Mon premier Paris Brest Paris 1999
Christian Scifo
Vtt de la Quilho
Le Puy Sainte Réparade
A Jean Claude, pour qu'un jour il comprenne enfin que faire 800 km avec une myopathie c'est beaucoup mieux que de finir le Paris Brest Paris
A Jean-Bernard, un Président qui vous donne envie d'aller au bout
A Philippe, pour ses "Plein Tube" salvateur et pour sa gentillesse
A Gérard, mon vélociste préféré qui a choisi de nous quitter le 14 juillet 2000
A tous ceux qui m'ont soutenu
Tout a commencé en cette fin d’année 1998, par une plaisanterie lors d’une sortie dominicale à vélo avec Jean Claude. Qui l’a prononcée ? C’est difficile à dire. Toujours est-il qu’elle nous a fait beaucoup rire. Quelle chose impensable 1200 km en vélo ! ! ! ! Le maximum que j’avais fait c’est 252 kilomètres lors de l’Ardéchoise Vélo Marathon en 1998 justement, Jean Claude lui avait déjà « tâté » de la longue distance par un brevet de 300 km et un tour de France cyclo-touriste. Tout ça nous laisse un peu rêveur, et si l’idée nous paraît farfelue et irréalisable, elle reste quand même enregistrée dans un petit coin de notre cerveau.
L’année 1999 arrive avec son lot de bonnes résolutions, le Paris Brest Paris en fait partie même si au fond de moi je suis persuadé que je ne le ferai pas, je me motive en me disant que je vais essayer de faire les brevets un à un, en les prenant l'un après l’autre en toute décontraction ! ! ! !
Le début d’année est là avec ses premiers kilomètres dans le froid, le verglas, le vent et la pluie, et je me dis que même si je ne le fais pas le PBP (= Paris Brest Paris) cela servira toujours.
Je m’astreins à rouler presque tous les jours, même peu 25 à 30 km entre midi et une heure pendant ma « pause », pour habituer mon organisme à travailler plusieurs jours de suite.
Le printemps arrive, et les premiers brevets qualificatifs obligatoires
le 20 mars, le 150 km du CSP Aix, froid et vent au menu, le parcours fait un petit tour dans le Luberon et je commence à sentir les bienfaits de mes sorties quotidiennes, au retour c’est le désert comme à chaque brevet du CSP, personne n’est là pour nous recevoir, c’est triste, surtout que nous demandons pas grand chose, juste une présence et une petite boisson.
le 27 mars, le 200 km à Aix organisé par le CSP Aix, parcours : Eyguières Carpentras Roussillon Grambois Aix vent froid pluie même un peu de neige dans le col de Murs en sortant de Carpentras, dans cette même ville ou nous nous sommes retrouvés à un feu avec des équipes cyclistes professionnelles qui venaient disputer le Critérium International dans le Vaucluse. Ils nous prenaient pour des fous de rouler ainsi sous la pluie sans y être obligé, l’accueil du CSP au retour s’est amélioré, une personne du club est là pour nous recevoir c’est gentil et nous apprécions beaucoup.
Le 10 avril le 300 km organisé par Istres Sports le parcours : Istres Rognes le Puy Vinon sur Verdon Forcalquier Banon Sault Cavaillon Istres, la malchance semble s’acharner sur nous un vent violent nous accompagne tout le long du parcours et augmente les pourcentages des côtes, mais quel accueil au retour, le club d’Istres nous reçoit vraiment d’une façon chaleureuse et très conviviale.
Le 17 avril le 300 km du CSP Aix (Jean Claude le fait seul) une virée dans les Hautes Alpes puis le Var avec un retour mistral de face qui a laissé des traces, notre ami James « le Parisien » s’en souvient encore.
Le 24 avril un peu de repos , le 150 de Pélissanne mauvais temps comme d’habitude, le parcours fait le tour du Luberon par Pertuis puis Cereste Apt et retour sur Pélissanne avec toujours et toujours du mauvais temps.
Le 01 mai le 300 km à Cavaillon le parcours : Cavaillon Apt Forcalquier les Mées Gréoux Rognes, je connais une grosse défaillance à partir de Gréoux heureusement Jean Claude assure le train pour châtier les « suceurs de roues » en effet, certains « cyclo touristes » n’ont pas jugé utiles de prendre des relais alors que nous roulions vent de face, ils nous ont laissé le soin de mener le train et de rester bien à l’abri derrière nous, et cela nous a beaucoup beaucoup déplu et mis en colère.
Le 15 mai 400 km à Montfavet (Christian seul) départ à 14 heures pour Valréas Romans, Tain l’Hermitage, le Cheylard, Pierrelatte, St Saturnin les Avignon et retour à Montfavet là encore vent violent de face jusqu’au Romans, la route de nuit en Ardèche fût sublime, le calme et la tranquillité d’une belle nuit de printemps efface la fatigue des kilomètres et l’angoise de rouler seul la nuit, le contrôle à 2 h 15 du matin dans une boite de nuit du Cheylard ne manquât pas de « piquant ». L’accueil à l’arrivée du club de Montfavet est remarquable, le ravitaillement est très copieux et avec surtout beaucoup de chaleur humaine, quand on a passé une nuit entière à pédaler cela réconforte beaucoup.
Le 22 mai le 400 km d’Istres parcours : par Remoulins Vallon Pont d’Arc l’Argentière Genolhac puis Istres. Mistral sur 200 km, ayant déjà fait le 400 de Montfavet, je choisis de bifurquer vers Marvejols pour retrouver mon épouse en vacances là bas. Jean Claude rentre seul avec Julien un ami du CSP Aix, la nuit fut dure pour eux mais ils sont rentrés à bon port sans dommage, enfin presque puisque Jean Claude s'assoupi en voiture en rentrant chez lui, et fini dans un fossé, sans dommage physique mais avec la "Rancho" à la ferraille.
Entre chaque brevet, nous accumulons les kilomètres quotidiens, et les longues distances les samedis et dimanches puisque nos « sorties » ne descendent pas en dessous de 100 km
Les 5 et 6 juin le GROS MORCEAU, le 600 km organisé par le club d’Istres parcours : Départ vers Arles puis le Gard et ses routes défoncées (Uchaud) Sommières, le Larzac et ses paysages fantastiques, la descente sur Milhau est fabuleuse, les Gorges du Tarn en vélo c’est « drôlement » beau. Nous faisons un arrêt à Ispagnac et prenons un repas dans une pizzeria avec au menu, un plat de spaghettis bolognaises à faire frémir ObélixDepardieu. Puis le calvaire a commencé dès 22 heures dans le col de Jalcreste, pluie violente, froid glacial, impossible de trouver un refuge la nuit en Lozère tout est fermé, pas d’abris bus, jusqu’au miracle, un bar ouvert à minuit trente, au Collet d’Eze, là notre arrivée fut saluée par des rires et des moqueries, ils nous avaient pris pour des fous échappés d’un asile pour rouler ainsi sous la pluie et en pleine nuit. Mais dès le début de nos explications un petit attroupement s’est formé autour de nous et au fur et à mesure il a grossi, et à la fin presque tout le bar qui s’était réuni pour fêter un anniversaire, était autour de nous, quel moment ! ! ! Nous avons été soignés aux petits oignons : Cafés à volonté, gâteaux, pousse-café ! ! ! Quel accueil, quel respect aussi quand nous sommes partis le corps et le cœur chaud, tous étaient dans la rue pour nous applaudir.
L’émotion de ce moment fort est encore avec nous, quand nous repartons, la pluie s’est calmée mais arrivés à Alès nouveau déluge, nous attendons ¾ d’heures dans des cabines téléphoniques en plein vent, la pluie cesse encore et nous repartons de nouveau, mais à quelques kilomètres de Bagnols sur Cèze nouveau déluge, première panne sérieuse de tous les brevets réalisés, plus d’éclairage, ni devant ni derrière. L’arrivée dans cette ville se fait très prudemment et avec beaucoup de concentration. Nous attendons dans un guichet automatique du Crédit Agricole que le bar d’à côté ouvre et surtout, que le jour se lève pour pouvoir repartir. Là, nous apprenons la mise hors course de Pantani au Tour d'Italie pour dopage. Nous faisons un arrêt jusqu’à 6 h 30 puis nous repartons sous un temps couvert vers Malaucène. Jean Claude est fatigué une vilaine tendinite le fait souffrir j’assure le train pour que nous puissions rentrer tranquillement. Malheureusement à la sortie d’Orgon je crève, je répare, et crève de nouveau sur la même roue 20 mètres plus loin, décidément nos deux compères n’ont pas de chance. Jean Claude et moi décidons de prendre contact dès le lendemain avec l'inventeur d'un nouveau concept increvable dont Jean Claude est équipé d'ailleurs. Cela fait plusieurs fois que je lui en parle, mais là c'est décidé je vais investir. Le retour sur Istres s’annonce difficile, en effet à quelques kilomètre d’Entressen, je crève pour la troisième fois mais cette fois ci plus de chambre à air alors Jean Claude puise dans ses dernières réserves pour rentrer seul sur Istres afin d’envoyer une voiture récupérer son acolyte. L’accueil parfait du club d’Istres nous réchauffe le cœur mais ne dissipe pas les interrogations qui circulent dans nos têtes. Comment faire sans assistance si nous rencontrons des problèmes pareils sur le Paris Brest Paris ?
Voilà les brevets qualificatifs sont réussis mais le cœur n’y est pas. La « galère » du 600 est restée dans nos mémoires, et nous ne nous bousculons pas pour nous inscrire au Paris Brest Paris, dès le 10 juin premier jour autorisé. Il faut que nous laissions décanter un peu tout ça. Les jours passent, le moral n’est pas bon, ni Jean Claude ni moi sommes prêts pour se lancer dans une telle aventure.
Puis un jour le déclic, lors d’une conversation, Jean Bernard Avagnina, président du club VTT de la Quilho (le club de Christian), se propose de nous servir d’assistance pour le PBP. Alors là, le téléphone chauffe entre Jean Claude et Christian « JB nous fait l’assistance alors on y va ? »
Oui, nous y allons. La grande aventure est partie. Au raccroc nous faisons partir notre dossier d’inscription début juillet, les clôtures sont le 10. Les visites médicales sont bonnes le taux d’hématocrite est parfait
Voilà cette fois ci c’est sur, nous recevons les accusés de réception de l’organisation, et là, débute la recherche de partenaires car le prévisionnel financier des frais nous à fait plus de mal que le 600 km, c’est affolant pourtant tout a été prévu chichement (repas sandwich, autoroute pour consommer moins de carburant….), mais le total est époustouflant. Les deux compères ne s’affolent pas, ils n’ont pas l’intention de baisser les bras si près du but après avoir tellement souffert.
De nombreuses entreprises sont contactées peu répondent mais souvent positivement, par de petites sommes, et par beaucoup d’encouragement et de soutien, cela nous fait beaucoup de bien.
Le moral est regonflé nous sommes loin d’avoir réuni tous les fonds mais cela ne fait rien, le départ est programmé. Notre plus grande déception fût le désintéressement presque total que nous avons rencontré dans notre village et plus particulièrement de la municipalité.
Entre temps nos deux baroudeurs n’arrêtent pas de rouler quotidiennement, ils rajoutent à leur palmarès le Brevet Cyclo Montagnard du Mont Aigoual avec un exploit à la clé : nous réussissons à nous perdre. En effet, par une extraordinaire coïncidence, au sommet d’un petit col que chacun avait monté à sa "main", j’arrive le premier et je tourne à gauche pour suivre le fléchage du parcours. Jean Claude qui me suit de près, ne voit pas ces flèches masquées par une voiture, et ne m’ayant pas vu tourner, file tout droit, et se perd. Je continue seul mais je me rends compte rapidement que mon collègue n’est plus là et fait demi-tour, je redescends le col, le remonte, et ne trouve toujours pas Jean Claude et je commence à m’inquiéter sérieusement sachant qu’il a un problème avec sa roue arrière. Décontenancé de ne pas avoir retrouvé mon acolyte je continue très inquiet, pensant que j’ai loupé Jean Claude en redescendant le col, je continue. Croyant le retrouver plus loin, je vais même arrêter une voiture dans la montée dans le col suivant pour lui demander d’avertir Jean Claude s’il le voyait plus haut, mais en vain. L’inquiétude grandit, je pense même à appeler les pompiers avec mon portable pour savoir si personne n’a signalé l’accident d’un cycliste, mais alors que j’étais complètement désespéré, il me semble apercevoir au loin une silhouette familière, juste avant d’arriver dans un village. Nos deux sportifs se retrouvent à la sortie de ce village, parce ce qu’ils se sont tous les deux trompés (comme d’habitude diront les mauvaises langues ! ! !). Et ils se sont trouvés sur la mauvaise direction, la joie des retrouvailles est intense car Jean Claude était aussi très inquiet de son côté, la fin de brevet n’est pas triste, les plaisanteries entre les deux fusent, et les fous rires sont nombreux.
Pour parfaire également leur préparation, nous décidons de faire un Grand Col, le Galibier Par Briançon avec le Lautaret en hors d'œuvre. Le parcours est magnifique comme dans tous les cols alpestres ou pyrénéens et une nouvelle fois le vent est là.
Nous n’avons pas fait un seul brevet sans mauvais temps alors pour se motiver, nous nous disons que sur le Paris Brest Paris nous aurons un temps parfait
A l’heure du départ, bien que le budget ne soit pas complet, l’équipe à laquelle s’est joint Philippe Théveny l’inventeur du système increvable « Plein Tube » qui a équipé les deux vélos est prête.
Ce concept nouveau et innovant, consiste en un petit boudin plein, qui remplace la chambre à air et empêche donc les crevaisons. Autre avantage, c’est que le pneu ne s’écrase plus dans les virages et les descentes sont plus sûres, Christian l’a testé dans la descente Galibier Lautaret avec des pointes à 75 /80 km/h et encore il a été ralenti par des voitures ! ! ! Sinon le compteur serait certainement monté plus haut. Le procédé a été utilisé par les deux compères sur les brevets et sur la cyclo montagnarde du Mont Aigoual sans soucis, et lorsqu’on connaît la mauvaise qualité des routes dans ce si joli coin de France on ne peut qu’apprécier le confort.
Le départ pour la Grande Aventure a lieu le dimanche 22 août au petit matin pour rejoindre St Quentin en Yvelines dans l’après-midi pour le contrôle des vélos. Là, commencent certaines interrogations. Pourquoi les guidons de triathlètes sont-ils interdits alors que des concurrents passent au contrôle avec ? Pourquoi certains éclairages sont-ils acceptées alors qu’ils ne sont pas performants ? Nous avons comme une impression bizarre.
La pression commence à monter pour Christian et Jean Claude, l’assistance avec Jean Bernard et Philippe essaie de dérider l’atmosphère. Nous sommes accueillis par un ami « parisien » James qui nous guide dans ce dédale de cyclistes et de vélos de toute forme.
Le soir nous soupons comme on dit en Provence dans une cafétéria puis nous partons vers l’hôtel pour notre dernière nuit dans un lit avant la fin du périple.
Le lundi après un petit déjeuner très copieux, nous faisons le prologue pour évacuer la pression, Jean Claude n’a plus de souffle et s’étouffe, je monte un « coup de cul » grand plateau à bloc pour « me détendre », il faut absolument que je fasse ressortir cette accumulation de stress, mais la tension est là, malgré tout, elle monte, monte, monte heureusement que Jean Bernard avec ses plaisanteries et ses bons mots nous fait rire et nous détend.
Nous prenons un super bon déjeuner chez James. Sa femme et sa petite fille nous accueillent très chaleureusement, au menu bien sur des pâtes, nous devons emmagasiner le plus possible de sucres lents, James qui part sans assistance nous montre son organisation très méticuleuse et personnellement ça me laisse rêveur, je n’aurais pas pu faire le Paris Brest Paris comme ça tout seul.
L’heure du départ approche, l’organisation nous fait peur car les repas du lundi soir ont été payés mais nous n’avons pas eu les tickets, il faut alors pleurer pour les avoir, avec des remarques de suspicion qui font mal. Je n’ai pas l’habitude de tricher et si je viens faire le PBP ce n’est ni pour tricher envers moi-même ni envers les autres.
Le temps de la préparation finale est là, les vélos sont montés, vérifiés, les éclairages fixes et les lampes frontales sont montées et prêts à fonctionner, les ravitaillements sont chargés dans les sacs et maillots, la tension se lit sur les visages, l’équipe est très soudée.
20 heures c’est le départ, Jean Claude, Christian, Jean Bernard et Philippe se serrent la main et se souhaitent bon courage car pour l’assistance ce ne sera pas facile non plus.
Sur l’aire de départ nos deux compères se serrent la main sans rien se dire, ils se connaissent pas besoin de mots pour se souhaiter bonne chance, l’émotion est là, aucun mot ne peut sortir.
Le départ est FABULEUX des milliers de personnes nous ovationnent sur plusieurs kilomètres, nous les petits cyclistes du Puy Sainte Réparade, tous ces gens sont là pour nous simples sportifs, et là on se rend compte que ce à quoi nous nous attaquons est grandiose, mythique et légendaire, que c’est l’aboutissement d’heures et d’heures de selle, de plaisir, de souffrance car nous totalisons en effet chacun 12 000 km de vélo au départ.
Ca y est, c’est parti, nous avons choisi le premier départ de 20 heures, 800 cyclistes s’élancent dans les rues de la banlieue parisienne noire de monde, quelle émotion, le cœur palpite mais ce n’est pas d’effort.
La première nuit est, elle aussi, intense en émotion, dans tous les villages, villes ou hameaux que nous traversons, quelle que soit l’heure de la nuit, des personnes âgées, jeunes, moins jeunes, debout, assises, sont là pour nous encourager, nous avons même droit à un petit air d’accordéon vers 3 à 4 heures du matin. Nous roulons dans un peloton de 70 à 80 coureurs. En pleine nuit le spectacle des lumières est fantastique, nous voyons devant nous un serpent rouge de plusieurs kilomètres. Au kilomètre 50 premier accident, un cycliste dont la dynamo est passée dans les rayons de sa roue avant fait un saut périlleux. Jean Claude ne l’a pas vu, mais je l’évite de justesse et m’arrête, le gars est KO, son vélo est "foutu" les secours arrivent, je laisse le blesser aux mains des secouristes. Je repars et "chasse" derrière le peloton pour retrouver Jean Claude, la jonction se fait non sans mal car dans la nuit ce n'est pas évident de se reconnaître.
Nous arrivons au premier contrôle, la joie et l’excitation sont là, nous retrouvons Jean Bernard et Philippe, eux aussi tout excités. Les premières étapes arrivent Mortagne, Villaines la Juhel, Fougères, Tinténiac, la désillusion se lit sur nos visages car les paysages sont très monotones. Maïs vaches, vaches maïs, longues lignes droites styles « montagnes russes » usantes, lassantes, nous sommes habitués aux paysages de notre Provence et c’est dur de subir cette monotonie. La seule belle vue que nous avons eue, c’est la traversée d’une partie de la Normandie avec un château et des chevaux dans des prés.
L’accueil des autochtones est formidable beaucoup de respect, beaucoup d’encouragements, si seulement nous avions eu le même soutien de la part de notre village ! ! !
La deuxième nuit est très calme, les pelotons ont disparu, il ne subsiste plus que des petits groupes de cyclistes. Avant Loudéac nous faisons notre première halte sommeil d' ½ heure, au bord de la route, pour anticiper son arrivée, puis avant Carhaix nous faisons un arrêt identique d' ½ heures sur la place d’un village. Jean Claude souffre de nouveau de sa tendinite et l’humidité des nuits n’arrange pas les choses.
Le moment est très dur, car je sais que Jean Claude souffre et je ne sais pas quoi dire pour l’aider ni quoi faire. Je décide de le laisser décider seul, mais au fond de moi j’espère qu’il va continuer. La décision est dure à prendre, et je pense qu’il vaut mieux qu’elle vienne de lui seul. Mais finir le PBP sans Jean Claude me semble impossible, toutes ces galères passées ensemble pour finir séparés non, je n’arrive pas à l’envisager.
A Brest, où nous arrivons sous la pluie et hors délai, notre « entraîneur » Jean Bernard calcule la moyenne à tenir pour arriver dans les délais au contrôle de Carhaix faute de quoi nous serions éliminés. Le couple se sépare pour la deuxième moitié du parcours. Je réussis à combler le retard et même à prendre un peu de bénéf. Jean Claude souffre mais rentre aussi dans les délais, le temps ne joue pas pour lui, l’humidité est très mauvaise pour les tendinites. Hélas, à Loudéac après 800 km il devra renoncer la mort dans l’âme. Christian poursuivra donc seul. La fin sera dure pour notre solitaire.
L’accueil des enfants au bord des routes est monstrueux de générosité et de respect. J’en rencontre beaucoup au bord des routes qui ne savent quoi faire pour nous être agréable, et qui improvisent des ravitaillements, certains sont plus copieux que celui que j’aurais à l’arrivée.
J’essais de m’arrêter le plus possible, simplement pour leur dire bonjour, je bois juste un petit verre d’eau pour leur faire plaisir, pour leur faire comprendre que ce qu’ils font est vraiment sensationnel, et me touche vraiment, et lorsque je ne m'arrête pas j'ai toujours un petit mot de remerciement pour eux.
La 3 ème nuit apportera son lot de souffrance surtout en ce qui concerne les pieds. Je serais même obligé de marcher pied nu sur la route en pleine nuit sur 2 à 3 km pour me « soigner », et là un miracle se produit, une voiture s’arrête et me propose de me reposer un peu plus loin dans un petit bar qui reste ouvert nuit et jour pendant toute la durée du Paris Brest Paris. Je remonte sur mon vélo et repars péniblement pour rejoindre ce lieux idylliques. Les « soins », qui se résument en un bain de pied avec du gros sel, sont gratuits. Le seul paiement consiste en la signature du Livre d’Or, ce que je fais avec plaisir même si la fatigue empêche mes neurones de tourner à plein, le message écrit est donc d’une banalité affligeante. Je le regrette maintenant, j'aurais tant voulu leur témoigner ma reconnaissance pour leur soutien.
Arrivé à l’étape suivante en pleine nuit, je fais une grosse halte sommeil : 1 heure ! ! ! L’équipe d’assistance est aussi à plat par manque de sommeil, et aussi par les répétitions des arrêts.
L’unité et la solidarité de l’équipe vont alors entrer en jeu. Jean Claude, après avoir difficilement digéré son abandon, mais avec sa maladie faire 800 km sur un vélo c’est beaucoup mieux que de faire un Paris Brest Paris, se mettra « au service » de son coéquipier de façon très spontanée et motivante. Il est même tout seul au petit matin à Fougères pour s’occuper de moi, Jean Bernard et Philippe prennent un court repos bien mérité. Je suis à plat moralement. Jean Claude me regonfle, me recharge les batteries et me motive pour continuer car le moral est bas en ce dernier jour, je suis moralement à plat.
En partant, je croise le regard de la femme d’un concurrent marseillais avec qui nous avions fait presque tous les brevets. Pas besoin de mot ni de geste, son regard a suffit, avec des larmes prêtes à sortir, j'ai compris son message, <
>. A la sortie du village je m’arrête en cachette, je craque et je pleure longuement sur le bord de la route. Puis, je repars, et comme par miracle, peut-être les larmes contiennent-elles des produits dopants, la forme et le moral reviennent. Je me rends compte que bien qu’étant à bout, je double des concurrents, et ceci décuple mes forces.
Les 3 équipiers sont alors formidables pour le « survivant », je suis massé, lavé, chouchouté, mon vélo est lustré, huilé, réparé.
L’ambiance est très bonne, l’arrêt à Villaines la Juhel est mémorable, Je suis passé à la "gégène" (électro-stimulateur) par Philippe pour une séance de décontraction qui restera dans les annales. En effet, les muscles sont à cran et leur électro-stimulation les fait réagir, je cris de douleur, mais les rires reprennent vite le dessus. La reprise du vélo est dure, mais la séance a fait du bien les sensations reviennent vite, je suis content et pense arriver en fin de journée à St Quentin, le moral est bon, même si l’attitude de certains concurrents me laisse pantois, témoin ce que j’ai vu avant d’arriver au contrôle de Mortagne au Perche.
J’ai rejoins un groupe de 4 personnes, et pour récupérer car nous roulons vent de face, je décide de rouler un peu avec eux. Ce groupe est composé d’un père et d’une fille, (des Anglais), d’un Espagnol, d’un non identifié et moi. Le père roule seul en tête et prend tout le vent, je décide donc de prendre des « relais » avec lui pour nous permettre de récupérer. A ma grande surprise nous ne sommes que deux à rouler les deux autres hommes se laissent tranquillement emmener bien à l’abri derrière nous. Par courtoisie et au vue de sa jeunesse (18/20 ans) je trouve normal de protéger la jeune fille, mais au premier abord je dois être le seul à raisonner ainsi.
Nous roulons en duo pendant 7 à 8 kilomètres sans que les deux suceurs de roues daignent nous soulager un peu. Je décide volontairement de lâcher ce groupe pour voir la réaction des deux énergumènes. A ma grande stupéfaction ils ont laissé la jeune anglaise combler la place que j’avais laissée. Je crois que le vent n’a pas permis à ces deux sinistres individus d’entendre les insultes que je leur ai lancées et que la décence m’interdit de répéter. Ils étaient sûrement fatigués comme moi, comme nous tous, mais nous n’étions pas entrain de faire un contre la montre par équipe, nous cherchions seulement tous à récupérer un peu en nous protégeant du vent.
Par bonheur je rattrape une concurrente avant Mortagne au Perche, et je me motive pour appliquer le même précepte que ci-dessus c’est à dire que je la protège pour qu’elle récupère un peu, moralement ça me fait beaucoup de bien de me sentir utile à quelqu’un, cette dame me remerciera plus loin avant d’arriver au contrôle, mais c’est plutôt moi qui doit la remercier.
Arrivé à Mortagne au Perche, il me reste à peu près 160 kilomètres à effectuer, et je calcule qu’à 20 de moyenne, je serais à Saint Quentin vers minuit. Je suis en retard par rapport aux prévisions du matin mais qu'importe je finirais. Le moral est bon, je laisse mon équipe car je ne la revois plus jusqu’à l’arrivée, mon sac à dos est prévu en conséquence, piles, nourriture, vêtements…. Mes amis me disent qu’ils m’attendront dans un village dont je ne me rappelle plus le nom. Normalement, je dois faire la fin sans assistance, et si nous ne faisons prendre j’aurais des pénalités, mais peu importe. Jean Claude a les larmes aux yeux de me voir partir. Quelque part il doit un peu se sentir coupable de me laisser seul, mais il doit aussi me jalouser. La suite va peut-être lui montrer qu'il ne doit pas..
Voilà, je repars pour terminer mon premier Paris Brest Paris, il est 17 heures le jeudi 24 août 1999. Je ne savais pas alors que j’allais connaître la pire défaillance morale de ma vie. En effet, je me retrouve seul, et la monotonie du paysage final des petits villages très stéréotypés, et de grands champs de pâturage, des immensités d’herbes vertes sans âme qui vive m’ont coupé les jambes et surtout le moral. J’essaye de m’accrocher à tout ce qui passe, mais le cœur n’y est plus et les autres cyclistes me doublent inexorablement, sans un mot ni un regard, rien, je croyais les cyclos solidaires.
Une seule fois j’ai réussi à suivre un petit groupe de … deux cyclistes, je croyais pourvoir aller au bout, je me suis accroché au point de ne pas vouloir m’arrêter là où m’attendaient les copains, à leur grand désappointement d’ailleurs. S’ils savaient que si je m’étais arrêté, je ne serais sûrement pas reparti… J’étais à bout, moralement lassé et usé, surtout que quelques kilomètres plus loin j’ai été obligé de lâcher le wagon, et là a alors commencé la vraie descente aux enfers de la souffrance morale.
Je crois que j’ai tout essayer pour me re-motiver, j’ai beaucoup pensé à ma femme et à mes enfants qui devaient se morfondre d’angoisse à la maison, je revoyais le visage de mes petits, j’entendais leur voix et leurs cris, j’ai pensé à Jean Claude, Jean Bernard et Philippe qui devaient eux aussi être à cran à cause de leur propre fatigue et de l’attente interminable. Je me suis accroché désespérément à toutes sortes d’images et de sons.
Le film de la préparation repasse dans ma tête, je repense à tous les sacrifices que j’ai fait, que nous avons fait, aux longues heures passées sur le vélo, à ma femme, à mes enfant, à leur angoisse lors des brevets de nuit, je pense aux copains qui doivent se faire un sang d’encre de ne pas me voir arriver. Les portables n’ont plus de batterie et ils ne peuvent plus me joindre.
Je pense à mon copain Florent qui me soutient au bureau à Rognac et qui est chargé des relations par télécopie avec les sponsors, je pense aux amis du Puy Sainte Réparade, à André, à Josette, à Jean Paul, à mon club, tous m’ont soutenu et encouragé, je pense aussi à Jean Paul de la société SOPREMA un cycliste lui aussi, qui m’a appelé deux fois par jour durant tout ce PBP, pour m’encourager. Je pense aussi à tous les partenaires qui nous ont permis par leur aide de venir faire cette fameuse randonnée, et là je me dis que je n’ai pas le droit d’arrêter, même si l’envie de jeter le vélo m’a pris plusieurs fois, même si j’ai eu envie d’appeler un taxi d’une cabine téléphonique.
Je pense à Jean Claude, oui, je l'ai insulté pour m'avoir laissé seul, la détresse fait parfois disjonctée. Je dois dire que j'ai beaucoup pensé à lui en me disant que s'il avait été capable de faire 800 km avec une myopathie, je pouvais finir, pour rendre hommage à sa souffrance, et à celle de tous ces enfants atteints de cette effroyable maladie.
Les propos de M. Chappe de Velaux qui a fait deux fois le PBP, me reviennent en permanence <>, et ces mots me motivent, je m'insulte, je me bouge, tous les prétextes sont bons pour me re-motiver.
Que dire aussi de tous ces bénévoles qui ont pris sur leurs congés pour venir nous accueillir à toute heure du jour ou de la nuit ? Chaque fois beaucoup de respect, de chaleur, je n'ai rien à leur reprocher, mais plutôt à l'Organisation en général de cette randonnée.
Pour toutes ces personnes, pour tous ces enfants qui m’ont encouragé au bord des routes, pour le respect qu’ils ont eu pour moi, pour tous ces moments forts, je vais continuer. Pour la première fois de ma vie je vais aller au bout de ce que j’ai entrepris, et là le Paris Brest Paris dépasse le simple exploit sportif pour se transformer en un exploit personnel, une victoire sur soi même, un flirt avec ses propres limites. C’est vrai aussi que quelque fois, le cerveau a faibli durant ces longues nuits. Les exemples ne manquent pas pour le constater, comme lors de la dernière nuit, la nuit finale, où j’ai pris une vache dans un champ pour un cerf ! ! ! ou peut-être l’inverse
Une réflexion désagréable d’un cyclo touriste (alors on se traîne ! ! !) près de l’arrivée, le compteur a rendu l’âme depuis longtemps et je ne sais plus où je suis, achève de m’énerver et pour châtier l’insolent, je met la « plaque », le grand plateau, et quitte à me faire hara-kiri, malgré une montée, je laisse sur place l’imbécile qui réfléchira la prochaine fois avant d’ouvrir la bouche.
La fin du périple, plus de 50 km à peu près, dans des zones industrielles autour de St Quentin en Yvelines, est indigne d’une telle épreuve, et achèvera de m’énerver au plus au point.
De longues avenues toutes droites, sans fin, avec un éclairage orange très puissant qui gomme tous les reliefs et les aspérités de la route, je suis le seul à utiliser les pistes cyclables les autres cyclos touristes sont sur la route, et bien qu’il soit près de minuit ce n’est pas prudent, parce qu’il semble que ces endroits soient des lieux de rodéos ou de courses nocturnes car les crissements des pneus ne se comptent plus, et c’est dans une colère noire vis à vis des organisateurs que je finirai, sans même s’apercevoir que je l’avais fait, oui, j’avais fini mon premier Paris Brest Paris en 78 heures, mais l’arrivée à Paris sans Jean Claude a brisé ma joie. J’avais tellement rêvé de cette arrivée ensemble tous les deux dans la souffrance, l'émotion et la joie de la victoire. La colère a empêché toute émotion, mes amis devront même me forcer pour que je pointe ma carte de route afin de faire homologuer ma performance.
L’accueil de l’organisation est à leur image : pitoyable, la récompense pour avoir fait 1260 km en vélo : un verre d’une célèbre boisson gazeuse américaine et un sandwich pain de mie jambon ! ! ! ! ! Aucun emplacement spécifique n’est prévu pour que les cyclistes et leurs accompagnateurs puissent récupérer un peu et dormir. Je dors allongé dans le véhicule d’assistance, et mes collègues sur les gradins du gymnase avec la lumière dans les yeux et le bruit permanent.
J'en veux beaucoup aux organisateurs, car ils m'ont volé mon arrivée, mon émotion, ma joie. Le manque de considération et de respect qu'ils ont eu envers moi, et envers tous les cyclistes, est indigne d'eux. Surtout lorsqu'on voit le bénéfice qui a été réalisé + 100 000 F. C'est triste.
Le vendredi matin après une douche bienvenue, nous repartons vers notre Provence bien aimée. La piètre qualité du parcours et le mercantilisme de l’organisation ont dégoûté les 4 complices. L'équipe reprend la route déçue et triste.
Mais l’ambiance et la bonne humeur reprennent vite le dessus, et le retour s’effectue dans la récupération et dans la joie, mais avec J-B comment faire autrement ??
Le soir nous appelons notre ami James pour prendre des ses nouvelles, il a bien terminé son périple, fatigué mais heureux.
En conclusion, je voudrais avoir une pensée pour tous nos collègues décédés pendant les brevets qualificatifs, à cause d’assassins en voiture, et il serait temps que la justice prenne enfin ses responsabilités et sanctionne comme il se doit ces meurtriers.
Je félicite aussi pour leur courage tous les cyclistes qui ont fait Paris Brest Paris sans assistance, et remercie tous ceux et celles qui nous ont soutenus et fait confiance.
Une telle épreuve est à la portée de tout le monde à condition de s’en donner les moyens et de la préparer presque en professionnel.
Un grand merci à Gérard Naddéo et Robert mon mécanicien attitré qui ont préparé ma monture.
Un grand bonjour également à tous les cyclistes avec qui nous avons sympathisé, ceux d’Istres sports, de la Tour d’Aigues, de Marseille, du CSP Aix, et tous les autres.
Jean Claude Masy fait partie du Cyclo Club Olympique présidé par Jean Claude Martinez
Christian Scifo fait partie du VTT de la Quilho présidé par Jean Bernard Avagnina
Christian Scifo VTT de la Quilho le Puy Sainte Réparade
1 commentaire
Commentaire de La Tortue posté le 07-06-2008 à 23:35:00
salut cigaloun,
je suis tombé par hasard sur ton cr du PBP. comme toujours, c'est bourré d'émotion et de "vécu". je comprends mieux maintenant tes réussites suivant à Embrun : tu as vraiment la tête, les jambes et une gniac extraordinnaire.
avec du retard : un MEGA bravo !
La Tortue
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.