Récit de la course : Off - Tour de France - Franchir l'Horizon 2004, par chacal
Le récit
Lundi 8 mars 2004 : 6H00
La place du parlement de Bretagne est bien déserte à cette heure matinale. Seule une ombre fait les cent pas. Jacques De Poulpiquet, représentant des Enfants du Mékong, est vaguement inquiet. La pleine lune se fraie un chemin entre les bâtisses du vieux Rennes, pour teinter d’un éclat pale le nouveau toit du palais, entièrement restaure après l’incendie dévastateur qui l’avait réduit en cendres, il n’y a pas si longtemps. Le silence glacial de ce lundi matin tranche avec les souvenirs de la soirée chaleureuse du samedi au Rallye ou parrains et sympathisants ont chaudement accueilli les responsables nationaux de l’association et les drôles d’hurluberlus qui ont décidé de courir tous ces kilomètres, pour contribuer à leur modeste mesure à l’action humanitaire en faveur des enfants défavorisés des pays du Mékong. Le Bourrin, La biopuce, quelle ménagerie !
Et si les franchisseurs d’horizon ne se montraient pas ?
Inquiétude vaine, subitement envolée avec l’arrivée de la voiture suiveuse. Le chacal est bien là, accompagne de son cousin en vélo et de son frère, qui transmet le témoin , un petit livre d’or ou les coureurs laisseront leurs impressions. Sourires, présentations, et séance de photos-souvenir de rigueur, Le temps d’installer des frontales et déjà, on n’entend plus que le bruit des pas, qui s’estompe dans la nuit. Ils sont partis pour un périple de 110 km pour environ 1000 m de dénivelé positif, qui doit les mener jusqu'à Vannes.
Sur la place, le calme est revenu. Il fait encore nuit, mais dans une heure le jour va se lever, et avec lui l’agitation habituelle des matins Rennais.
[récit du chacal]
Je goûte lentement à petites foulées légères le plaisir de parcourir dans la nuit les rues de Rennes endormies. Nul besoin de carte ou d’itinéraire, je connais cette partie de la ville comme ma poche pour y avoir passé ma jeunesse : les quais, ou il faut être Rennais pour savoir que sous le parking attenant coule la vilaine, pauvre rivière victime du béton aveugle des années 60, puis le mail , où j’enlève déjà la frontale pour mieux profiter de la clarté lunaire , et déjà, trop vite, la route de Lorient qui m’emmène droit vers la sortie de la ville en passant devant le stade de foot, où nulle clameurs de derby breton ne trouble ce matin la tranquillité.
Je manque presque la première départementale sur la droite, vers Mordelles, un peu surpris d’être déjà là. . Les distances étaient plus longues dans mon souvenir, où les pattes plus courtes !
Philippe, mon cousin qui m’accompagne à vélo, a déjà fait quelques photos, et Maurice, le frangin en voiture, profite de la faible circulation pour fermer notre petit train avec les warnings. Cette épopée prendra sûrement une bonne place dans la saga familiale, quand au moment du dessert, on ressortira les vieilles histoires en y rajoutant à chaque fois quelque nouveau détail …
Les premiers kilomètres passent ainsi sans s’en apercevoir, et déjà nous arrivons à Mordelles, alors que le jour commence à se lever. On repasse la 4 voie, et c’est Bréal, et la petite départementale quasi déserte.
.
A l’approche de Saint-Thurial, le paysage devient plus joli, et aussi plus vallonné, entre les rocs, les ruisseaux et le passage devant la retenue d’eau , avec photo souvenir imposée , est magique . Avec le dénivelé, il faut un peu de concentration pour maintenir le rythme de 10 Km/h prévu sur le premier marathon pour être dans l’horaire (c’était ça ou partir encore une heure plus tôt, pas très attrayant), d’autant qu’il y a 5 minutes de retard prises au départ à rattraper. Les Km s’égrènent en discutant avec Philippe, qui surveille l’itinéraire et prend les photos. Mais la fatigue n’est pas encore là, et heureusement car les cotes ne vont guère me laisser de répit, jusqu’au dernier petit raidillon à la sortie de St-Raoul pour arriver à l’heure à l’entrée de St Cyr ( en environ 4h10 pour 43 km) , ou ma fameuse garde prétorienne m’attend pour m’accompagner jusqu'à Vannes . Ils ont prévu de courir en 2 relais de 33 km. On repart très vite… Le colonel De Villeneuve, représentant d’Enfants du Mékong à Vannes, m’ayant menacé d’une fin de parcours en voiture si je n’étais pas dans les temps, je ne tiens pas a m’éterniser.
La descente sur Guer est facile, et déjà les cinq premiers relayeurs impriment un rythme plus en rapport avec leur impatience. L’arrivée du car du 3eme RIMA, est l’occasion pour moi de mettre le short pour profiter un peu du soleil. Les Marsouins se sont décidés pour des relais plus courts, ce qui va leur permettre de courir plusieurs fois à mes cotés. La côte qui nous amène ensuite vers les landes de Monteneuf est la plus longue du parcours à défaut d’être la plus raide, avec un dénivelé de 120 m sur 4 Km. Elle va être montée tambour battant puisque les 10 Km séparant Guer de Réminiac vont être avalés en moins de 50 minutes. Guère le temps d’admirer les premiers menhirs rappelant qu’on court dans le département des célèbres alignements de Carnac.
Il est temps pour Philippe, promu maître du temps au départ de l’étape, de freiner la cavalcade. Il n’aura de cesse de le répéter ensuite, puisque l’avance ne fera que croître jusqu'à Vannes. La tâche n’était pas facile, mais au moins, ses appels à ralentir auront permis de limiter la casse.
Les petits dénivelés suivant vont être plus facile, les sabreurs s’étant progressivement adapté à mon allure. L’occasion pour mon frangin de me passer les messages d’encouragement de mes amis du zoo ou autres ufos. J’en profite même pour discuter un moment avec ma mère, qui vit à une centaine de kilomètre de là, à vol d’oiseau. Elle me demande pour combien de temps je suis arrêté, ce qui me rassure sur l’état de mon souffle, puisque je cours toujours ! A Malestroit nous traversons l’Oust, non sans un clin d’oeil appuyé sur cette partie du canal de Nantes à Brest, dont le chemin de halage me fait rêver depuis quelque temps, grâce à Maurice, dont je lis justement le mémoire sur le sujet : l’Oust, le Blavet, le lac de Guerlédan, la tranchée des bagnards, et puis l’Aulne jusqu’à l’abbaye de Landévennec et la rade de Brest… Mais laissons çà dormir pour l’instant. Aujourd’hui, nous courons tous pour les enfants du Mékong, afin que peut-être un peu plus d’entre eux puisse simplement aller à l’école et vivre dignement.
De Malestroit a Bohal, ou est prévu le passage de relais des St-Cyriens il n’y a qu’un pas de chat botté, et c’est l’occasion d’une petite pause ravitaillement, en attendant le car de la relève, qui joue à cache-cache avec la voiture de Maurice . L’occasion aussi pour moi de remettre un collant, sans doute par un réflexe prémonitoire, dont vous allez vite comprendre l’intérêt . Nous repartons avec des St-Cyriens tout neufs en espérant qu’ils ne vont pas nous faire 10 km d’anthologie. Les Marsouins suivent bien mon allure, ce qui nous donne l’opportunité de discuter de choses diverses, comme Port-Gentil au Gabon ou j’ai eu l’occasion de séjourner comme l’un d’entre eux, ou du Tchimbé –raid en Martinique cette année , ou un autre à couru, peut-être tout prêt du Bourrin sans le connaître.
En arrivant à la voie rapide, et plutôt que continuer au nord, j’aiguille le groupe vers un chemin le long de la route, que j’ai repéré sur la route : un raccourci.Il est large et ferme, au point que Maurice pense même à y engager la voiture, ce qu’il ne fera pas , fort heureusement, parce qu’après 1 Km de piste agréable jusqu’à une aire de repos, çà s’est comme qui dirait un peu gâté ! Des ajoncs de plusieurs mètres on envahi le chemin des deux cotés, et nous devons bientôt nous mouiller un peu les pieds , et surtout écarter les branches, dont les épines nous fouettent les bras et les jambes . Je commence a apprécier mon collant. La progression va devenir de plus en plus difficile, même pour le traileur averti que je suis, au point de se demander si on va arriver au bout des 2 Km restant. Je regarde en coin mes compagnons en souriant un peu jaune et en avouant ma responsabilité totale dans le choix de ce raccourci malheureux. Mais en bons commandos, l’épisode n’a pas l’air de beaucoup les chagriner. Dans l’affaire j’en ai même oublié mon cousin Philippe, coincé là-dedans avec son vélo, et qui ne nous rattrapera que bien plus tard !
On est finalement bien content de sortir du bush pour deboucher sur la route d'Elven . Allez ! plus que 30 km !
A l'approche d'Elven, la présence d'enfants du Mékong se fait
plus sentir, avec le 4x4 d'accompagnement d'Herve Le Bigre. La route
descend, passe et repasse la voie rapide, un coup dessous, un coup
dessus, et après la jungle de Lanvaux qui nous a involontairement
rapprochés de l'horaire prévu, nous sommes tous heureux d'adopter
une allure régulière, afin de récupérer un peu de tonus. A la mairie
d'Elven, nous sommes attendus pour quelques photos devant un stand
EdM improvisé. Le car du RIMA en profite pour échanger subrepticement
les Marsouins contre des troupes fraîches . Cette tactique efficace
rappelle un peu l'époque des "postiers bretons", chevaux qu'on
remplaçait d'étapes en étapes, à un petit détail près, c'est que
cette fois, le cocher est à pied, et dûment prévenu par les coureurs
Vannetais que les derniers kilomètres offrent des beaux restes d'un
massif armoricain autrefois montagneux. La sortie d'Elven nous met
rapidement en appétit avec 90 m de D+ sur 3 Km.
Philippe, en danseuse, monte et redescend le peloton, avec
toujours le même message : Ralentissez, vous êtes en avance.. . Mais
il n'est pas facile de modifier l'allure d'un groupe qui a trouvé son
allure de croisière. De cotes en vallons , nous voici bientôt près
de St-Nolff, où Maurice nous attends avec les bus des uns et des
autres pour le dernier relais, qu'on doit courir tous ensembles,
chacal , Marsouins, St-cyriens et marathoniens d'hiver pour une
arrivée massive a Vannes . De fait, malgré nos efforts, il nous
reste toujours une grosse demi-heure d'avance, et nous décidons d'un
commun accord, non pas d'aller passer le temps en buvant une bière,
mais de tourner à droite et de marcher les 2 Km qui nous séparent du
bourg de St-Nolff , ainsi que la petite côte pour en ressortir, afin
de perdre un peu de temps avant de reprendre la course .
Depuis un moment, un Marsouin en jaune court à mes coté.
J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un sergent, en tout cas il à
l'air d'un excellent coureur. Il me couve un peu comme du lait sur
le feu, signe probable qu'une certaine fatigue doit être visible sur
mon visage. De retour sur la départementale, nous allons faire la
joie des automobilistes qui commencent a être plus nombreux. Notre
peloton a résolument grossi, et à chaque fois qu'un véhicule réussi à
nous doubler, nous avons droit à une volée de mots choisis, jusqu'à
ce que 2 motards de la gendarmerie viennent se positionner en tête,
bientôt rejoints par un autre et une gendarmette en scooter. Cà
bouchonne de plus en plus en rentrant dans Vannes, mais curieusement,
plus d'invectives ...
A la caserne du RIMA, où avec le sergent jaune nous avons prévu
une pause pour se recaler en douce à l'horaire d'arrivée, une
surprise nous attend : Tous les jeunes en formation sont là dehors
pour se joindre à nous pour le final, ce qu'il font dès notre
arrivée. Apparemment personne ne s'attend à ce qu'on s'arrête, les
gendarmes stoppent les voitures dans les rues attenantes, et sans
avoir rien vu venir, voilà la caserne derrière et nous toujours à
courir sur le boulevard. Adieu le bar du régiment où j'espérais me
requinquer un peu pour être en forme pour l'interview.
Depuis un moment, bien qu'inséré dans le premier rang je
suis le groupe sans chercher à contrôler l'allure. J'évite de me
retourner pour éviter la désagréable impression de cordages qui
s'emmêlent du côté de l'adducteur droit, avec lequel je suis en
délicatesse depuis quelques temps, si bien que j'ai du mal à évaluer
la taille du groupe, qui doit peut-être approcher la centaine .
Enfants du Mékong à vraiment créé l'événement aujourd'hui à Vannes.
Un coup d'oeil à la montre, puis au sergent jaune. Pas besoin de se
parler : on est toujours trop en avance, et avec les motards
devant, les spectateurs étonnés et la masse de coureurs derrière, on
sent bien qu'arrêter maintenant casserait toute la dynamique.
Moi j'ai passé le stade où je pouvais réfléchir efficacement,
et j'abandonne toute idée de solution. En passant devant l'étang du
duc, Le sergent jaune trouve subitement la clé : " Et si on en
faisait le tour ? " J'acquiesce aussitôt et nous voilà lancés sur
l'allée un peu frisquette au bord de l'eau, tandis que les motards
vont se positionner pour nous récupérer au retour.
On aura gagné quelques minutes, au moins pour que tous les
officiels soient là à l'arrivée ., même si les journalistes seront
finalement en retard .
A l'arrivée je suis pratiquement attrapé au Vol par le
représentant EdM , Le colonel de Villeneuve , que je peux enfin
rencontrer . Apres avoir aussi échangé quelques mots avec le colonel
du 3e RIMA et l'adjoint au Maire de Vannes, la séance de photo sur
l'esplanade glaciale du Palais des Arts va finalement avoir raison de
ma résistance, et je vais devoir rentrer dans la loge du gardien
pour quelques minutes de repos et une douche bien chaude . Quand je
suis redescendu les journalistes étaient déjà repartis, mais c'était
sans doute pas très grave, puisque l'important était de mettre en
avant la mobilisation de tous pour la chaîne de solidarité
de "Franchir l'horizon" en faveur d'Enfants du Mékong, dont je n'ai
été finalement que l'un des modestes maillons.
[Epilogue]
Cette participation à une étape du tour de France
de »Franchir l'Horizon » s'était présentée au départ comme une
simple sortie longue de préparation, à priori en relais. La décision
de courir la longueur totale, le nombre de personnes mobilisées, les
espoirs du Bourrin et des bénévoles d'Enfants du Mékong, l'assistance
de membres de ma famille, ont fait que cette course est devenue pour
moi au fil des semaines d'entraînement, un objectif important que
je me devais de ne pas rater. Et si nul record n'était en jeu, j'ai
eu à coeur de tenir mon rôle au mieux de mes capacités. De savoir que
cela aura pu contribuer, même dans une modeste mesure, à ce que de
nouveau parrains offrent une perspective de vie meilleure à des
enfants défavorisés, serait pour moi la meilleure des récompenses.
Le Chacal
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