46

Bravo! on a du arriver à quelques minutes d'intervalle... J'ai pour ma part bcp souffert: tendinites au départ, nausées et vomissement, déshydratation... Mais il fallait que je mette un terme à la série d'abandons connus ces derniers temps. C'est une trés belle course (ue des plus belles courues pour ma part!). A côté l'UTMB, c'est rien. (enfin presque!). Tu as donc commencé trés fort!

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 08-07-2015 à 18:14:46

Mince alors ! Exactement la même histoire que la mienne jusque "poster une petite mise à jour sur Facebook, pour dire que je comptais bien être finisher.".
Moi, à cet endroit, je n'avais plus que 15 minutes d'avance sur la barrière horaire (sans capter qu'elle était prolongée) et, sans carte sur les bras pour me rendre compte qu'il y avait une descente jusqu'à la barrière de 23h, je me suis dit bêtement qu'il restait 25 Kms et qu'il fallait arriver pour 4h à Chamonix. Donc j'ai arrêté là !
Avec l'avantage que je n'ai vécu que du bon (pour ne pas dire du merveilleux) et que je suis en pleine forme pour recommencer dès que possible. Peut-être UT4M90 le 22 août.
Outre l'altitude, je pense quand même qu'il y a un problème de manque d'hydratation avant les montées pour ce qui me concerne. J'ai pris des bâtons et cela distrait quand même un peu pour boire à temps.

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 07-01-2016 à 11:50:50

Voici une illustration vidéo du départ:
https://www.youtube.com/watch?v=Wph776LyxiM
et du col de la Terrasse:
https://www.youtube.com/watch?v=kNnM5gJqmN4

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