Récit de la course : La Transjurassienne 76 2013, par e.broyer

L'auteur : e.broyer

La course : La Transjurassienne 76

Date : 10/2/2013

Lieu : Lamoura (Jura)

Affichage : 1838 vues

Distance : 76km

Matos : DES SKIS QUI GLISSENT PAS !

Objectif : Terminer

5 commentaires

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Transju première !

Par un beau matin de février,    

 dans cette rude région du Haut Jura, j’ai eu envie de relever un nouveau défi, participer à l’une des plus célèbres, des plus longues et sûrement des plus difficiles course de ski de fond en France.

Le défi était beau, grand et quelque peu effrayant, mais je pourrai profiter des conseils avisés de Philippe, skieur expérimenté et finisher émérite à de nombreuses reprises. et puis je comptais sur mon « ultra endurance » et un mental à toute épreuve.

La Transjurassienne et ses 76 kms de traces sinueuses et montagneuses ( environ 1000 mètres de dénivelé ? s’offrait à moi, et je fus plutôt excité à l’idée de faire :  Lamour à Mouthe …La partie de jambes en l’air s’annonçait sous les meilleurs auspices ! 

Les prévisions météos étaient bonnes, mais il faudra rester couvert...

Ce genre d’aventure marque un homme, un artiste, un écrivain. Elle a une place particulière dans le cœur des fondeurs, c’est évident. Il y a l’immense silence blanc de la terre, un silence habité de bise, peuplé des mille bruits de la forêt qu’écrase la  neige, que fait transpirer le soleil,  que font craquer les nuits de grand gel.  

Nous allons entrer, comme l’a écrit  B.Clavel, dans les coulisses  de petits hameaux, où tradition, patrimoine et art de vivre fusionnent en une subtile alchimie  dans l’athanor des fermes comtoises qui parsèment la combe…

 La veille, dans un chalet  perdu au milieu des bois,  j’écoute quelques conversations de nos voisins de table et me voilà quelque peu saisi de doutes. Ils comparent leurs distances hivernales,  depuis le début de saison,  qui s’expriment en centaines de kms ! Et moi qui cumule à peine 80 !  Faut il compter les trajets en voiture ?

Le constat est évident,  je suis dans un autre monde, un univers de sportifs que je découvre ce soir, même s’il apparente un peu à celui des trailers. D’ailleurs quelques coureurs arborent  fièrement des maillots estampillés ‘’ Finisher Saintelyon ‘’ Finisher CCC’’ ou ’’UTMB’’ comme des soldats fiers de leurs médailles et d’autant de batailles gagnées âprement !

Je me suis fait tout petit avec mon maillot ‘’ Trail givré ‘’ gagné péniblement quelques semaines plus tôt …

 Le réveil fut rude et matinal après une nuit peuplée de mauvaises pensées et de quelques angoisses. Mais je ne suis pas le seul  dans cette situation, à la vue des visages qui me dévisagent au petit déjeuner.

 La nuit a été claire, il a fait très froid , nous partons rapidement  en 4X4 , véhicule tout à fait adapté ( en apparence seulement ) à la région… rapidement donc…sur 3 kms ! Puis beaucoup plus lentement …lorsque le gas oil trop froid, fige dans le filtre.

 La voiture est à l’arrêt,  la pression  nous gagne en imaginant l’attente du dégel et un départ différé au printemps !... Heureusement, après quelques soubresauts et hoquets salvateurs, la vie renaît dans ce formidable  moteur.  Je disposerai finalement d’à peine 30 secondes pour chausser mes skis et souhaiter une bonne course  à Philippe, avant de m’élancer au coup de feu du starter,  derrière une horde d’affamés !

 A l’apparition du premier faux plat, je déguste … Mes skis ne glissent pas ! nous les avons fartés pour une température  jusqu’à – 15° et il fait apparemment beaucoup plus froid.

 Je ne suis certainement pas le seul dans ce cas mais cette réflexion ne suffit pas à me remonter le moral,  le doute s’installe déjà dans mon esprit,  et pour la première fois dans ma courte  ‘’ carrière ‘’ de coureur,  l’idée maintes fois chassée,  de l’abandon  m’ apparaît clairement,  comme le vol circulaire d’un vautour au dessus de sa proie .

Puis les premiers rayons du soleil traversent les épineux,  voilà quelques degrés supplémentaires  qui me rassurent , dans une légère descente je double enfin un groupe de concurrents,  parmi  eux :  un Sénateur ( ils sont douze ,entre 58 et 76 ans, à avoir disputé les 29 Transjurassiennes )  je le fais avec respect .

A la hauteur de « Prémanon » j’aperçois  Mylène et Yves nos deux supporters qui débutent leur ‘’ marathon’’ pour tenter de nous encourager tout au long de la course

La traversée des Rousses, au 19 ème km,  ressemble  à une étape du tour de France,  je suis englué dans un peloton et en vue… de la légendaire montée des ‘’Opticiens’’ .

Sur les bords d’une petite côte étroite et raide se concentrent des dizaines de spectateurs. Comme à un sommet d’étape, leurs cris mêlés aux volées de cloches nous galvanisent  !    On s’y croirait,  je cherche le maillot à pois ,,,  Les spectateurs ici sont passionnés par ce sport et cette compétition, devenue une véritable institution. Cela se ressent  à travers leur soutien, comme s’ils comprenaient pourquoi on fait ça !

Une fois le sommet avalé,  je continue sur ma lancée , aérienne, presque  en état d’apesanteur. Calme toi ! jeune coureur intrépide, as-tu déjà oublié tous ces états d’âme qui te guettent ?   Le défi, l’espoir, l’inquiétude , la joie, la solitude, la souffrance, le chaos puis la sérénité … peut être !

Je laisse à contre cœur ce bel endroit et ressort encore  ‘’mouillé ‘’ de ce bain de foule revitalisant. Une immense vallée, longue et profonde comme une autoroute blanche, s’ouvre à mes skis pour me mener au village de Bois d’Amont,  20 kms interminables qui ressemblent plus à une introspection  qu’à une course;  tu vas devoir traverser des états d'âmes Eric ….

Je pense alors à ces jeux simples ( et idiots ! ) qui nous occupaient dans la voiture familiale lors des transhumances d’été, avant l’apparition de tous ces appareils électroniques qui nous abreuvent d’images.

Je vais commencer à compter les tenues noires , ou plutôt rouges…                                       Mais tout cela devient vite lassant,  je vais plutôt me faire un DVD, ou un petit somme !     Et si je retrouvais les départements français au travers de tous ces numéros de dossards ?  Après avoir jumelé le Jura et l’Ain, puis les Landes avec l’Aube, je reste sans réponse devant le ‘’4818‘’, vais-je apercevoir le ‘’3945’’ près de la forêt  du Massacre   ?

Il me faudra gagner autrement  cette  bataille contre la lassitude ,  je vais plutôt compter les tetras lyre,  les chamois ou bien tenter d’apercevoir la vache Milka et sa magnifique robe mauve !

Si le médecin qui me double à ce moment précis sur une motoneige,  avait pu lire dans mes pensées,  je crois bien qu’il m’aurait arrêté et rapatrié  pour absence de discernement et mauvais état mental !

Nous arrivons bientôt  à proximité de la Suisse, nous y  feront une simple boucle  au lieu dit   ‘’ Pré Rodet ’’.  Le paysage est magnifique, tout est « calme, luxe et volupté » .                 Autrefois, les contrebandiers  sévissaient à cette frontière.  Nous n’avons aujourd’hui plus grand-chose à déclarer,  hormis notre respect pour la beauté des lieux.

A mon retour en France…je m’arrête à cet ultime ravitaillement avant la montée au chalet des ministres, principale difficulté de la course. Je refais le plein de produits dopants : solides, liquides et applaudissements.                                                                                       Mylène et Yves nous réchauffent par leurs  encouragements malgré un froid polaire. Ils ont plusieurs « Transju » à leur palmarès et leur expérience est précieuse, ils savent composer avec nos états d’âmes, nos susceptibilités, notre fatigue.

La montée est raide, longue, interminable . Je m’élève rapidement au dessus de la plaine  sans même profiter du paysage grandiose. Mon rythme cardiaque s’accélère tandis que mon pas ralenti,  à n’en devenir qu’un petit pas de marcheur.Langue tirée

Je rétrograde et calme la bête;  la route est encore longue !

J’aperçois enfin ce fameux chalet qui sonne le glas de ma souffrance.  Ici l’ont dit que « Qui a vu les Ministres, verra Mouthe »... 

Le chalet ‘’des ministres ’’ s’impose,  comme le maitre des lieux, il trône au milieu d’une clairière .  Je résiste à son invitation,  j’imagine  une halte au coin du feu dans ce havre de paix.

Personne, ici n’a sans doute jamais vu l’ombre d’un ministre !                                              C’est un lieu haut mais pas un « haut lieu. »… Pourtant ces hommes qui nous gouvernent, aux sports, à l’environnement, à la santé, auraient fort à faire autour d’une si belle entreprise, près de 4000  personnes  à peine remerciées , qui contribuent pourtant à un sauvetage de la sécurité sociale !  

Et puis plus bas, dans la vallée, c’est une école qui est en danger à la suite d’une fermeture de classe. Enfin, n’oublions pas la protection du Tétras Lyre !...

La descente vers Chaux Neuve, tant espérée, se profile enfin ! Je pense pouvoir récupérer un peu en laissant mes skis dans les rails genre : ‘’conduite auto’’  mais les traces sont effacées ou se croisent ! Et la neige est pourrie !Bouche cousue

Du coup, cette descente est trop technique pour s’y reposer , elle me demande beaucoup de vigilance , les quadriceps et iscio –jambiers sont à l’agonie.  Une grosse chute dans un virage serré m’ôte tout espoir de podium …  Peu importe, je finirai cette course et avec la plus belle des places, celle qui me convient.

Le bruit fort d’une volée de cloches me sort de mes rêves, la brusque réalité me saute aux yeux, éclatante, aveuglante : la majorité des concurrents ont déjà pris leurs douches ! les organisateurs vont ils m'attendre ? laissez moi encore un peu de lumière, j'ai peur dans le noir !...Je passe sous le tremplin de Chaux Neuve, ( fief de J.Lamy Chappuis) impérial, il domine le village et nous guide jusqu ’à l’arrivée.

 Les derniers kms, sont avalés sans douleur et la fin de course est, encore une fois, un pur bonheur !

Je m’efforce de garder tous mes sens en éveil pour profiter jusqu’au bout et apprécier ce passage sous l’arche.Sourire

 

5 commentaires

Commentaire de OlivierC posté le 01-03-2013 à 13:47:32

Excellent récit plein de style et d'humour. Je précise juste qu'on ne dit pas "Le bois d'amont" mais le village de Bois d'Amont ainsi qu'il s'agit de la forêt du Massacre et non le "Bois des Massacres", mais ce sont des détails...

Commentaire de e.broyer posté le 01-03-2013 à 14:06:21

Merci pour ces précisions, ce sont des détails effectivement mais j'aime bien les respecter.

Commentaire de yves_cool_runner posté le 01-03-2013 à 15:01:27

Bravo pour être devenu un transjurassien ! Le dicton exact est « Qui a vu les Ministres, verra Mouthe »... Cette année, je n'ai d'ailleurs vu ni les Ministres, ni Mouthe, ayant abandonné pour la 1ère fois après 21 arrivées... Comme tu le dis si bien, c'est un "pur bonheur" que de boucler cette course dans des paysages particulièrement nordiques cette année. Bon, on t'attend sur le forum des Accros du Fartage.

Commentaire de Eric Kb posté le 01-03-2013 à 19:19:25

Bravo pour le style et merci pour le Cr !

Commentaire de Benman posté le 02-03-2013 à 00:00:40

Bien sympa ce voyage introspectif.
Je propose comme dicton: qui a bu vers Mouthe, fait Lamoura - les Rousses.

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