L'auteur : Eric VOLAT
La course : Grand Trail de Stevenson - 165 km
Date : 12/7/2013
Lieu : Le Monastier Sur Gazeille (Haute-Loire)
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Distance : 168km
Objectif : Terminer
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Grand Trail de Stevenson
Dédicace
Tout récit est une lettre ouverte aux lecteurs. Eux seuls en pénètrent l’esprit, y reçoivent des messages particuliers, des assurances d’affections ou des témoignages de gratitude. Celui que je vais faire ici à en plus, une signification secrète, un témoignage d’Amour qu’un fils fait à son papa.
Je crois avoir enregistré dans mon corps, dans mon âme, dans mon esprit le message essentiel que tu voulais me transmettre, papa. Le fil de soie invisible qui nous lie encore, trois ans après ta mort, ne s’est pas coupé, mais je tiens désormais, seul, les rênes de mon destin. Jamais je n’ai senti aussi précisément la fragilité du bonheur. J’ai compris que lorsqu’on le tient, il faut faire gaffe. Il faut être délicat, concentré, patient et souple.
Comprenais-tu la nécessité que j’avais de courir ?
Je sais que parfois tu t’inquiétais de mon état lorsque je rentrais. Un jour, tu m’as dit « tu sais le bruit de ton pas ne recouvrira jamais le bruit de ton cœur ». J’ai su alors, que la seule façon que j’avais d’avancer, c’était de le faire le cœur en avant.
Suivre le chemin de Stevenson, me retrouver dans un coin perdu du Gévaudan mettre mes pas dans les tiens, dans ceux de ton papa, parcourir ces lieux chargés d’Histoire, chargé de notre histoire me l’a permis, me le permet et me le permettra encore tant que je le pourrais.
Préambule
Quelle mouche avait piqué Robert-Louis Stevenson, lorsqu’il se lança, accompagné de son ânesse « Modestine », le dimanche 22 septembre 1878 au Monastier sur Gazeille vers Saint-Jean du Gard qu’il atteindra le jeudi 3 octobre ?
Voici ce qu'il en disait:
"J'avais cherché une aventure durant ma vie entière, une simple aventure sans passion, telle qu'il en arrive tous les jours et à d'héroïques voyageurs et me trouver ainsi, un beau matin, par hasard, à la corne d'un bois du Gévaudan, ignorant du nord comme du sud, aussi étranger à ce qui m'entourait que le premier homme sur la terre, continent perdu, c'était trouver réalisée une part de mes rêves quotidiens."
Sept ans avant « L’île au trésor », Le jeune Robert-Louis était très attiré par les Cévennes. Ce pays mystique ou la révolte des « Camisards » avait donné lieu à une persécution d’une violence inégalée. Les Cévennes de l’après révocation de l’édit de Nantes, les Cévennes des assemblées clandestines du Désert, des prophètes inspirés, les Cévennes de Jean CAVALIER, de Roland, de tous ces personnages de légende qui mourraient sur le bûcher en louant Dieu et en récitant des versets bibliques. Les Cévennes de Marie DURAND qui enfermée durant trente-huit ans dans la tour de Constance à Aigues-Mortes, avait gravé de ses ongles dans la pierre de sa prison le mot « Résister ».
J’aime à penser également à une équipée romantique puisque Stevenson vivait alors un Amour impossible pour une Américaine mariée et mère de deux enfants. Fanny OSBOURNE venait de repartir pour la Californie… Robert-Louis finira cependant par vivre sa passion avec la femme aimée, ange protecteur de ce génial créateur.
D’aucuns diront que le jeune homme visait tout simplement à défier l’autorité paternelle d’un père qui soutiendra mordicus que ce voyage avec un âne n’était… qu’une ânerie !
Peu importe en fait, l’essentiel est que ce voyage ait été fait.
Un an après avoir dû abandonné, j’y retournais. Non pas pour y prendre une revanche, mais tout simplement parce que j’avais dans mon cœur comme un goût d’inachevé. Estelle voulait bien encore une fois assurer ma logistique et me permettre de vérifier une fois de plus ce que Stevenson déclarait « De quoi un homme pourrait-il être fier, sinon de ses amis ? »
Comment j’aborde cette aventure ?
Je suis bien, pas forcément au top puisque depuis trois semaines mon genou gauche et ma tendinite de l’Achille droit se rappellent à mon bon souvenir. Trois semaines d’un arrêt relatif ou mes entraînements ont été fait à minima. Trois semaines en courant moins se voient immédiatement sur mon tour de ventre. 6kg supplémentaires à porter par rapport à mon poids de forme atteint lors du trail d’Écouves le 2 juin dernier. Je suis confiant pourtant. Depuis le début de mon plan, le 7 avril, j’ai parcouru près de 1200 km en courant et près de 300km en marche nordique. Participé à un 10km, deux semi-marathons, un maratrail, un week-trail (trois courses) et trois trails (de 25 à 61km). En une année, j’ai réfléchi au pourquoi de mes blessures à répétition (moi qui n’avait jamais abandonné sur une course jusqu’au 20 juin 2010, j’ai cumulé neuf abandons sur 43 compétitions en deux ans, le dernier le 9 juillet 2012 sur le GTS justement). J’ai perdu les 20kg que j’avais pris durant cette période.
Moralement, comme tous, j’ai des hauts et des bas. Parfois, l’angoisse me submerge. Je fais mine de l’ignorer, mais c’est impossible. Elle s’organise toute seule derrière mes paupières. Cette angoisse existentielle, j’ai décidé d’y puiser ma Force. Vivre autant que je le peux et aussi intensément que je le veux. Je sais d’où je viens, je connais mes démons, mes anges protecteurs aussi. J’ai tellement de combats à mener que je sais que certains se termineront en défaites mais je me sens fort et déterminé (et puis, j’ai toujours en moi, le mental que tu avais bien voulu me donner ;-)). J’irai chercher les plaisirs au fond de ma volonté. J’ai peaufiné mon organisation. Estelle sera ma petite étoile qui saura me guider. Elle a un « road-book » détaillé. La carte précise de la course, mes horaires prévisionnels, un sac contenant la nourriture, un change (principalement maillots, chaussettes et chaussures) différent pour chaque étape, une pharmacie complète et très important, le règlement de l’épreuve qui précise, notamment les lieux de ravitaillements seuls autorisés pour que le coureur puisse recevoir une assistance extérieure.
Pour optimiser la récupération, nous dormirons à l’hôtel. Les réservations sont faîtes. Le soir, nous mangerons avec les autres coureurs. Mes petits déjeuners seront conséquents (un riz au lait, un gâteau sport et une crème au chocolat conçu pour le sport). De la pâte de coing maison, de la boisson aux fruits rouges (antioxydant) et de l’eau pétillante à l’arrivée de chaque étape. Je ne partirais qu’avec deux ou trois gels, de la sporténine et deux litres de boisson isotonique légèrement sous dosée et profiterais des ravitaillements officiels pour compléter les miens.
Estelle commence à bien me connaître puisque cela fera déjà le troisième ultra que nous faisons ensemble. Je nous sais prêt et confiant pour aborder les 54km, les 1700m de montées et les 1500m de descentes de la première étape qui nous mènera de Monastier sur Gazeille à Pradelles.
Première étape : Le Velay
7h, La petite troupe attend sagement sur l’esplanade Stevenson. Fred, l’inventeur de cette course géniale donne le départ. Pas de musique assourdissante, juste des blagues à deux balles qui ne parviennent pas à masquer totalement l’excitation des uns, l’appréhension des autres. Dès les premiers mètres, la course s’emballe. Il faut bien dire que le profil de la course s’y prête bien. Un bon kilomètre de descente bitumée. Je m’efforce de rester au milieu du peloton mais je file tout de même à près de 14km/h. Les gazouillis de la Gazeille ne parviennent pas à couvrir ceux des Gazelles qui courent auprès de moi. Martine et Élisabeth sont sœurs et tout comme moi attaquent leur deuxième GTS. L’année dernière, sur le plateau suivant la grimpette qui calmera bientôt nos ardeurs, j’avais été à l’origine de la chute d’Élisabeth. Elle ne m’avait pas entendu arriver et alors que je m’apprêtais à la doubler, mon annonce la surprit. Elle se retourna brusquement, ne vit pas la pierre et chue, heureusement sans grands bobos. Je ne sais toujours pas comment j’ai fait pour ne pas la piétiner et tomber à mon tour.
Nous empruntons maintenant un chemin caillouteux et pénétrons dans le bois de Malaval. Comme la majorité des coureurs, je me mets en mode randonneur. Nous croisons un homme. Cet homme, bien en chair, nous interpelle :
- « Et vous allez ou comme ça ? »
- « À Saint Jean du Gard. »
- « Et ben ! vous n’êtes pas prêt d’y arriver… » répond-t-il ironiquement.
Je souris en me remémorant le départ de Robert-Louis et de la rusée Modestine. Ce paysan que nous venons de croiser était peut-être le descendant de celui qui apostrophait notre illustre prédécesseur de la sorte :
- « Votre baudet est très vieux ? »
- « Je ne le pense pas. » répondit Stevenson
- « Alors, il vient de fort loin ? »
- « Nous venons de quitter le Monastier. »
- « Et vous marchez comme ça ! » s’écria-t-il. Et rejetant la tête en arrière, il partit d’un long et cordial éclat de rire.
Quinze minutes nous suffisent pour accéder au plateau. Je m’efforce de maintenir alors une vitesse de 9 à 10km/h. Les hameaux de Courmacès et du Cros sont traversés rapidement. Puis ce sera le petit village de Saint Martin de Fugères. Je passe la ferme de Prémajoux au bout d’une heure de course. Le chemin, agréable ondule entre des petits bois avant de prendre une tournure un peu plus technique et de nous faire descendre dans la vallée de la Loire. La descente étroite et pierreuse me convient bien et je file rapidement limitant, autant que possible, le roulis des pierres par des appuis brefs et cadencés. La Loire est traversée au Goudet. Alternant la marche et la course, la D492 m’ouvre son ruban noir sur un petit kilomètre. Bientôt nous quittons le GR70 pour emprunter le GR3. La Loire laisse deviner sa présence en contrebas. Nous longeons son cours en suivant les courbes de niveaux puis nous plongeons sur Arlempdes. Je surgis alors comme un évadé d’un autre temps sur le superbe château médiéval de ce village. C’est avec un plaisir non dissimulé que je me laisse guider jusqu’au donjon, l’esprit juste assez éveillé pour ne pas faire comme mon suiveur qui s’assommera sur la clé de voute de la porte de son entrée. La vue de la contrée au repos fait du bien à l’âme. Le silence insolite de ce début de journée me dispose à d’agréables pensées. Je m’imagine Chevalier et déjà amoureux de ma « Dame à la Licorne »… Mais déjà la réalité me rattrape. Deux heures de course et presque 16km de parcouru. En filant vers Montcoudiol, je laisse un message sur le téléphone d’Estelle. Si je continue à ce rythme, je devrais arriver à Ussel vers 10h5mn soit avec une vingtaine de minutes d’avance sur la meilleure prévision de mon plan. Le Cros Pouget est passé, les chemins sont larges et relativement plat. Lorsque j’arrive au premier ravitaillement, Estelle n’est pas encore arrivée. Ce n’est pas grave. Je suis bien, je n’ai pas entamé encore ma réserve alimentaire. La seule chose que j’ai à faire, est de remplir ma gourde, de traverser le café qui nous accueille et de repartir. La chaleur commence à montrer le bout de son nez. Nous réempruntons le GR70 en une large piste de terre rouge. La RN88 est traversée à hauteur du hameau de Bargette, non loin de Costaros (Costa Rossa – La Côte rouge) la bien nommée. Nous longeons un petit étang. La chaleur commence sérieusement à peser sur mes épaules. Peu avant Le Bouchet Saint Nicolas, on découvre au flanc de la montagne qui domine Preyssac, l’énorme plaie béante d’une carrière de pouzzolane. Je passe sans plaisir le bourg. J’ai maintenant l’impression de courir dans un four, la terre rouge du chemin faisant office de briques réfractaires. Mes pieds gonflent, je desserre mes lacets mais mes chaussures ne sont plus qu’étuves. Le sentier traverse alors un haut plateau monotone. Il n’y a pas de ligne de crête. On ne peut donc ni découvrir la montagne du Mézenc à l’Est, ni la Margeride à l’Ouest. Encore 6km avant Landos, je ne parviens plus à courir. Je me contente d’essayer de suivre un moment les coureurs qui me doublent. J’appelle Estelle. Au prochain ravitaillement, je troquerais mes lourdes « salomon » par les « Brooks » moins techniques mais plus légères. Je changerais également mes chaudes chaussettes de contention par des socquettes. Le chemin débouche sur une route peu après que Nathalie m‘ait doublée. Une route qui plus est, en descente… Je suis dans mon élément. Mon orgueil de mâle en prend un coup. Je laisse alors ma grande carcasse dévalée et déboule à près de 15km/h dans Landos reprenant une Nathalie qui doit alors me prendre pour un fou. J’avais prévu d’arriver au 39ème kilomètre entre 12h14mn et 13h3mn. Mon avance a fondu mais je conserve tout de même 4 mn d’avance sur ma meilleure prévision. 8mn pour changer mes chaussures, mes chaussettes, remplir ma gourde (mais pas ma poche à eau) et faire un petit pipi. Je repars plus léger et rafraîchi. J’alterne à nouveau la course et la marche, Jagonas puis Arquejols sont passés. La chaleur demeure intense. Depuis quelques temps déjà, nous doublons quelques randonneurs. Il y a là, devant moi toute une famille, trois enfants et deux ânes. Une bouteille thermo tombe d’un des ânes et se casse. Je demande au père s’il a assez d’eau pour rejoindre Pradelles qui doit se trouver à environ 6km. Il n’avait que les deux litres de sa thermo et l’ainé de ses enfants une gourde d’un demi-litre. Six kilomètres, avec un âne, c’est une épopée de 2h. Je décide donc de vider ma gourde dans la bouteille vide de la maman. J’escompte avoir assez de boisson avec ce qui me reste dans ma poche à eau. Tant bien que mal, j’avance. Le tracé de la course longe l’Allier de trop haut pour qu’on puisse l’apercevoir. Au loin, là-bas, il y a le lac de Naussac. C’est joli mais à l’allure à laquelle je vais, le point de vue n’est pas très changeant. Enfin, le chemin commence à descendre dans la forêt chétive qui domine Pradelles. Ma poche à eau est vide. J’ai soif. Il était temps que j’arrive. J’entends des pas qui se rapprochent. Je ne sais pas pourquoi, serait-ce un restant d’esprit de compétition, mais je décide de me battre pour conserver ma place. L’arrivée est en haut d’une côte, mais je réussis tout de même à maintenir ma vitesse de descente pour passer la ligne d’arrivée après 7h34mn15s d’effort. Le planning que je m’étais fixé prévoyait un temps de course compris entre 7h36mn et 8h48mn. Après s’être restauré, direction Langogne ou Estelle me soignera trois minuscules ampoules. Nous relierons demain, La Bastide Puy Laurent. Le Gévaudan, mon pays ! Je connais approximativement le parcours qui s’annonce agréable et ombragé avec la traversée de la forêt de Mercoire. Il faudra simplement faire en sorte de ne pas rencontrer « Lou Bestio ». L’étape sera courte, à peine 38km pour 1100m de montées et 900m de descentes…
Résultat de la 1ère étape : le Monastier sur Gazeille - Pradelles.
54km – 1700m de D+ - 1500m de D-
Temps officiel : 7h34mn25s
53ème / 90 partants et arrivants - 7ème V2H /19
Premier: 4h38mn52s
Première: 5h4mn18s
90ème : 9h13mn33s
Deuxième étape : La Margeride
6h30mn, comme à mon habitude je me réveille avant que le réveil ne sonne. Malgré la chaleur étouffante qui règne dans la chambre, je suis bien. Pas de douleur… Le corps humain me surprend souvent par sa faculté de récupération. Je déjeune dans la pénombre, m’efforçant de laissé dormir, autant que faire ce peu, ma partenaire.
Nous arrivons sur les lieux une demi-heure avant le départ. Les consignes sont écoutées distraitement. J’ai hâte de fouler la terre de mon Gévaudan.
Le Gévaudan et ses huit baronnies. Le Gévaudan romanesque de ce jeune berger Mendois parti cherché fortune en Hongrie ou il devint le majordome du Roi. La fille du Roi était belle et notre berger, d’origine bien modeste… Un Amour impossible était né. Il n’y a pas d’Amour impossible pour qui s’aiment ! Notre petit mendois enleva sa princesse et retourna au pays. Ils eurent sept beaux garçons.
Le Roi de Hongrie, anéanti rechercha sa fille chérie dans le monde entier. Un beau jour, il arriva en Gévaudan :
- « Qu’il est beau ce petit garçon qui joue près du ruisseau. Le même visage que ma petite » se dit-il. « Dis-moi, petit, quel est ton nom ? ».
- « Garin, Monsieur » répondit le gamin.
- « Connais-tu, Garin, un endroit où je puisse me reposer un instant ? ».
Et c’est ainsi que le Roi retrouva sa fille, son gendre et ses sept petits-enfants. Touché par l’Amour et le bonheur qui régnaient dans la famille, le Roi de Hongrie pardonna au petit Berger. Il s’installa en Gévaudan, rachetant alors le pays. Il se réserva l’évêché et créa le comté qui sera dès lors géré par l’évêque de Mende et fit de ses sept petits-enfants des Barons.
A l’origine, il n’y avait donc que sept baronnies : Apchier ; Canilhac ; Cénaret ; Florac ; Peyre ; Tournel et la baronnie de Randon que nous traverserons aujourd’hui. Mercoeur fut créé plus tard.
Existe-t-il plus beau pays que celui qui se créé d’une histoire d’Amour ?
C’est dans ce petit coin de Paradis que mon pépé, Protestant Marseillais rencontra ma mémé, Catholique du Mont Lozère. Leur Amour était probablement aussi improbable que celui du jeune berger et de la jolie princesse et pourtant… Je vous l’affirme… il n’y a rien d’impossible pour qui s’aiment.
Bon, mais là, nous sommes encore à Langogne. Langogne, origine d’une autre aventure, beaucoup plus funeste, celle-ci. C’est dans cette paroisse que fut enregistrée la première attaque de « Lou Bestio » début juin 1764. La petite vachère de 8 ans fut sauvée par ses bœufs qui accoururent et mirent en fuite la bête. Beaucoup d’autres n’auront pas cette chance et la (ou les) bête(s) du Gévaudan fera(ont) plus 319 victimes dont 115 morts.
Bientôt, nous traverserons la forêt de Mercoire, premier puis sixième foyers d’agressions de la bête. Je voudrais rendre hommage aux petites victimes de ce petit pays. Pas facile, lorsque l'on écrit, d’organiser une minute de silence, alors je vais tout simplement vous en donnez la liste :
Premier foyer d’attaques :
- 30/06/1764 ; Jeanne BOULET ; 14 ans de Saint Etienne du Lugdares
- 06/08/1764 ; Marianne HEBRARD de Saint Jean la Fouilhouse
- 08/08/1764 ; une jeune fille de 15 ans de La Bastide Puy Laurent
- 01/09/1764 ; un jeune homme de 15 ans de Chaudeyrac
- 06/09/1764 ; une femme de 36 ans d’Arzenc de Randon
- 16/09/1764 ; Claude MAURINES ; 16 ans de Saint Flour de Mercoire
- 29/09/1764 ; Madeleine MAURAS ; 12 ans de Rocles
Sixième foyer d’attaques :
- 05/04/1765 ; un garçon de 10 ans d’Arzenc de Randon
- 08/04/1765 ; une fille de Chaudeyrac
Puisqu’il me faut tout de même revenir au sujet du jour, voici ce qu’en disait Robert-Louis Stevenson :
« C’était, en effet, le pays de la toujours mémorable Bête, le Napoléon Bonaparte des loups. Quelle destinée que la sienne ! Elle vécut dix mois à quartiers libres dans le Gévaudan et le Vivarais, dévorant femmes et enfants et bergerettes célèbres pour leur beauté. Elle poursuivit des cavaliers en armes. On la vit, en plein midi, chassant une chaise de poste et un piqueur au long du pavé du Roy, et chaise et piqueur fuyaient devant elle au grand galop. Elle tint l’affiche comme un malfaiteur public et sa tête fut mise à prix dix mille francs… Le petit caporal ébranla l’Europe ; si tous les loups avaient ressemblé à ce loup ci, ils eussent changé l’histoire de l’humanité. »
8h30mn, la course s’ébranle. Nous attaquons par une petite côte bitumée. Deux tactiques se côtoient. Ceux qui veulent finir au plus vite cette petite étape très roulante, attaquent. Ils distancent rapidement les autres, dont je fais partie. Ma tactique est simple. Je courais aujourd’hui les 38km comme s’ils étaient la continuité des 54 de la veille et le prologue des 76 du lendemain. Je marcherais donc dans les montées, courrait tranquillement sur le plat et un peu moins sagement dans les descentes.
Les premiers sont déjà loin lorsque nous abandonnons la route peu avant Brugeyrolles. Le chemin roulant alterne avec quelques tronçons de route déserte. Je fais partie d’un petit peloton constitué de Denis, Francis, Samuel et Bertrand. L’ambiance est aux papotages. Nous passons le Monteil puis Saint-Flour de Mercoire en 45mn. Le groupe se scinde alors, je laisse partir Denis et Francis alors que Samuel et Bertrand, plus contemplatifs se laissent distancer. Le chemin monte doucement entre bois et champs, le Serre de St Flour. Nous rejoignons un cours instant une route pour passer le petit village de Sagne-Rousse. Nous traversons Fouzillac, puis le hameau de Fouzillic, situé à peine 400m plus loin, Stevenson avait goûté alors aux caractères bien trempés et parfois contraires des descendants des Gabales. Malvenue à Fouzillac, Fouzillic lui réservât un accueil chaleureux. Il nous faut encore monter le Serre des Fourches avant de plonger sur Cheylard-l’Évêque. Estelle m’attend sur le lieu du premier ravitaillement. Il n’est pas encore 10h30mn. J’ai donc un peu d’avance sur mon meilleur horaire.
Mais t’es pas un peu fou Fred ? Il nous faut maintenant monter à la chapelle du village en empruntant un chemin de croix. Notre pénitence serait donc d’avancer à genoux… Nan ! j’déc…e. :D
Jamais vraiment seul, mais pas vraiment en groupe, je m’enfonce maintenant dans les ravins du ruisseau de Pratbel au plus profond de la forêt.
Je pense un moment à ce que devaient ressentir les petites victimes de la bête, isolées et perdues de la sorte. Je sens alors comme un silence s’appesantir sur mon âme.
La chaleur commence à pointer le bout de son nez, mais la frondaison nous protège.
C’est au lac de Louradou (24ème kilomètre) que me rejoignent Samuel et Bertrand. Visiblement, ils ont décidés de ne plus folâtrer. À peine le temps de pauser pour une photo qu’ils me lâchent.
Je sais depuis Cheylard-l ‘Évêque, qu’un ravitaillement supplémentaire nous attend au château de Luc. La descente qui le précède est moyennement technique et longue. J’ai envie de jouer, de me lâcher un peu. Je fais l’avion, je plane, je ris tout seul, je suis bien et déboule comme le ferait un enfant, sans me soucier du lendemain, à plus de 14km/h. Je double continuellement et je rattrape d’abord Samuel et Bertrand puis Denis et Francis qui me regardent éberlués.
Dominant le bourg de Luc, les ruines du château nous offrent une vue remarquable sur l’Allier tout proche mais aussi sur la chaîne des Puys et les sommets du Vivarais et du Velay. Cette forteresse militaire, gardien du chemin romain de la Régordane, passage obligé des pèlerins de Saint Gilles marquait la frontière entre le comté du Gévaudan et les Baronnies du Vivarais.
Peu après Luc, nous traversons l’Allier et remontons un petit affluent le « Masméjean » jusqu’au hameau de Labrot. Nous redescendons maintenant vers la vallée principale et empruntons la D154 à Laveyrune sur près de trois longs kilomètres. Le soleil et la chaleur m’assomment et malgré le plat du fond de vallée, je ne parviens pas à courir. Nous passons devant des colonies de vacances. Beaucoup de vacanciers pique-niquent dans les champs alentours et encouragent. Samuel, Bertrand, Denis et Francis me doublent, cette fois ci de manière définitive, j’aborde la côte qui nous amène à Rogleton d’un bon rythme. Je reprends Nathalie, mais Martine nous rattrape dans la descente au moment ou un riverain a installé un ravitaillement « sauvage », je n’ai pas besoin d’eau mais sensible à l’attention qui nous est faite, je me désaltère. Nous descendrons jusqu’à l’Allier ainsi tous les trois. Peu avant la traversé, le chemin étroit à ce moment, devient bourbier. Je décide donc de traverser la rivière à pleine eau histoire de nettoyer un peu mes chaussures. C’est à ce moment que je laisse partir mes deux accompagnatrices.
Bizarrement, je me sens hyper bien et détendu sur le chemin forestier qui suit les courbes de niveau surplombant la voie de chemin de fer et l’Allier pour nous amener à la Bastide Puy-Laurent. Je ne suis pas pressé de passer la ligne !
Je finis cependant par franchir le petit pont qui marque l’arrivée en 5h5mn15s. Pile dans la « fourchette temps » estimée puisque je devais terminer entre 4h48mn et 5h31mn. Je suis bien, aucune douleur, aucune ampoule. J’ai hâte d’être à demain.
Les 16 premiers kilomètres des 76 km pour 3100m de montées et 4200m de descentes se feront sur mon terrain de jeux. Nous relierons la Station de ski du Mont-Lozère à Saint-Jean du Gard, terme de l’aventure.
Résultats de la deuxième étape : Langogne – La Bastide Puy-Laurent
38km – 1100m de D+ - 900m de D-
Temps officiel : 5h15mn15s
58ème / 95 arrivants et 97 partants _ 9ème V2H / 20 arrivants
Premier: 3h6mn12s
Première: 4h45mn19s
95ème: 6h44mn27s
3ème étape : Le Mont-Lozère et les Cévennes
Le Mont-Lozère : Pour moi, il est à la fois mont et source. Chez moi, il s’en dégage une évanescence, une poésie que j’avais transcrite de la sorte, il y a quelques années…
Suivant les traces marquées de vieux rimailleurs,
J’ai parcouru à pied, les chemins du Lozère.
Toujours je reviens ; si mes vers riment ailleurs.
Ressent comme moi, l’ami ; si tu l’oses, erre !
Sous la neige immaculée de secrets hivers,
Découvre, des gens, les mystères isiaques.
Peut-être saisiras-tu, de cet univers,
L’enivrant parfum, ondes paradisiaques ?
Ciselé dans la pierre par Marie DURAND,
Ici, raisonne encore l’appel hérétique.
Ce cri abscons est : « Résister » ta vie durant.
Cette laconique flânerie poétique,
Au mitan des effluves marqués du genêt,
Agace ma plume trouvère, et le jeu naît.
4h5mn, après les recommandations d’usages, la petite troupe s’ébranle.
Dans ma tête résonnent encore les mots de ma mémé, née aux Laubies sur l’autre versant du Mont-Lozère en 1889 et décédée en 1970.
« Vois-tu mon petit, le Mont Lozère est une montagne magnifique mais aussi terriblement pernicieuse, elle se rapproche du tempérament de l’homme, son caractère est changeant comme celui des gens d’ici. Elle sait donner aux méritants, être clémente envers les sages et les prudents, mais elle ne permet pas l’erreur et est alors impitoyable. »
Je quittais la station avec une joie nouvelle. Ici, je connais chaque pierre. Ici plus qu’ailleurs, je suis reconnaissant à chaque grain de sable, chaque particule de terre de bien vouloir me porter aussi légèrement qu’ils ont bien voulu soutenir mes aïeux. Ici, les arbres me sont familiers, certains ont été plantés par mon pépé. Ici, se trouve mon sanctuaire et je me sais, protégé. Ici, je sais qu’après chaque ascension, je descendrais dans un paradis terrestre. Chaque contrefort escaladé est une harmonieuse introduction à l’autre.
La montée sur le Finiels se fait d’un bon rythme. Je suis bien entouré puisque le départ vient d’être donné, mais je suis déjà seul et j’ai encore l’impression de savourer cette solitude en vous la décrivant. Je prends encore le temps de soulever mes yeux vers les étoiles !
En plein air, la nuit n’est plus un temps mortel ni monotone. Elle s’écoule, légère parmi les astres, la rosée et le parfum. Elle marque tellement mieux les changements et la naissance de la nature. Ce qui dort ici, ne semble pas mort, ce qui dort ici sommeille. Un sommeil sans pesanteur et vivant. J’adore courir la nuit, je peux entendre le moindre bruit, la moindre respiration, le moindre souffle profond et libre. Lorsqu’elle se repose, la nature remue et sourit.
À chaque virage, derrière chaque rocher, je m’attends à retrouver soit le Dieu Celte Gargan qui inspira Rabelais, soit la Fade du Tarn qui protégea Florac des « Routiers ». Je vais ici, brièvement, vous conter l’histoire :
Lorsque le connétable Du Guesclin rendit son dernier soupir à l’Habitarelle près de Châteauneuf-de-Randon, il laissa ses mercenaires, les Routiers, sans chef et sans revenus. Ceux-ci traversèrent la montagne du Goulet puis le Mont-Lozère mêlant leurs troupes à celles des Anglais vaincus. Ils eurent l’idée de piller la cité des fleurs, célèbre dans l’Europe entière pour la beauté de ses dames. La bonne fée fit front au pont du Tarn. Elle laissa traverser le commandant et lui proposa la retraite. Il refusa et elle le changea en rocher au lieu-dit appelé depuis, le bois du commandeur. Les malfrats qui l’accompagnaient eux restèrent à jamais sur l’autre rive. Savez-vous que vos cabrioles, lorsque vous sautez de roc en roc, se font ici sur le dos d’un brigand ? La leçon ayant porté, dans la région, il est d’usage de dire que l’esprit de l’eau (l’esprit de la fée) apaise celui de l’âme.
Il existe ici, une multitude d’êtres fantastiques ainsi, derrière chaque feuille se cache un Elfe du Mont. Facétieux, il indique au voyageur une direction. Jamais la même !
Le Sommet est atteint. 4km en 38mn. Pour rejoindre la route des crêtes, nous filons à travers la prairie sur un sol moussu, élastique et odorant. La piste est là maintenant, nous la suivons. La route des crêtes est le pendant de la route des chômeurs qui se trouve de l’autre côté de la montagne… Je suis tout-chose ! Mon cerveau bouillonne, j’avance sans m’en rendre compte. Mon pépé, père de mon papa, alors garde forestier basé aux Laubies, participa à sa construction en 1908, il surveillait le tracé et employait la main d’œuvre locale. C’est ici qu’il devait rencontrer ma mémé et c’est dans la maison forestière du Mas de la Barque situé à une dizaine de kilomètres d’ici, que sont nés le frère puiné et la sœur de mon papa. C’est ici que pépé alors syndicaliste fut isolé pour qu’il ne propage pas les idées qu’il défendait (et que je défends toujours). C’est ici qu’il reçut également son ordre de mobilisation le 1er août 1914.
Je lève une fois encore mes yeux vers le ciel puisque bientôt je sais que nous emprunterons le cours d’un torrent asséché et qu’il me faudra alors regarder mes pieds. Les étoiles éclairent, vives et pareilles à des joyaux. Et là-haut, ce chemin d’argent qu’empruntent les Dieux, c’est la voie lactée.
C’est dans les forêts touffues situées un peu plus au Sud-Ouest, qu’au printemps 2009, j’ai aperçu un lynx. J’avais alors signalé sa présence au parc qui avait retrouvé sa trace, attestant ainsi le retour du félidé. Dernièrement, un cousin y aurait vu un couple de loup dont la femelle était grosse (ce qui établirait la fixation de l’espèce). Les prédateurs originaires de ces lieux seraient donc de retour.
Habituellement, je cours sans bijou. Mais pour cette étape, j’ai conservé la chevalière en argent que mes parents m’avaient offerte pour mes 18 ans. Je sais que le sourire protecteur qui y apparait n’est pas le reflet de la lune mais celui de mon papa. Il est des moments rares et sereins ou l’on se sent en possession de soi-même. Des moments où rien ne nous paraît inaccessible même les barrières les plus difficiles à franchir, celles que l’on s’érige (ou que l’on nous construit) dans la tête.
Je suis bien, seul au monde et pourtant, je prends aussi conscience d’un manque. Je souhaiterais tellement partagé ce moment avec toi. Courir ensemble au clair des étoiles, silencieux et sentir parfois ta main qui effleure la mienne. Le sentiment d’extase d’une telle course ne peut être porté à la perfection qu’en le partageant avec la femme que l’on aime.
Le passage technique d’environ 1km est passé sans encombre. Je rejoins maintenant la piste qui nous mènera au village de Finiels. René est Belge, il me rattrape et m’incite à le suivre. Visiblement, il n’aime pas trop courir seul la nuit. Je sais son niveau bien supérieur au mien, mais je sais aussi que là, ce dont j’ai envie, c’est de courir vite. Alors je suis, nous reprenons rapidement plusieurs autres coureurs que nous lâchons. Ils me rattraperont plus tard mais là, je suis tout de même encore sur mes terres et il faut bien que je marque mon territoire ! Finiels est passé, 8km en 1h9mn.
Une petite anecdote amusante sur Finiels :
Dans les années cinquante, bien avant la vague hippie et le retour à la terre, un précurseur, certains au pays diraient un illuminé, décida de s’installer dans une ferme isolée. L’été, la vie est douce et agréable mais l’hiver demande un minimum de travail et d’organisation pour survivre. Notre énergumène qui n’avait cure de l’expérience des anciens, se laissa surprendre par les premières neiges tant bien que nulle personne ne pure entrée ou sortir de sa maison. Parfois, on s’inquiétait de lui et seul le conduit de cheminée permettait de garder le contact. Imaginez-vous la vie qu’il mena ? À chaque visite, on lui demandait : « ça va ? » et la voix qui montait par la cheminée répondait invariablement « on fait aller, aujourd’hui, j’ai mangé le chat et brulé le banc ! » Tout ce qui vivait y passa : La Brebis, le chat, le chien et même les rats. Trois mois s’écoulèrent, le printemps arriva et l’on pût alors délivrer le malheureux. Notre homme fit alors son balluchon et parti vers le sud. Chaque village traversé, chaque paysan croisé, voyaient invariablement la même question posée : « neige-t-il ici ? ». Je ne sais pas si c’est la vérité, mais c’est ainsi qu’’on me l’a raconté. Peut-être est-il arrivé en Afrique maintenant ?
René et moi continuons de débouler. La descente fut pour moi comme un rêve tant elle s’accomplit rapidement.
Il y a une heure émouvante lorsque le coq chante pour la première fois. Il n’annonce pas encore l’aurore mais il accélère un peu le cours de la nuit. J’aime cette heure où les yeux encore embrumés contemplent la magnificence de la nuit. Souvent, la beauté impressionne alors qu’ici, on la vit. Je veux ce moment pour moi seul. J’encourage donc René à rattraper la frontale que nous avons aperçu à l’orée de ce champs et laisse partir mon compagnon d’un instant. Je passe Rieumal et quitte la piste pour emprunter un monotrace. Comme l’année dernière, je perds un moment le balisage mais je connais mes terres et je sais que si je longe ce champ sur ses deux côtés, je retrouverais le petit chemin assez technique qui me mènera au Pont-de-Monvert. J’avais prévu d’arriver au premier ravitaillement entre 5h59mn et 6h20mn. Malgré les 6mn de retard pris au départ, je sais que j’arriverai en avance. J’appelle Estelle, mais le portable ne passe pas. Voici déjà les premières maisons de la localité. Je rate donc ma partenaire et je dois laisser mes lampes aux bons soins des bénévoles. La petite route qui descend jusqu’au célèbre pont me permet d’enregistrer sur le dictaphone de mon portable mes différentes impressions ou émotions.
Le Pont-de-Montvert, est le point de départ de la guerre des Camisards. Avant de laisser Stevenson vous en faire la narration, Il me faut peut-être resituer le contexte historique. Par l’édit de Fontainebleau, le 18 octobre 1685, Louis XIV révoque l’édit de Nantes et interdit le protestantisme. Les protestants sont convertis de force au catholicisme. De nombreux protestant émigrèrent, d’autres, malgré leurs conversions continuent de célébrer leur culte clandestinement en pleine nature dans des lieux perdus et inaccessibles que l’on appelle « Déserts ». L’église catholique considère ceux-ci comme des relaps. Une conversion rétractée est considérée comme un crime très grave. Les hommes sont condamnés à mort ou aux galères. Les femmes sont tondues et emprisonnées notamment dans la tour de Constance à Aigues-Mortes ou envoyées dans des couvents. Les enfants sont enlevés à leurs parents pour être élevés par des familles catholiques. En ce début du 18ème siècle, Le chef et le principal acteur de la persécution dans la région étaient Lamoignon de Baville et François de Langlade du Chayla, archiprêtre des Cévennes. Utilisant la dragonnade, la vie était rendu intolérable et l’exil rigoureusement interdit aux protestants du Languedoc. L’abbé du Chayla possédait une demeure-prison proche du vieux pont sur le Tarn au Pont-de-Monvert. Massip, un muletier passeur, venait d’y être enfermé avec les protestants, principalement des femmes et des enfants, qui tentaient la fuite. Stevenson relate la suite de l’histoire de la sorte :
« La nuit suivante, le 24 juillet 1702, une rumeur inquiéta l’Inspecteur des Missions… Les voix d’une foule d’individus qui, chantant des psalmodies à travers la ville, se rapprochaient de plus en plus. Il était dix heures du soir. Du Chayla avait sa petite cour autour de lui : prêtres, soldats et domestiques, au nombre de douze ou quinze… Les chanteurs de psaumes étaient déjà à la porte : Cinquante costauds, conduits par Séguier l’inspiré, et respirant le carnage. À leurs sommations, l’archiprêtre répondit en bon vieux persécuteur : Il ordonna à sa garnison de faire feu sur la populace. Un Camisard… tomba sous la décharge de mousqueterie. Ses camarades se ruèrent contre la porte, armés de haches et de poutres, parcoururent le rez-de-chaussée de la maison, libérèrent les prisonniers et trouvant l’un d’eux dans la « vigne » (ndr : engin de torture)… redoublèrent de fureur contre du Chayla…
- Enfants de Dieu, arrêtez, s’écria le prophète. Brûlons la maison avec le prêtre et les acolytes de Baal !
L’incendie se propagea rapidement. Par une lucarne du grenier, du Chayla et ses hommes, au moyen de draps de lit noués bout à bout, descendirent dans le jardin. Quelques-uns s’échappèrent en traversant la rivière à la nage, sous les balles des insurgés. Mais l’archiprêtre tomba, se cassa une jambe et ne put que ramper jusqu’à une haie…Un à un, les camisards, Séguier en tête, s’approchèrent de lui et le frappèrent de coup de poignards… »
Cette guerre, la plus cruelle qui fut, prendra fin en octobre 1704, mais des troubles sporadiques dureront jusqu’en 1710. Elles auraient faites plus de 14000 morts. Les persécutions du Royaume de France contre les protestants cesseront définitivement le 7 novembre 1787 par l’édit de Versailles.
Le Bougès et les vallées cévenoles (Mimente – Vallée Française – Vallée Borgne):
Je passe le pont et je m’engage dans un chemin que je connais bien. Ce chemin nous amène par un sentier muletier assez rude sur les premiers contreforts du Bougès. C’est un de ceux qui me permet de travailler les côtes longues et relativement techniques tant en montée que lors de la descente. Mon terrain de jeux habituel s’arrête ici. Je regardais vers le haut de la côte, 200m au-dessus de moi. L’aurore empourprait d’une large bande rose le sommet de la montagne du Bougès.
Pendant près de deux kilomètres, je marche rapidement sur le plateau du Cham de l’Hermet. Quelques coureurs me passent, mais je ne suis pas inquiet. Contrairement à l’année dernière mes pieds sont dans un relatif bon état. Avant de tourner à gauche et de descendre rapidement vers la vallée de la Fiarouze, je regarde vers l’Ouest. À environ 3 km se trouve Grizac qui est la terre natale d’un des plus illustres Gévaudanais. Guillaume de Grimoard est l’un des plus fameux Pape Avignonnais. Le pontificat d’Urbain V le Bienheureux (200ème Pape depuis Saint Pierre) durera de 1362 à 1370.
Nous rejoignons la D20 au pont de Fiarouze. Je sais que dans un kilomètre je vais attaquer la longue montée vers le signal du Bougès (1421m). 400m de grimpette en moins de 4km. Marcher sur le plateau m’a bien reposé. C’est donc en bonne forme que je traverse le hameau Champlong de Bouges avant d’arriver au Col de la Planette. Je reprends un bon nombre de coureur. Il est prévu un aller-retour de 3,8km au signal du Bougès (24ème kilomètre) que je passerais après 3h27mn de course. Je ne prendrais pas le temps d’admirer le point de vue, pressé que je suis d’attaquer les 12 km de descente vers la gare de Cassagnas.
Nous traversons la forêt domaniale du Bougès plein Sud en suivant le GR72 par un bon sentier forestier puis par une petite route. Nous bifurquons sur la droite au col de Poulio en empruntant, un temps, le chemin d’exploitation du hameau de Chavanon. Une épingle à cheveux nous ramène vers le sud et nous surplombons le ravin de Poumas. Je suis surpris de rencontrer des moutons non gardés en pleine forêt. Il y a là un joli garde-manger pour les loups, lorsqu’ils arriveront dans les Cévennes. Depuis un moment maintenant, je commence à avoir des douleurs au ventre. Je sais que je vais devoir m’arrêter avant le ravitaillement. La forêt à fait place à un chemin empierré qui descend gentiment vers Cassagnas. D’un côté il y a la montagne et de l’autre le ravin. Tant pis, j’avise un muret qui ne me cache pas mais la nécessité fait loi. 4 à 5 coureurs en profitent pour me passer. L’arrêt obligé aura duré tout de même 7mn. Peu après, j’arrive à Cassagnas haut lieu de la résistance huguenote. Je rate une balise et je me retrouve dans la cours d’un gîte. J’en ressors et cherche la trace lorsque j’aperçois Estelle. Presqu’au même moment, je vois des coureurs qui passent au-dessous. 5mn de perdu, il n’y a pas péril. Je demande à ma partenaire de m’attendre à la gare qui ne doit pas se trouver à plus de 2 ou 3 km. Je traverse la nationale 106 par une passerelle. Il nous faut alors emprunter un chemin sur un peu plus de 1000m pour atteindre la gare et son ravitaillement. 4h57mn de course pour 36 km. J’ai presque 20mn d’avance sur le meilleur horaire de mes prévisions. Je n’ai pas faim et ne mange pas. Estelle récupère mes lampes auprès de la bénévole qui me les avait gardées au Pont-de-Montvert. Je repars remontant le même chemin. Nous longeons la rivière Mimente en empruntant la vieille voie de chemin de fer sur près de 3km. Nous quittons l’ancienne voie ferrée pour nous enfoncer, main droite, dans la forêt de Châtaigniers de Fontmort qui nous mène droit au col des Laupies par une rude montée. Nous bifurquons alors vers le Sud-Ouest en suivant les GR7 et 67 pour rejoindre quelques kilomètres plus loin à nouveau le GR70 qui nous mène tout doucettement au col de la Pierre Plantée. Un petit raidillon puis le chemin plonge par un chemin schisteux vers Saint-Germain-de-Calberte et la Vallée Française. Le soleil commence à chauffer. Je ressens des échauffements sous mes pieds. Je téléphone à Estelle pour qu’elle me prépare mes brooks, une nouvelle paire de chaussettes et de quoi remplir ma poche à eau. Je m’arrête plus de 10mn mais je ne pense pas à manger. J’enlève mes manchons de contention et mes manchettes. Les 53km ont été parcouru en 7h51mn. Pile poil le meilleur temps de mes prévisions. Les ampoules et la chaleur arrivant, je sais pourtant qu’il me sera bien difficile de maintenir mon allure. Je repars avec Corinne. Elle est seconde au classement féminin alors qu’elle court son premier ultra. Elle a deux bandes justes en dessous de ses genoux. Elle souffre des ménisques. Estelle n’étant pas bien loin, je lui propose des genouillères. Elle refuse car elle a peur de ne pas les supporter avec la chaleur qui devient maintenant étouffante. Le parcours suit la route sur environ 1km puis nous grimpons par un bon chemin dans la forêt. Je m’aperçois rapidement que Corinne souffre et que les deux sparadraps qui lui entourent le haut du mollet ne servent pas à grand-chose. Elle finit d’ailleurs par arracher les deux bandes adhésives. Dans mon sac, j’ai une pharmacie de course. Elle accepte de perdre dix minutes, le temps que je lui pose un strapping sur le genou gauche qui est le plus douloureux. Je ne sais pas si l’arrêt et les soins ont été bénéfiques, mais Corinne repart de plus belle me laissant sur place. Les ampoules commencent sérieusement à me gêner. J’enrage car j’aurais dû profiter du ravitaillement et du changement de chaussures pour les soigner. Pendant près de 4km, la piste surplombe la D984 que nous emprunterons sur 500m avant de traverser le Gardon. Nous sommes maintenant sur l’autre rive et nous surplombons la rivière. Je rate le chemin qui descend au plus court et c’est par une petite route que j’arrive finalement à Saint-Etienne-Vallée-Française. J’y retrouve Estelle. À peine le temps de boire que je repars à l’ascension du Col de Saint-Pierre. Mise à part les deux ampoules sous chaque pied, je me sens bien et j’attaque la grimpette d’un bon pas. Je rattrape aisément les coureurs qui m’avaient doublé lors de mon petit détour. D’abord deux jeunots qui ne faisaient que la dernière étape puis, un coureur anglais dont je ne me souviens plus du prénom. Devant moi, il y a maintenant Élisabeth et Martine. Je reviens rapidement sur Élisabeth mais Martine, étonnamment fraiche maintient l’écart. « On va voir ce que l’on va voir », me dis-je et je redouble d’ardeur appuyant encore plus sur les bâtons. On sort un moment de la forêt et l’on marche alors sur du schiste. Je suffoque sous les chaleurs combinées de l’ardoise et du soleil, mes pieds marinent et demandent grâce. Je reste spectateur de ma défaite. Martine s’envole, Élisabeth et l’Anglais reviennent. Même les deux petits jeunes qui me paraissaient à la dérive se rapprochent. Plus grave, je sens la tête qui tourne, des cercles blancs apparaissent sur ma vision. Quelle cloche, je réalise que je n’ai rien mangé depuis le Pont-de-Monvert. 8h de course et 50km sans nourriture, il y a des baffes qui se perdent. Heureusement, je dispose de 3 gels. Je les avale, bois une grande gorgée. J’attends 3mn, ça va mieux mais cet apport calorique éveille ma faim. Je repars juste derrière les deux gamins que je rattrape à nouveau au col de Saint-Pierre (596m). Lorsque je rejoins le pointage au col, je crois les difficultés terminées. En effet, je connais le GR et il descend tranquillement jusqu’à Saint-Jean-du Gard. Mais voilà, Fred nous a réservé une surprise de taille (en fait, c’était bien indiqué sur la carte fourni, mais j’étais tellement persuadé que le parcours était le même qu’en 2012, que je n’y avais pas prêté attention). J’apprends qu’il nous faut gravir le Signal de Saint Pierre situé cent mètres plus haut et continuer encore 2 km sur la ligne de crête avant de redescendre sur Saint-Jean-du Gard par un autre chemin que le GR. Avant de repartir, je quémande à notre pointeuse quelques abricots secs pour calmer un peu ma faim. La montée est raide et suivre la ligne de crête est un parcours en montagnes russes très technique. C’est, et de loin, la partie la plus difficile de ces trois jours. Le moral en a pris un coup, et mes pieds n’apprécient que modérément les lames affilées de schiste. Ce qui m’aurait paru très ludique en début de journée se présente après plus de 10h de course comme un Everest. Il me faut près d’une heure pour effectuer les deux kilomètres. Le point de vue est majestueux, d’un côté la Vallée Française et de l’autre la Vallée Borgne que ferme le fameux Mont Aigoual. Mais voilà, mon état ne me permet pas de jouir de ce spectacle. Tu ne peux pas savoir Fred, ce que je t’ai maudis à ce moment. Je finis tout de même par quitter les crêtes et je descends maintenant droit dans la pente pour rejoindre une bonne piste qui malheureusement se trouve en plein soleil. Une dernière montée et j’aborde enfin la descente terminale. Je n’arrête pas de râler. La marche m’est pénible. Je ne sais pas pourquoi, mais il me revient un souvenir d’enfance :
C’était à Savines-le-Lac. J’ai 5 ans et je suis en colonie de vacances, je me souviens même du surnom de ma monitrice d’alors, Yoyo (probablement Yolande). Aux yeux du petit garçon que j’étais, la promenade me paraissait longue. Je n’arrête pas de me plaindre comme je sais encore si bien le faire. « J’en peux plus, j’peux plus marcher… » Bref, la mauvaise tête quoi ! Et Yoyo de me dire : « Tu ne peux plus marcher et bien court ». Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’étais reparti en courant.
Aux mêmes maux, les mêmes remèdes et je déboule dans Saint-Jean-du-Gard à plus de 15km/h pour franchir la ligne d’arrivée en 12h41mn38s. Mes prévisions tablaient sur un temps final compris entre 12h30mn et 14h37mn.
Résultats de la troisième étape : Station du Mont-Lozère – Saint-Jean-du-Gard
Temps officiel : 12h41mn40s
57ème / 88 arrivants et 106 partants _ 9ème V2H / 16 arrivants
Premier : 8h4mn5s
Première : 8h34mn20s
88ème : 15h2mn8s
Résultats de la course complète : Monastier-sur-Gazeille – Saint-Jean-du-Gard
Temps officiel : 25h21mn20s
42ème / 68 arrivants et 84 partants (89 inscrits) _ 6ème V2H / 14 arrivants
Premier : 15h59mn49s
Première : 22h31mn15s
68ème : 29h32mn57s
Remerciements :
Fred pour cette magnifique course.
Les bénévoles pour tout le travail.
Les coureurs parce qu’ils vivent la même passion et que la compétition n’est pas l’unique objectif.
Estelle pour toute son aide et pour avoir réussi à me supporter 5 jours.
Mes amis et particulièrement Fanny et Cécile parce qu’elles sont toujours là lorsque j’ai besoin d’elles.
Ma famille parce que quoi que je fasse, je sais qu’elle me soutiendra.
6 commentaires
Commentaire de galak42 posté le 31-07-2013 à 07:19:52
Que dire ? ton récit allie à la fois émotions et histoires.
Chapeau bas;) Je pense que quelqu'un serait très fier de toi et que ce fil de soie perdura à jamais;)
Commentaire de Eric VOLAT posté le 31-07-2013 à 08:53:15
Merci, il est vrai que cette course était un peu particulière pour moi.
Commentaire de philkikou posté le 31-07-2013 à 11:32:19
Sentiers que j'ai parcouru il y a qqs années années, et le coté historique, sportif et personnel me donne envie de lire ce récit-fleuve ... quand j'aurai 10-15'
Merci de nous faire partager ton vécu et de nous faire connaitre ce grand trail !!!
Commentaire de philkikou posté le 06-08-2013 à 11:43:49
Ca y est !! je viens de finir le Grand Trail de Stevenson... grâce à ton récit !! Billet bien écrit, avec de belles parenthèses historiques (Stevenson, les protestants) ou personnelles et familiales.
Côté course, très bonne gestion tu as l'air de bien te connaitre pour passer les moments difficiles..
Même si récit écrit un peu petit pour un "V2" et sans photos.. ce récit est si captivant que je suis allé au bout... Bravo et merci pour nous avoir fait partagé ce voyage... au pays des protestants, de Stevenson .. et d'Eric Volat ;-)
Commentaire de Eric VOLAT posté le 06-08-2013 à 12:00:19
Merci de m'avoir lu et apprécié. Pour les photos, je n'y arrive pas (dommage, il y en a plus de 500) :( ... et je regarderai comment grossir les caractères car c'est vrai que le V2 que je suis également à du mal ;).
Commentaire de freerunner21 posté le 02-05-2014 à 18:38:38
ton récit donne envie de s'inscrire pour 2014 ...d'ailleurs je me suis inscrit :)
j'espère finir ce trail par étape mais ce dont je suis sûr c'est que je ne pourrai pas faire un récit aussi savoureux
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