L'auteur : ilgigrad
La course : Marathon des Causses
Date : 23/10/2010
Lieu : Nant (Aveyron)
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Distance : 41km
Objectif : Pas d'objectif
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récit du Marathon des Causses 2010
Ça ne faisait pas trois mois que j’avais commencé à courir quand je me suis inscrit pour le Marathon des Causses.
J’ai dû mal à expliquer comment m’est venue l’idée de me fixer un tel objectif avec aussi peu d’expérience. J’ai bien quelques insatisfactions dans ma vie : un boulot pas si passionnant que ça, une fille en pleine crise d’adolescence et un couloir à repeindre, mais cela ne justifie pas que l’on se jette du haut d’une falaise ni que l’on avale une boite de tranquillisant.
Je n’ai pas consulté de psychanalyste depuis, on s’en tiendra donc à un stupide élan de vanité masculine ; une tentative désespérée d’accomplir un exploit pour laisser à la postérité une trace dérisoire de mon passage sur terre. Prendre le risque de mourir pour prouver qu’on a été vivant ce n’est pas le dernier de mes paradoxes.
Un des principaux problèmes posés par un objectif ambitieux, c’est que, pour ne pas prendre le risque d’être complètement ridicule, on doit s’atteler à un programme d’entraînement conséquent; Or des forces contraires s’exercent sur vous et vous poussent à rester une heure de plus au lit ou à accepter le verre de prune que vous tend un pote pour conclure un diner déjà trop arrosé. A chaque fois que le doute s’installe ou que la motivation décroit (courir sous la pluie ou chausser une paire de running au réveil d’une nuit imparfaite, c’est très moyennement sympa), j’imaginais les remarques sarcastiques que Bruno me ferait supporter en cas d’abandon. J’ai été trop peu discret pour pouvoir échouer dignement.
J’avais un été pour courir alors j’ai couru. Autour des Buttes Chaumont d’abord, parce que c’est un des rares parcs de Paris qui dispose d’un dénivelé honnête, parce que c’est tout à côté de la maison et parce que, franchement, lorsque j’observe, à chaque tour du parc, les clients endimanchés du Rosa Bonheur enfermés dans leur enclos, je rêve de les y rejoindre et de siroter une grande bière bien fraiche avec eux ; le long du canal de l’Ourcq, ensuite ; et puis dans les Deux-Sèvres où j’ai l’habitude de passer quelques jours au printemps et en été. Malgré un joli paysage de bocage assez vallonné, ce n’est pas un coin parfaitement adapté à la pratique du trail: les champs et les bois sont majoritairement clos et les chemins privés aboutissent à des culs de sac. J’ai fini par découvrir quelques itinéraires agréables et cela constitue sans doute l’un des attraits du trail: tracer des routes.
A l’occasion d’un weekend en Suisse alémanique au mois d’Août j’ai effectué ma première véritable course en montagne. Je suis parti un matin du centre de Wengen et j’ai grimpé jusqu’au pied de l’Eiger. Il a plu pendant toute l’ascension; un parcours de 10km pendant lequel j’ai croisé Suzana, une jeune femme d’Interlaken, qui s’entrainait pour le «Jungfrau Marathon». Elle m’a accompagné jusqu’au sommet. J’étais loin d’être certain d’atteindre le bout de cette espèce de kilomètre vertical; Bruno et Anne ont pas mal insisté pour que, comme eux, les enfants et tous les touristes japonais et indiens, je les accompagne là haut en train. Ils ne se sont sans doute pas rendus compte combien ce petit succès sur la montagne a compté pour moi.
J’ai enchaîné en allant courir en Toscane à travers les sentiers vallonnés des forêts et des monts du Chianti. Je garde de ces ballades au milieu des cyprès, des vignes et des oliviers, un souvenir merveilleux. Depuis, lorsque je cours, j’associe toujours des parfums à mes parcours, comme en forêt de Fontainebleau où j’adore retrouver cette odeur de bruyère et de lavande qui enveloppe tout le massif.
Tous ces trails estivaux m’ont permis d’expérimenter mon équipement et mon alimentation. Pour transporter mon matériel et mon eau, j’ai choisi un petit sac à dos Salomon de dix litres. Les sangles sont un peu étroites mais cela ne devrait pas me poser de problèmes de confort sur des distances dites moyennes ; et puis la poche à eau de deux litres s’est révélée plutôt pratique même si j’ai compris tardivement comment éviter les bulles d’air et le bruit insupportable de l’eau qui se balance dans mon dos. J’ai bien entendu fait l’acquisition de S-Lab 3 XT Wings. En l’absence de toute référence, j’ai succombé à la puissance marketing de Salomon. Il m’est difficile de formuler une opinion objective puisque ce sont mes premières chaussures de trail; Je trouve cependant qu’en dépit d’une excellente accroche, le maintien reste léger et que cela peut constituer un danger, en fin de course, lorsque la fatigue diminue l’attention que l’on porte aux imperfections des sentiers. Pour finir, j’ai pris l’habitude, lorsque j’envisage de courir plus de deux heures, d’assortir mes mollets de manchons de compression BV-Sport et mes cuisses de Quads CompresSport; ça ne sert probablement à rien mais, avec ça au moins, j’ai l’air d’un trailer.
J’ai aussi testé toute sorte de gels, de barres énergétiques et de boissons isotoniques ; Je n’ai pas réussi à former une religion à ce sujet, j’ai donc supposé que les produits Isostar vendus chez Décathlon devraient convenir à mes modestes besoins.
A la fin de l’été j’ai alterné des entrainements à bloc en compagnie de Fred, François, Simon et Sylvain sur une boucle de 12km entre le canal de l’Ourcq et la porte des Lilas, avec de longues vingt kilomètres de Paris, sur lesquels j’ai réalisé un temps de 1h38, moins de quinze jours avant mon Marathon. Je pense avoir commis là une grosse erreur. J’ai sans doute exagéré la charge de mon entraînement, accumulé la fatigue et me suis finalement blessé en recommençant à courir dès le lendemain de ma course parisienne.
J’ai passé les jours suivants à espérer que l’élongation dont je souffrais, se résorberait avant notre départ pour Millau. Je me préparais aussi à l’idée de rester derrière la ligne et de rejoindre Laurent sur les ravitaillements pour l’encourager dans sa course…
Laurent m’attend au sommet du boulevard Magenta. A l’aube, les environs de Barbès ne sont pas encore devenus une ruche autour de laquelle s’active une foule grouillante; Je n’ai aucun mal à les retrouver, son sac de voyage et lui. Il embarque et nous fuyons par la porte la plus proche. Périphérique, A6b, A10… Quand on quitte Paris le vendredi matin en direction de la province, la probabilité de se retrouver enfermé dans un embouteillage monstrueux reste faible. L’autoroute est déserte et nous naviguons rapidement vers le sud. Après plus de cinq cents kilomètres de route, nous nous arrêtons au sud de Saint-Flour sur l’aire de services de la Lozère afin de nous restaurer. Nous atteignons Millau deux heures plus tard. Depuis que nous avons dépassé Clermont, un joli camaïeu de bleu et un grand soleil envahissent le ciel au dessus de la voiture. Le weekend s’annonce radieux.
Nous errons un peu dans le centre de Millau sans parvenir à localiser la zone dans laquelle est installé le festival des Templiers. Au bout de quelques tours nous tombons finalement sur un immense chapiteau, dressé au milieu d’un terrain vague à l’ouest de la ville, à proximité du Tarn; il abrite quelques dizaines d’exposants qui organisent majoritairement la promotion de courses en nature. Quelques uns proposent des produits nutritifs dignes de la pharmacopée du Docteur Ferrari. Nous parcourons consciencieusement toutes les allées et recueillons gentiment chacun des prospectus que l’on nous tend. Je suis un peu déçu. J’imaginais ce salon comme le parcours shopping d’une fashion-addict à l’ouverture des soldes londoniennes mais là c’est plus austère : On est là pour courir dans la nature et ça se voit.
Nous récupérons nos dossards, nos puces et nos épingles. Laurent sera le 560 et je serai le 388. Si je pouvais conserver ce classement à l’arrivée de la course je ne regretterai pas mon weekend, il me reste encore toute une nuit pour y rêver. Nous emportons aussi le cadeau de l’organisation, un joli buff kaki que je devrais pouvoir réutiliser s’il me venait l’idée, à quarante-quatre ans, de m’engager dans la légion.
Nous avions réservé des chambres dans un hôtel qui surplombe les gorges du Tarn à Compeyre, au nord de Millau. Sur le papier l’auberge du Rascalat affiche le charme un peu suranné des endroits où l’on vous sert une fricassée de faisan et de cèpes au foie gras suivi d’une blanquette de veau à l’ancienne. L’accueil modérément sympathique du réceptionniste semble en cohérence avec la propreté douteuse de son t-shirt et de son bas de jogging. Nous nous embrouillons à propos du petit déjeuner: faire bouillir de l’eau pour cuire des pâtes lui semble extrêmement compliqué. Une nouvelle déception nous submerge lorsque nous découvrons que la piscine dans laquelle nous espérions nous détendre est remplie d’un mélange d’eau saumâtre et d’algues vertes.
Nous ne nous éternisons pas et repartons immédiatement en voiture à l’assaut du Causse Noir pour découvrir, avant l’heure, ce qui nous attend demain. Depuis le plateau on distingue les lumières Millau qui scintillent dans le crépuscule et, au loin, vers l’ouest, le pont derrière lequel un énorme soleil rouge vient mourir. Ici où là on croise des zombies exténuées qui avancent en titubant à la lumière de leurs lampes frontales. Ce sont les coureurs de l’endurance trail qui terminent le parcours de 110km. Je n’aimerais pas me retrouver, comme eux, seul au milieu du Causse et de la nuit à chercher au fond de moi le dernier soupçon d’énergie qui me permette d’atteindre la ligne d’arrivée.
Nous redescendons pour tenter de dénicher le restaurant dans lequel nous prendrons notre dernier véritable repas. Malheureusement nous ne sommes pas à Paris, et trouver un restaurant ouvert après 21h00 tient du miracle. Nous échouons dans une brasserie de la place Mandarous. La serveuse nous installe sur une petite table à l’écart et nous attendrons des heures avant d’être servis ; nous ne sommes manifestement pas les seuls coureurs à atterrir au Boca Reva. Nous nous consolerons en buvant quelques demis bien frais.
Contre toute attente je passe une excellente nuit. Je me réveille vers 9h00 et rejoins tranquillement Laurent dans la salle de restaurant. Il est désespéré : L’aubergiste n’a pas de lait. Je mélange mes céréales avec un yaourt et les accompagne de quelques tartines de pain, de beurre et de confiture. Ce petit déjeuner ne serait sans doute pas agréé par l’association française des nutritionnistes du sport, mais la steak-frites et les bières de la veille non plus.
Le départ du Marathon des Causses doit être donné à 13h00. cela nous laisse pas mal de temps pour nous préparer et rejoindre Millau. En remplissant mon Camelbak je constate que la pipette fuit abondamment. Je la remplace précipitamment par une tétine que j’avais emportée au cas où je me retrouverais confronté à une telle situation. J’ajoute à mon sac quatre barres de céréales, cinq tubes de gels, une veste imperméable, un t-shirt de rechange, un vêtement chaud et une bande strap. Avant de partir, nous prenons quelques photos devant l’hôtel ; sur celles-ci au moins, nous aurons l’air de vainqueurs.
Après avoir garé la voiture à l’autre bout de la ville, nous retrouvons la tente qui abrite le salon du trail. Nous regardons les concurrents qui arrivent peu à peu sur la zone de départ pendant que nous faisons semblant d’effectuer quelques étirements. Ceux de Laurent sont sans doute plus orthodoxes que les miens, mais je ne suis pas suffisamment concentré pour parvenir à étendre mes muscles. Les autres coureurs m’impressionnent ; ils semblent monstrueusement affutés et je crains que nous ne soyons grotesques. Une jolie brunette qui ne doit pas avoir la moitié de l’âge moyen des gens qui s’agglutinent autour de nous, fend la foule vers la ligne de départ. Avec son short, ses manchons qui couvrent ses mollets comme des bottes et son porte bidon qu’elle exhibe comme une ceinture de révolver, nous décidons de la baptiser Lara Croft. J’apprendrais plus tard qu’il s’agissait de Fiona Porte, qu’elle est arrivée première chez les femmes et septième au scratch. Pas étonnant que nous ne l’ayons pas revue: elle est partie devant nous et y est restée.
L’heure du départ approche et la pression monte. Les sages et les habitués de l’épreuve irriguent leurs voisins de leurs expériences et de leurs conseils. Ils connaissent le parcours et la région par cœur ; cette course ne sera pour eux qu’une courte formalité. J’essaie de glaner quelques informations utiles, en vain.
Le ciel est dégagé au dessus des Causses, il est treize heures; le cortège s’ébranle à travers les rues de Millau et franchit le pont sur le Tarn. C’est parti.
Nous traversons les faubourgs de Millau et prenons la direction du nord en suivant la rive gauche du Tarn. La route est plate, ça avance vite. Laurent me fait remarquer qu’à près de 12km/h, nous courons bien au dessus de l’allure que nous nous étions promis de suivre. Je me sens bien.
Après le deuxième kilomètre nous bifurquons vers la droite et attaquons, dans un grand champ d’herbes desséchées, notre premier raidillon.
La troupe s’est arrêtée net et progresse en marchant. La pente ne m’effraie pas, j’ai connu pire: Même celle de la rue de Crimée, dans les Buttes Chaumont, me semble plus difficile. Je continue de courir et remonte lentement la file de coureurs. Je sens dans mon dos comme une rumeur de désapprobation. Je comprends vite qu’il vaut mieux, pour éviter l’arrêt respiratoire deux kilomètres plus loin, que je rentre dans le rang.
Dès que la pente s’adoucie, nous recommençons à courir. Nous traversons une jolie oliveraie et atteignons gentiment nos premiers 200m de dénivelé. Après le sixième kilomètre nous glissons doucement vers le petit hameau de Carbassas où de petits groupes de personnes nous encouragent bruyamment.
Nous attaquons ensuite une deuxième côte, plus sévère, qui préfigure ce que nous allons devoir gravir quelques hectomètres plus loin. Les mieux équipés déplient leurs bâtons. Je n’ai que mes cuisses sur lesquelles m’appuyer et, en une centaine de mètres d’ascension, j’ai compris ce que pousser veut dire. Sur le replat nous effectuons une halte technique et naturelle pendant laquelle nous comptons une bonne centaine de concurrents passer devant nous.
Nous suivons une petite route qui nous dépose au niveau de Paulhe, après huit kilomètres et demi, au pied de la première véritable côte. J’appréhendais ce moment. Quand je regardais le profil de la course je m’interrogeais sur ma capacité, non seulement à atteindre le plateau, mais surtout à courir plus de trente kilomètre avec une telle ascension dans les cuisses.
En moins d’un kilomètre, nous avalons plus de trois cent cinquante mètres de dénivelé, sur un sentier étroit, collés les uns derrières les autres. Je monte au rythme de celui qui me précède. Nous nous écartons pour laisser passer une jeune femme qui se hisse vers la tête. Je n’apprécie pas le ton avec lequel elle nous hurle dessus ; j’ai l’impression d’entendre « poussez-vous, grosses merdes molles » ou quelque chose d’approchant. J’ai quelques difficultés à trouver l’espace suffisant pour poser mes deux pieds et me retrouve déséquilibré à son passage.
Je profite de notre faible allure pour attaquer ma première barre énergétique. Bien que nous ne dépassions pas les 16mn/km, mon cœur doit battre à 160. L’hyperventilation induite par un rythme cardiaque important n’est pas vraiment compatible avec l’absorbation de flocons de céréales scellés par du chocolat ; je m’étouffe en aspirant les miettes.
Arrivés sur le plateau, à 840m d’altitude, nous observons une vue superbe sur toute la vallée du Tarn. J’ai oublié de boire mais je profite de la vue pour faire quelques photos.
Nous poursuivons notre route en longeant la falaise sur la portion la plus roulante du parcours. Pendant trois kilomètres je sens pousser mes ailes. Je fonce à plus de 12km/h et je dépasse un à un tous ceux qui entrent dans mon champs de vision. Ils doivent bien rigoler en regardant filer une fusée inconsciente qui grille en vingt minutes toute l’énergie qui lui restait pour terminer la course. Laurent qui possède encore sa raison propose que nous levions le pied. Je ne l’écoute pas et poursuis ma course folle jusqu’au Roc Pointu, à l’aplomb de la Cresse. Nous courrons depuis moins de deux heures et je n’ai bu que quelques gouttes d’eau. Je ne parviens pas à faire fonctionner la nouvelle pipette; j’ai beau aspirer comme un dératé, rien ne vient.
Nous plongeons dans le ravin de Font Auzal, 220m de descente sur un sentier très escarpé. Les cuisses et les genoux commencent à souffrir. Je suis foudroyé par ma première crampe avant le treizième kilomètre. A peine avons-nous atteint le fond, à 574m d’altitude, qu’il nous faut recommencer à grimper au dessus du ravin des Fons. Pendant deux kilomètres j’accumule les crampes. Je ralentis et regarde bondir tous ceux que j’avais doublés sans modestie quelques minutes plus tôt.
Nous progressons de nouveau sur le plateau en suivant alternativement de petits chemins verts assez roulants et de larges routes forestières longues et monotones comme une nationale dans la Beauce. Je ne compte plus les coureurs qui passent devant moi. Je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir autant de monde derrière. Les encouragements de Laurent n’y font rien, les cinq kilomètres qui nous séparent du ravitaillement me paraissent incroyablement longs.
Au vingtième kilomètre, nous atteignons enfin le ravitaillement, après trois heures quinze de course. Une tente blanche a été installée au milieu d’une clairière sur le passage du GR. Je me précipite sur les boissons et absorbe successivement cinq ou six verres de coca. Je dévore aussi quelques pâtes de fruit. Je profite de cet arrêt pour changer de vêtement. Mon T-shirt Salomon Jaune est trempé je l’échange avec un maillot à manche longue Mizuno bleu.
Lorsque nous repartons, nous comptons une vingtaine de minutes d’avance sur la barrière horaire. Nous traversons un joli petit bois couvert d’herbes hautes et fraiches. C’est là que les photographes officiels de la course se sont installés pour réaliser leur œuvre. Je me redresse, bombe le torse et rentre le ventre pour faire bonne figure sur leurs clichés.
Au bout de deux kilomètres, nous arrivons sur une nouvelle extrémité du plateau, plus sauvage, aride et calcaire. Des rapaces planent sur notre gauche. Je pense à des Vautours qui se jetteront sur mon cadavre quand il pourrira au fond d’un ravin.
Les forces que j’ai regagnées pendant le ravitaillement s’épuisent rapidement. Je laisse Laurent partir devant moi lorsque nous entamons notre longue descente vers les gorges de la Dourbie. Une nouvelle crampe me saisit. Je suis fauché en pleine course et tombe dans un virage, entraînant dans ma chute le garçon placé juste derrière moi. Il n’a rien et repart rapidement. Mon genou est en sang. Je me cale contre une souche pour étirer mon muscle et soulager ma douleur. Je regarde, hagard, défiler les concurrents. Je me relève péniblement et reprends lentement ma course. Je ne profite pas suffisamment du paysage sublime qui s’étend devant moi; je regarde mes pieds. C’est pourtant un des plus beaux panoramas du parcours mais il me faut aller jusqu’au bout de ces trois cents mètres de dénivelé négatif.
On sort de la forêt après le vingt-cinquième kilomètre pour aborder la partie « escalade » de l’épreuve. Laurent m’attendait, tranquillement assis sur le bas côté. Il rayonne. Nous serpentons entre les pierres jusqu’au Rocher du Boffi. On distingue l’entrée d’une grotte au dessus de nous. Deux hommes équipés de baudriers nous observent depuis l’entrée. Je me demande si nous devrons nous aussi nous faufiler dans ce qui ressemble à une souricière. Je suis rapidement rassuré, notre chemin s’écarte sur la gauche, vers le nord, et suit sur deux kilomètres un balcon sous la falaise. Nous posons les pieds sur de grandes pierres plates qui doivent se révéler terriblement glissantes lorsqu’elles sont mouillées.
Au vingt-neuvième kilomètre Laurent propose de me laisser courir à mon rythme et de profiter de sa forme pour avancer plus rapidement. Je le regarde contourner le ravin du Monna et disparaitre vers le sud.
J’ai les yeux rivés sur ma montre. La seconde barrière horaire est fixée à 5h45. Le départ a été donné depuis plus de 5h00 et il me reste au moins 4 kilomètres avant d’atteindre le ravitaillement. Je commence à douter de ma capacité à y parvenir. Les encouragements des spectateurs et des organisateurs ne me sont d’aucun secours ; surtout quand certains vous affirment que le point d’eau que vous espérez tant se trouve à moins d’un kilomètre et que vous courrez toujours deux kilomètres plus tard. Mon seul réconfort est que nous suivons un GR relativement large et que je peux dérouler sans soucis.
J’atteins le trente-quatrième kilomètre au crépuscule. Le Buffet a été dressé dans une grange de pierres au milieu d’un minuscule hameau. On y pénètre par une porte étroite. Les gens se bousculent pour entrer. Je me rue sur les pichets de Coca et en bois un bon demi-litre. J’avale goulûment quelques rondelles de saucisson. Avant de repartir, je sollicite une infirmière afin qu’elle pose une bande strap sous mon genou gauche. Elle sort une lame de sa trousse de secours et entreprend de raser ma jambe. Les minutes passent et l’opération se révèle fastidieuse. La pression croît dans la grange, nous approchons de la barrière horaire. Je m’enquiers, auprès d’un organisateur moustachu, de savoir s’il me reste suffisamment de temps pour achever mon soin. Il affirme que je pourrais repartir quoiqu’il arrive. Je presse l’infirmière d’abandonner sa lame et de poser la bande directement sur mes jambes poilues. Les portes se ferment. J’entends derrière moi une bousculade entre les organisateurs et les derniers concurrents, la directrice de course crie. Je comprends qu’il me faut quitter la grange au plus vite si je veux terminer la course. Je remercie mon infirmière, lui retire le reste de bande des mains et l’enroule prestement autour de ma jambe. Je sors par la porte arrière, que l’organisateur moustachu m’a ouverte, contourne le hameau, passe sous les rubans et reprends ma course vers le GR. Dans mon dos, une voix m’interpelle mais je continue pour ne pas me lancer dans une discussion sans fin et expliquer qu’une gentille bénévole procédait au bandage mon genou quand la porte a été refermée.
La nuit est tombée. Je plonge la main au fond de mon sac pour tenter de retrouver ma lampe frontale enfouie sous les vêtements. La puissance de l’éclairage est insuffisante pour apprécier convenablement le relief mais ce premier kilomètre me semble peu escarpé, je ne risque rien. Des lueurs scintillent devant moi et je m’efforce vainement de les rattraper. Je ressens une douleur vive sous mon genou aussitôt que je tente d’accélérer et je les regarde s’enfoncer dans la nuit sans espoir de les rejoindre.
Je suis logiquement le dernier concurrent et je vais devoir affronter seul la longue descente vers Millau. Je quitte le GR pour un chemin étroit sur ma gauche. La bande strap se délite lentement et ne maintient plus mon genou. Je souffre à chaque pas que je fais. J’arrache le reste de bande qui pendait autour de ma jambe en essayant de ne pas hurler quand les poils qui y sont collés disparaissent avec mon épilation barbare.
Quelques centaines de mètres après avoir quitté le GR, je croise un groupe de secouristes qui bavardent sous leur tente. Ils ne prêtent pas attention à moi et malgré mes difficultés, je ne prends pas le risque de m’arrêter à leur poste.
Un couple de coureurs me dépasse. Je suis surpris de voir qu’ils portent encore leurs dossards. Je n’ai doublé personne et je suis le dernier à être parti du ravitaillement. Je suppose qu’ils ont contourné le hameau pour poursuivre la course sans être arrêté par la barrière horaire. D’autres concurrents me doubleront de la même façon tout au long de ma descente. Chaque pas constitue un enfer. Je ramasse un long bâton qui traîne sur ma route. Je longe un ravin et je tremble à l’idée que ma jambe se dérobe sous moi et me fasse basculer dans le vide. Je vérifie sur ma montre la distance qui me sépare de Millau : trois kilomètres. Avec mon genou, mon bâton et à ce rythme, j’en ai au moins pour une heure encore. Je suis résolu à abandonner. Je pense à Laurent qui doit être arrivé, et à Bruno qui rigolera bien de mon échec. Je m’écroulerai au prochain poste de secours, trente-six kilomètres ou peut-être trente-sept, ce n’est pas si mal.
Je ne compte plus les groupes d’attardés qui passent devant moi ; peu importe le temps, peu importe la distance, je veux juste en finir. Je sanglote comme un enfant.
Après une éternité et trente neuf kilomètres, j’atteins les faubourgs de Millau. Une voiture de secours est rangée à l’issue de la piste. Je l’ignore. Il doit rester cinq ou six cents mètres, je saurai supporter encore cela. Une berline remplie de coureurs croise ma route. Je pleure. Ils m’encouragent. Eux ont abandonnés. Leur soutien me procure quelques forces supplémentaires. Je dois encore franchir un pont, serpenter autour du Tarn et me traîner jusqu’à l’arrivée.
Laurent m’attend une centaine de mètres de la ligne. J’avance en titubant et m’effondre aussitôt la ligne franchie. Mes derniers muscles me lâchent définitivement. Je grelote.
On m’évacue rapidement vers le poste de secours.
Je passe une bonne heure allongé sur un lit de camp recouvert d’une couverture le temps de recouvrer un peu de vigueur.
Je termine, en 7h33, 606ème sur 612 concurrents. Laurent, quant à lui termine 393ème en 6h29. Nous étions 740 au départ, cela fait pas mal d’abandon.
Je suis déçu; les sensations étaient bonnes au début mais mon problème d’eau m’a déstabilisé. Malgré la nature, la montagne, les chevreuils et les vautours les descentes ont été un calvaire auquel je ne m’étais pas suffisamment préparé.
Après m’être enfin rhabillé, non sans difficultés – j’étais saisi de crampes terribles à chaque fois que j’essayais d’enfiler mes chaussettes ou de lasser mes chaussures – nous sommes partis à la recherche d’un restaurant susceptible de nous accueillir. Diner à 22h00, un samedi soir à Millau se révèle aussi difficile que la veille. Nous échouons dans un restaurant oriental. Je dévore un tajine au poulet que j’accompagne d’une triste bière en bouteille. Nous saluons quelques clients qui ont participé eux aussi à la course. Ce sont ceux que j’avais croisé quelques heures plus tôt dans une voiture et qui redescendaient du dernier point de ravitaillement.
Contre toute attente, je n’ai pas mieux dormi pendant ma seconde nuit à Millau. L’excitation de la course y est sans doute pour beaucoup. Je dormirai davantage la nuit suivante. Retour à Paris en voiture. Notre prochain objectif est l’Eco-Trail 50km. Le parcours sera moins vallonné, plus roulant et sans doute plus facile…
la version originale de ce récit, sur mon blog : http://www.ladrauniere.fr/2010/11/marathon-des-causses/
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