L'auteur : ilgigrad
La course : Les Templiers
Date : 23/10/2011
Lieu : Millau (Aveyron)
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Distance : 76km
Objectif : Terminer
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pour ceux qui préférerait la version originale, sur mon blog : http://www.ladrauniere.fr/2011/10/un-bout-des-templiers/
Nous étions résolus, Laurent et moi, à nous attaquer à la course des Templiers quelques jours à peine après être revenus duMarathon des Causses. Je n’ai pas attendu le deuxième jour des inscriptions pour m’engager sur une épreuve qui dépassait très largement mes aptitudes en endurance, mais les austères sentiers des Causses nous avaient marqués pour la vie et courir à Millau en 2011 était devenu une évidence.
J’ai couru le marathon du Mont-Blanc en juin et le plaisir que j’y ai pris m’a donné une grande confiance quant à ma capacité à affronter un dénivelé et un kilométrage important. Je disposais de tout un été pour être en mesure de courir, en montagne, trente kilomètres au-delà du marathon. Cela me semblait parfaitement jouable.
J’ai couru cet été autour de la Grave, dans la Garfagnagna et les Alpes Apuanes et je suis retourné à Chamonix fin août. Début septembre il me restait un peu plus d’un mois pour affiner mon entraînement. J’avais un programme de longues sorties en nature et en VTT tout autour de Paris mais je ne m’y suis pas tenu. Laurent, qui devait plonger avec moi dans cette aventure y a renoncé au début de l’été. Un tournage en Papouasie pendant le mois de novembre lui interdisait de se préparer et de se lancer dans une telle course. J’ai vécu cette annonce difficilement. J’avais bien sûr promis à Thibaut que nous courrions ensemble. C’est lui qui m’avait convaincu, lors d’un séjour au ski, de me mettre à la course à pied et grâce à qui j’avais triomphé de ma première compétition; mais Thibaut n’a besoin de personne pour terminer les courses les plus dures et je craignais d’être un poids pour lui. Il serait l’exemple, celui qui court devant, qui fixerait l’objectif et nous essaierions de le suivre. Laurent c’était différent. Nous partagions un niveau identique et la même expérience : les Causses, l’Eco-Trail et le Mont-Blanc. Je savais que, quoiqu’il arrive, nous serions côte à côte jusqu’au bout. J’en ai parlé à Julien, mais il n’a jamais répondu. J’ai pensé à Frédéric mais il revenait de son Marathon à Berlin et il n’était pas tout à fait prêt pour une telle distance. J’ai voulu convaincre François de reprendre le flambeau et ce fardeau, mais, après avoir longuement hésité, il a préféré ne pas se perdre dans un défi auquel il ne s’était pas suffisamment préparé. J’aurais bien voulu que Bruno courre avec moi. Bien qu’il s’en défende je suis sûr qu’il aimerait ce genre de chose et qu’il ferait un excellent coureur de fond. On pourrait fonder une Dream Team. Je n’ai finalement trouvé personne qui puisse prendre la place de Laurent.
Je me suis dissipé. J’ai participé à des épreuves de demi-fond, la QBRC et le Paris Versailles et je suis tombé malade. J’ai enchaîné pendant trois semaines différents stades d’états fébriles, grippe, angine et j’ai arrêté de courir. Habituellement je supporte difficilement de laisser passer plus de deux jours sans chausser mes runnings. Là les jours défilaient pendant lesquels je ne ressentais plus rien, aucune envie, aucun frisson. Une rupture.
J’ai annoncé à Thibaut que je l’accompagnerai pour faire des photographies et lui servir d’assistance mais qu’il était impossible que je courre moi même.
J’ai retrouvé quelques forces trois jours avant de partir pour Millau; j’ai mis mes bâtons et mes chaussures dans un grand sac et j’ai pris le train.
J’ai retrouvé Thibaut à la gare de Lyon. J’avais aussi donné rendez-vous à Olivier qui avait gagné récemment un dossard et que je ne voulais pas laisser seul dans ce challenge vertigineux.
Nous avons confortablement voyagé en première jusqu’à Millau détaillant jusqu’à l’infini notre plan de course du lendemain. J’avais développé un tableau de bord dans lequel j’indiquais les temps de passage probable sur chaque point haut ou bas du parcours, en intégrant la distance, la pente, ma vitesse de base et le déclin potentiel lié à la fatigue. Mes estimations les plus objectives donnaient 11:30. Thibaut trouvait que ce timing manquait d’ambition et que nous devrions plutôt nous fixer un objectif de 10:00. Olivier, plus réaliste, comptait simplement se caler sur les barrières horaires pour terminer sa course. Je contestais qu’en se fixant sur les barrières horaires, on prend le risque d’être hors limite si un incident survient. Je le reconnais, il est plus aisé de discuter de tout cela confortablement installé dans un fauteuil que lorsqu’on se retrouve confronté à la dure réalité du terrain.
En gare de Montpellier, Thibaut à pris le volant d’une Opel Zafira que j’avais réservé chez Avis depuis trois mois et nous avons roulé vers Millau.
Nous avons quitté l’autoroute avant d’atteindre le pont; quelques kilomètres plus tard, Thibaut et Olivier découvraient le profil du Causse Noir et à 16:00 nous étions sur le site des Templiers pour récupérer nos dossards. Nous avons fait un tour dans le salon du trail mais je n’ai rien trouvé qui satisfasse ma frénésie consumériste. Le cadeau offert par les organisateurs m’a déçu, on nous distribuait une fois encore, le buff que nous avions reçu l’année dernière.
Nous avons laissé Olivier à son hôtel, sur les hauteurs de Millau et nous avons rejoint le notre. L’Hotel des Causses est situé en centre ville; il est en cours de restauration par un couple de néo-propriétaires tout à fait sympathique. Nos cellules étaient spartiates mais suffisaient largement à notre programme.
J’ai épinglé mon dossard à mon joli T-shirt finisher du marathon du Mont-Blanc, préparé et vérifié trous fois mon sac de course, étalé avec ordre mes vêtements sur le minuscule bureau. J’ai hésité un moment sur la quantité de gels et de barres de céréales à emporter dans mon sac. J’ai finalement opté pour trois gels et trois barres de céréales dont deux salées. Consommer davantage de gels pourrait me poser des problèmes gastriques et pour le reste, je pourrai toujours, si besoin, compléter mon panier pique-nique lors des ravitaillements. Je fourre la caméra dans une des poches. Ce n’est pas une décision raisonnable : c’est lourd et gérer deux objectifs (terminer une course et faire un film) créé un handicap supplémentaire.
Après quelques minutes de tourments quant à l’utilisation de la caméra en course, je suis descendu dîner avec Thibaut dans le restaurant de l’hôtel.
Nous étions entourés, ce n’est pas un hasard, d’une petite dizaine d’autres coureurs pour lesquels nos hôtes avaient composé un succulent menu spécial trail.
Une assiette de pâte et une gaufre au chocolat plus tard, j’étais dans mon lit.
Il était 22:00 et je pouvais espérer dormir au moins 6:00 avant mon réveil.
Longtemps je me suis couché de bonne heure…
…Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait…
J’ai presque pu compter le nombre de fois pendant lequel j’ai tourné dans mon lit sans trouver le sommeil. J’ai allumé la lumière, examiné le parcours sur l’Ipad que j’avais mis dans mes bagages, fait et refait mon plan de course, parfait les réglages de la caméra GoPro avec laquelle j’envisageais de filmer les éclats de notre « randonnée ». Mes yeux se sont clos vers 1:30; il était temps.
Quand le trio pour piano et cordes en mi bémol majeur de Schubert a retentit dans la pièce, je savais que la nuit s’achevait, qu’il était quatre heures du matin et que dans une heure à peine, je serais sur la ligne de départ. L’hôtelière nous avait prévenus : aucun petit déjeuner ne serait servi aussi tôt ce matin. J’avais pris, vendredi soir, la précaution de confectionner un Gâteau Energie. Je l’avais laissé brûler dans le four et je me retrouvais là, dans ma chambre à mâcher un mélange au charbon et aux fruits rouges. J’avais dormi trois heures et demie, je sentais que la fièvre des jours précédents n’avait pas complètement disparu, je n’avais rien à manger. J’ai dissout deux comprimés d’aspirine dans un verre d’eau, je me suis habillé, badigeonné de crème anti-frottements NOK et j’ai rejoint Thibaut dans la voiture.
Nous avions eu, la veille, un débat sur nos tenues : short ou corsaire ? Après une longue conversation sur le temps, le froid et la fatigue nous avons tous les deux choisis le port du short. De toute façon, à moins qu’il ne fasse moins quinze, je ne me sépare jamais de mon short Salomon avec un cuissard intégré. Il combine à la fois la légèreté, la fluidité et les propriétés déperlantes d’un short et la sensation de compression des cuisses que j’apprécie infiniment sur les courses longues. Je n’ai pas été saisi par le froid en mettant mon nez dehors ; j’avais fait le bon choix.
Nous sommes passés prendre Olivier à son hôtel. Comme il jouxtait le bowling de Millau, nous avons pris deux gars en auto-stop. Ils puaient l’alcool et rentraient se coucher chez eux, en centre ville. Ils n’imaginaient pas qu’on puisse courir pendant plus de dix heures sur les Causses. Deux mondes se rencontraient ; ça n’a pas duré. Nous les avons déposés avant qu’ils ne nous vomissent dessus et avons filé vers la zone de départ. A cette heure, le parking le plus proche de la ligne était encore accessible. A cinq heures nous étions garés et prêts à en découdre.
Les premiers concurrents commençaient à affluer vers les sas encore déserts. Nous allions nous placer dans le troisième sas quand un organisateur nous a informés que nos dossards (respectivement 251, 316, 716) permettaient d’accéder au second sas. Nous ne voulions pas nous retrouver à la toute fin du peloton et là, nous allions partir à quelques mètres des élites. A attendre pendant plus d’une heure sur une route balayée par le vent, je commençais à prendre froid. J’ai revêtu un maillot thermique moulant (avec lequel je pourrai tout aussi bien me lancer dans la plongée sous-marine dans l’Artique) sous mon T-shirt, ajouté une deuxième couche et enfilé une veste imperméable. J’ai retiré ma veste quelques minutes avant le départ et j’ai gardé le reste pour conserver un peu de chaleur pendant les tous premiers kilomètres.
Quand les sas furent bondés et que la pression du départ est devenue palpable, la sono a craché son hymne. On ne me compte pas parmi les grands fans d’Euro-dance et de chants crypto-grégoriens à la sauce technoïde. J’ai doucement sourit du silence religieux qui s’est répandu lorsque le cruel Ameno d’Era a retentit.
Le speaker a lancé le décompte, des feux rouges ont jailli devant nous jusqu’à l’horizon et nous sommes partis.
6:17 à ma montre
A peine ai-je franchi la ligne de départ, qu’une puissante émotion me submerge. Un sentiment profond de bonheur et de puissance m’accompagne pendant les quatre cents premiers mètres. Les larmes me viennent aux yeux. Même cette musique pathétique raisonne différemment à mes oreilles. Je suis sur un nuage au milieu de ces torches qui inondent la route d’un halo rouge féérique.
La musique s’estompe à mesure que nous avançons ; on n’entend plus que le souffle des coureurs , le bruit de leurs semelles qui frappent le bitume et il n’y a plus que la lumière de nos frontales pour nous éclairer dans la nuit.
Je suis parti trop vite. Entraîné par le flot des coureurs du premier sas, je dépasse 11km/h sur les deux premiers kilomètres. Je m’aperçois que j’ai laissé Olivier et Thibaut derrière moi. Je ralentis et laisse des centaines de coureurs passer devant moi. J’en profite pour ranger dans mon sac la caméra, avec laquelle j’ai filmé le départ. Au bout de deux ou trois minutes qui me paraissent interminables, je distingue Thibaut qui court sur la droite de la chaussée sous les 10km/h. Contrairement à moi, il a suivi le plan. Olivier est resté loin derrière et préfère courir plus lentement. Nous trottons tranquillement jusqu’à notre première étape, sans nous rendre vraiment compte de la pente ascendante sur laquelle nous sommes. Nous atteignons Carbassas au bout de vingt minutes, tournons vers l’est et entamons notre première ascension autour du 5 ème kilomètre. Je suis émerveillé par le long ruban de lucioles qui serpentent dans la montagne. J’appréhendais de partir avant l’aube et de courir dans l’obscurité mais je dois reconnaitre que cela confère un aspect magique aux premières heures de la course. Elles me resteront sans doute très longtemps en mémoire. Nous grimpons sur le Causse. Comme prévu, la pente est sévère, l’allure diminue et nous progressons en marchant. Tout va bien: je ne crains pas trop les côtes et nous n’en sommes encore qu’au tout début. On entend fuser les blagues habituelles : » ils n’ont pas installé d’ascenseur ? Il est où l ‘Escalator ? », ambiance !
Après 300md+ d’ascension un type me plante son bâton dans ma Supernova Riot et me fait trébucher. Je sens mon genou qui veille légèrement. Je m’écarte sur le bord de la piste pour effectuer un bref état des lieux. Rien de grave mais j’ai l’impression que cela a réveillé une très ancienne tendinite. Je repars rapidement mais j’ai de nouveau perdu Thibaut qui a continué à monter sans m’attendre. Ce n’est pas trop grave, il me reste encore 66 kilomètres pour le rattraper.
Après une ascension d’un peu plus de 400md+, j’arrive enfin sur le plateau, à 820m d’altitude. La course a été lancée depuis 52 mn. Nous nous dirigeons en direction de l’est sur un large chemin au milieu des arbres. Je n’en vois pas davantage. Éclairé par ma lampe frontale et celles de ceux qui courent autour de moi, j’éprouve quelques difficultés à distinguer la nature exacte de notre environnement.
Je cours de nouveau à belle allure et enchaîne des portions de plat très roulantes et des pentes douces sur lesquelles, quelque soit le sens, je continue à courir.
Vers le 10 ème kilomètre, au niveau de Paulhe, je profite de l’aube pour éteindre ma lampe et la glisser dans ma poche. Je suis en nage. Je retire aussi la seconde couche que j’avais conservé sur moi pendent toute ma grimpette.
Mon t-shirt est trempé et il fait encore assez froid. J’hésite à changer de maillot, celui que j’ai pris en rechange ne devrait servir qu’en cas de pluie ou après que j’aie dépassé le 50 ème kilomètre. Je grelotte lorsque nous sortons de la forêt et que le parcours s’ouvre sur une steppe balayée par le vent. Pour ne rien arranger, je perds mon dossard. Les épingles à nourrice ont dû s’ouvrir et je dois revenir sur mes pas pour le récupérer. Je gaspille quelques précieuses minutes à tenter de le fixer avec une épingle qui y était restée accrochée. Je ressors ma caméra, tente de filmer quelques images et m’arrête de nouveau deux kilomètres plus loin pour m’en débarrasser.
Nous longeons un centre équestre. Je pense qu’il s’agit de la Rouvière, le point à partir duquel débute la descente vers Peyreleau. Ça ne correspond pas tout à fait aux indications de mon GPS qui n’affiche qu’une distance cumulée de 17km. J’interroge peu après un groupe de spectateurs qui nous encouragent devant une jolie ferme restaurée. Ils confirment les indications de ma montre: Je me trouve au niveau du lieu-dit Puech Margue, à 18km, du départ.
J’atteins finalement la Rouvière vers 9h20 et 23km au compteur; ça fait trois kilomètres de plus que ce que j’avais en tête, et depuis un quart d’heure je m’interroge sur ma position; ce n’est pas bon signe. Il me reste tout de même plus de 50 kilomètres à parcourir et je ferai mieux de ne pas trop penser à chacun d’entre eux.
Je ressors la caméra de mon sac et la fixe sur ma tête à l’aide d’une sangle élastique. On dirait une grosse lampe frontale. La première descente commence là. C’est un sentier en monotrace qui plonge doucement vers Peyreleau en suivant une jolie combe en face de laquelle on observe le Pic de Montaigu. En moins de vingt minutes, je passe de 750m à 400m d’altitude. Les bâtons que je tiens à la main me gênent quelque peu. Je les avais sortis pour affronter une bosse vers le 15 ème kilomètre et je n’ai jamais pris le temps de les replier depuis.
A 9h45, après 3h30 de course, j’atteins enfin la première étape à Peyreleau. Un ravitaillement sans histoire et sans cœur. Je bois deux ou trois vers de coca que j’accompagne d’une banane et d’une barre de céréale. Je remplis mes bidons avec de l’eau qu’un bénévole puise à l’aide d’une carafe dans une vaste poubelle. Je suis déçu par le côté distant de l’accueil et de l’ambiance qui règne autour des tables. Je passe un coup de fil à Thibaut pour savoir où il en est. Il me précède de 15mn. Je ne m’attarde pas et me lance à sa poursuite. Je croise, en sortant du village, un petit groupe de jolies filles déguisées en stroumpfettes; c’est tellement plus sympa que tous ces gars qui, comme moi, cours avec leur sac sur le dos et leurs drôles de chaussettes…
J’attaque ensuite la deuxième difficulté du parcours : 450md+ de côte. Je dois grimper sur la corniche du Causse Noir. Je ne suis pas le seul , ça avance lentement. J’en profite pour téléphoner à Olivier. Il arrive au ravitaillement. Au bout de 100md+ je me retrouve enfermé dans un énorme embouteillage. Nous sommes à l’arrêt. Assis sur une souche, je récupère. On parle du match, de la finale qui se déroule au même moment en Nouvelle Zélande. Nous sommes en terres de rugby ; les gars autour de moi ont l’accent qui chante ; les informations circulent : les blacks mènent 7à 0. Ça repart lentement. Certains commencent à s’inquiéter pour la prochaine barrière horaire. Nous atteignons un belvédère qui surplombe toute la vallée. Je sors mon Iphone et prends une photo. La caméra est dans mon sac, elle y restera jusqu’à la fin de la course. D’autres coureurs font la même chose que moi, certains prennent la pause devant l’objectif de leur pote ; la vue est superbe.
Cent mètres plus haut nous atteignons le champignon préhistorique et le 29ème kilomètre. J’avance depuis 4h30 et je me sens physiquement assez bien. Depuis que j’utilise des Leki de Nordic Walking pour m’assister dans les pentes les plus raides, ça passe beaucoup mieux. Les têtes de séries en ont aussi et on peut difficilement les soupçonner d’être des randonneurs. Arrivé sur le plateau Je ne prends pas le temps de me couvrir et repars sans attendre en direction du sud est.
Aux environs du 30 ème kilomètre, des secouristes sont collés à leur transistor. Je leur demande le score ; 8 à 0 mais les français sont à douze mètres de la ligne des blacks. Je n’ai pas couru cinq cent mètres quand j’entends le klaxon de leur véhicule de secours accompagné d’une clameur qui se répand dans la forêt. Je regarde mes compagnons de route, on est d’accord : « essai français !». Trois minutes plus tard, nouveau coup de klaxon et nouvel clameur : « transformation !»
Je jette un œil à ma montre : 11h10, presque cinq heures de course. J’ai froid et faim. Je n’ai avalé, depuis le départ, qu’un gel, un quart de barre aux céréales et une banane. La douleur que j’avais ressentie à mon genou droit dans la première côte, s’accentue. Ça ne s’arrange pas, lorsque nous amorçons une légère descente au 32 ème kilomètre.
J’atteins Saint André de Vézines, 36 ème kilomètre, en 6h03. J’ai une vingtaine de minutes d’avance sur la barrière horaire. J’entre dans la cour d’un petit bâtiment. C’est un peu le bordel. Les boissons et la nourriture sont servis autour de hauts comptoirs installés sous un préau. Je cherche désespérément quelque chose de salé à avaler. Les pâtes de fruits qui sont exposées sur les buffets ne m’attirent pas beaucoup. A partir d’un certain temps de course le goût du sucre disparait. C’est un des effets de l’ultra : il faut savoir aller par delà le sucre et le mal. Je me jette comme un affamé sur une assiette de fromage, engloutie une banane entière et bois un verre de thé sucré brulant. Comme à l’étape précédente, je ne suis pas emballé par l’ambiance qui règne ici. C’est un peu déshumanisé. J’appelle Thibaut, il est à cinq ou six kilomètres du troisième ravitaillement. L’écart est creusé. Je ne le rattraperai plus. Et puis cette douleur aiguë qui ne me quitte plus ne préfigure rien de bon. Je ne parviens pas à me relancer immédiatement. Je marche jusqu’à la sortie du village. On nous oriente vers l’ouest et le GR 62. Nous plongeons vers le ravin de L’Adrech. Chaque pas est insupportable, je ne peux absolument plus courir. Je suis au ralenti. J’appelle Olivier et je m’étonne qu’il ne m’ait pas encore rattraper. Il entre tout juste dans Saint-André de Vézines. Je lui annonce qu’il me rejoindra sans doute bientôt car je suis HS. J’hésite à retourner jusqu’au point de secours et à jeter l’éponge. Le téléphone sonne. C’est Stéphane. Il me rassure en me racontant qu’il a terminé, il y a quelques années, les Templiers en marchant du 37ème kilomètre à la fin de la course. Il me conseille d’avancer et de courir dans les portions les plus roulantes. J’ai à peine raccroché lorsque Olivier me rejoint. Je lui détaille la nature de mes ennuis; lui m’explique qu’il souffre beaucoup dans les côtes. Son arrivée me redonne un peu de courage et je reprends ma course.
A 13h00, nous tournons vers le sud. Nous commençons notre 41ème kilomètre et il nous en reste moins de dix jusqu’à l’étape suivante. Nous disposons de plus de 2h20 pour y parvenir. C’est jouable.
Au 42ème kilomètre un photographe nous immortalise dans les rochers de Roques Altès. Nous débouchons sur la corniche du Rajol. Le panorama est sublime. Des vautours planent au dessus de nos têtes. Ceux qui cheminent à notre proximité n’ont pas l’air beaucoup plus en forme que nous; les rapaces attendent leur diner.
Au 45ème kilomètre, Olivier à mes cotés, j’attaque la première partie de la descente vers la Rocque-Sainte-Marguerite. Le sentier est extrêmement escarpé. C’est une torture pour mon genou. Je ne parviens plus à le plier ce qui est loin d’être pratique pour descendre dans une pente à plus de 15%. Je reprends ma course sur un replat entre le 47ème et le 48ème kilomètre. Je laisse Olivier derrière moi. Je sens que je suis surhumain. je double quelques coureurs qui trainaient devant moi; un miracle. Cela ne dure pas. C’était mon chant du cygne. Les 150 derniers mètres de dénivelé vers la Rocque constituent un véritable calvaire. Olivier repasse devant moi et s’envole vers la prochaine étape. J’espère le rattraper dans la côte suivante mais là, je suis accroché à mes cailloux. Je franchie la Dourbie à 14h40. Selon le timing fournit par l’organisation, il nous reste 40mn pour faire les 2km qui nous séparent de la barrière horaire de Pierrefiche. Ca grimpe dure mais c’est parfaitement jouable. J’interroge un homme qui progresse difficilement devant moi. Son GPS indique, comme le mien 49.6km; nous sommes, en toute logique, tout près du but. Il vient de Lille et s’entraine sur des terrils; rien à voir avec ce qu’il affronte ici.
Je ne lâche rien. Les minutes défilent et on progresse toujours au milieu de la pampa. Une forêt qui n’en finit pas et aucun ravitaillement en vue. Je rejoins Olivier cinq minutes avant le mur horaire; il est aussi désemparé que le lillois et moi.
Nous atteignons le plateau du Larzac, là où, théoriquement, aurait dû se trouver le point de ravitaillement, à 15h30. Je suis abattu. La course est finie pour nous. Malgré nos ultimes efforts, nous ne serons pas dans les temps. La pluie commence à tomber et je suis saisi par le froid. Ma déception me cloue au sol; je ne peux plus avancer. J’appelle Laurent qui avait laissé un SMS sur mon téléphone. Je lui annonce mon échec sur sa boite vocale.
Il nous faudra encore faire 2 kilomètres pour rejoindre Pierrefiche du Larzac. L’étape est en cours de démontage. Il n’y a plus rien à manger ni à boire. On nous reprend froidement nos dossards.
Voilà, ça c’est terminé comme ça.
Quelques coureurs hagards ont le nez plongé sur leur GPS et sur leur chronomètre. Comme moi, ils ne comprennent probablement pas pourquoi ils se sont trompés de plus de deux kilomètres. Un type au bord de l’hypothermie sous sa couverture de survie. Il ne porte qu’un t-shirt à manche longue et n’a emporté avec lui ni seconde couche ni vêtement imperméable parce qu’il pensait sincèrement qu’il n’aurait pas besoin de s’arrêter ! Je n’ose imaginer ce qu’il serait advenu de lui s’il était retenu seul au milieu du parcours après que la nuit soit tombée quelque part entre Pierrefiche et l’arrivée…
J’enfile le rechange que j’avais conservé précieusement dans mon sac afin d’aborder au sec la dernière partie du parcours. Au moins je n’aurai pas froid dans la navette qui me ramènera à Millau.
Il y avait peut-être moyen de terminer et de franchir la barrière de la ferme du Cade si la descente vers le Monna était, comme on me la dit, plus roulante que celle que je venais de terminer, mais je ne le saurai pas; pas cette année. Je suis déçu. Déçu de ne pas avoir pris suffisamment de marge sur la barrière horaire et déçu que sur une telle course on ne puisse s’appuyer sur une mesure fiable du kilométrage par les organisateurs.
Grosse déception en atteignant, en navette, le site d’arrivée pour accueillir et féliciter Thibaut qui me précédait de quelques kilomètres dans cette course. Tous ces finishers avec leurs grosses médailles et les magnifiques maillots bleu-nuit Adidas; j’avais une grosse boule dans la gorge de m’être arrêté, contraint et forcé, 23km plus tôt.
Je ne sais pas si ce décalage entre les temps et les distances des barrières horaires annoncées et ceux qui furent réellement constatés correspond à une volonté délibéré ou à une certaine approximation dans les mesures. Je me suis fait avoir cette fois-ci mais je reconnais que cet écart n’est, au final, pas si important et que je dois mon échec à ma méforme plus qu’à un défaut d’organisation. On est juste très agacé quand on se retrouve hors limite de 3 minutes…
Sur le site de départ, un immense chapiteau d’au moins 1000m2 était dressé pour accueillir les participants et leur offrir un copieux repas. Au menu Aligot-saucisse, salade et soupe de légume. Je dévore tout ce qu’il y a sur mon plateau. Je ne touche pas aux bouteilles de vin cinq étoiles disposées sur les tables. Je ne suis pas certain de l’effet d’une telle piquette sur l’organisme.
Thibaut a bouclé l’intégralité du parcours en 12h11. Il était épuisé. Nous aussi d’ailleurs.
Nous sommes rentrés sans attendre à nos hôtels et nous nous sommes couchés sans prendre le temps de célébrer la victoire de Thibaut sur le temps et sur lui même. Je n’ai pas non plus savourer la bière dont j’avais rêvé depuis une semaine, je n’avais plus la tête à ça.
Ceux qui ne courent pas ne comprendront pas ma déception. « Plus de 50km et 2000m de dénivelé, c’est énorme ! » diront-ils; « courir pendant plus de neuf heures aussi. Cela constitue, en soit, déjà une énorme performance. »… Pierrefiche de Larzac n’était pas mon objectif. J’espérais aller bien au delà et je pensais sincèrement m’être suffisamment préparé à cela. 50km ce n’est rien; 75km aussi. L’épreuve, ce n’est pas la course; c’est tout ce qui précède. Les heures d’entraînement, de fractionnés et de côtes qu’il a fallu avaler avant de m’aligner sur les Templiers. La course c’est une récompense. J’ai, en fait, le sentiment d’avoir été privé de dessert.
Nous avons quitté Millau sous la pluie le lendemain matin. Personne ne voulait prendre le volant mais comme Thibaut avait conduit à l’aller, j’ai fait le retour.
Je reviendrai à Millau.
J’ai beaucoup apprécié l’ambiance du départ et j’ai ressenti un gros frisson en passant entre la haie torches qui illuminaient la cohorte. j’ai trouvé certains passages somptueux et je regrette de ne pas les avoir tous découverts.
Je reviendrai l’an prochain terminer la Grande Course des Templiers.
accès à la trace des Templiers avortés
Film officiel de la course : première partie
La Grande Course des Templiers 2011, par VO2 Running Live
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