par JIBSY69 » sa fiche K
» 01 Juin 2025, 18:59
Puisse qu'on me le demande le voici
On va commencer par le présentation, je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler un coureur de fond, au sens propre comme au figuré. Pas rapide, pas pressé, mais tenace. Je participe à deux ou trois ultras par an, avec un style bien à moi : une allure de sénateur, bridée par une sorte de limitateur mental qui m'empêche de me griller. Mais, paradoxalement, une fierté qui me pousse toujours à aller chercher le minimum vital pour rester dans les barrières horaires. Ce n’est pas de la performance, c’est de la persévérance.
En 2024, j’ai participé au 110 km de la VVX, à l’UT4M (où j’ai recroisé Bpoth9, déjà rencontré dans un moment de faiblesse sur l’Ultra 01), puis à l’UTMB. Début 2025, j’ai pris part aux 42 km des Maquisards (avec une nouvelle apparition de Bpoth9 et j'ai fais la connaissance de l'écureuil Kikou), aux 53 km des Piqueurs, et à un Tarare-Lyon en mode off.
Après une tentative infructueuse de m’inscrire à la Diagonale des Fous, je me suis retrouvé sans véritable objectif. Or, en mars, avec l'explosion du trail et de ses pratiquants toujours plus lookés, trouver une place sur une belle course devient un sport en soi. Et puis, fin mars, le miracle : une course, complète depuis longtemps, rouvre cinq dossards. L’Auvergne, c’est un peu mon jardin, je connais bien les massifs, la logistique est simple, et surtout, je suis libre. Je prends ça pour un signe : j’envoie l’inscription. Neuf semaines de prépa ? Large. Enfin… presque.
La course : 223 km, un gros morceau. Mon plus long jusque-là ? 170 km. Pas de balisage autre que le marquage des GR (GR4, GR400, GR441, GR30), mais ce n’est pas systématique. Les ravitaillements sont espacés : entre 25 et 53 km. Une belle aventure.
Je pars sans assistance. Ma femme est déjà assez généreuse pour me laisser courir ces folies ; je ne vais pas, en plus, lui demander de percer mes ampoules et d’éponger ma sueur. C’est une question de dignité conjugale.
Le matériel obligatoire est assez classique, mais avec quelques petites folies en bonus : un sac de couchage (minimum 200 g), 24 cartes imprimées et plastifiées à garder sur soi, une boussole, une pince à épiler, des pastilles Micropur, et une réserve d’eau de 2 litres minimum (j’avais opté pour 3 litres avec mon Camel). Mon sac devait approcher les 7-8 kg, ce qui fait lourd quand on avance lentement.
La course se découpe en six étapes, avec sept barrières horaires. On part du Lioran dans le Cantal, pour arriver à Volvic dans le Puy-de-Dôme, en traversant trois massifs : le Cantal, le Sancy et la Chaîne des Puys. On peut courir en solo ou en duo, et si l’un des deux abandonne, l’autre peut continuer, mais avec une pénalité de 14 heures ou en se contentant du temps max autorisé (62 h).
Spécificité locale : les bâtons sont interdits dans les massifs du Cantal et du Sancy. Ce n’est pas un caprice des organisateurs, c’est une règle de gestion des milieux naturels. Concrètement, ça veut dire : pas de bâtons dans les coins où le dénivelé est le plus raide. L’organisation les verrouille dans nos sacs au départ de chaque tronçon concerné.
Mon plan de marche ? Finir en 57 heures. Une marge de 4 heures sur les barrières horaires, une stratégie pensée pour ne jamais courir après la montre.
L’organisation, parlons-en : petite équipe, mais solide. Ils sont aussi derrière le trail du Lioran, les 6 Burons, le Sancy, et bien sûr la VVX. Ils connaissent l’ultra. L’accueil est bienveillant, les bénévoles investis, les visages deviennent familiers au fil du parcours. 81 partants seulement. Une course intimiste, à taille humaine. Parfait.
Mercredi, 10h : départ du Lioran. Il fait chaud. Très chaud. La première étape : 36 km et 2300 m de D+, avec un programme musclé : Plomb du Cantal, Griou, brèche de Roland, Puy Mary. Un point d’eau est installé à mi-parcours, quelques ruisseaux complètent. J’arrive à la base vie du buron d’Eylac après 8h30 de course. Contrôle médical obligatoire à l’entrée et à la sortie. Première apparition des ampoules. Pas méchantes, pour l’instant.
Je repars pour la deuxième étape vers Condat : 40 km, 655 m de D+, terrain plutôt descendant. C’est plus roulant, les montagnes s’aplatissent, les troupeaux paissent tranquilles. Un ravito en eau au milieu, la fatigue commence à poindre dans le dernier tiers. J’arrive à 2h30 du matin. Une heure de pause, 20 minutes de micro-sieste, une purée-jambon salvatrice. Je repars à 3h30.
Troisième étape : 36 km et 1050 m de D+, direction Pertuyzat (Super-Besse). Le lever de soleil est splendide. Je passe 37 km sans croiser âme qui vive, à part quelques paysans dans leurs champs. Le silence est total. Je retrouve le monde au lac Chauvet. Après un passage un peu désagréable le long d’une départementale, c’est la remontée vers le lac Pavin. Sublime. Les randonneurs sont de retour. J’arrive à la base vie vers 11h30. Il fait de nouveau très chaud. Pause, lasagnes au saumon. Une double ration, on ne va pas se mentir. Et c’est reparti.
Étape 4 : 25 km et 1000 m de D+. En plein cagnard. Les bâtons sont interdits, les cuisses râlent. La descente vers Besse, puis la remontée au Sancy, et enfin la descente vers Le Mont-Dore : grandiose. Mais je prends un bon coup de chaud. Les ampoules se rappellent à mon bon souvenir. Arrivée à 19h à la base vie, au km 135. Micro-sieste, aligot-saucisse (la base), et je repars à 20h15 pour l’étape que je redoute le plus.
53 km, 2300 m de D+, presque intégralement de nuit, direction le gîte de Montlosier. On attaque direct par 1000 m de D+ : cascade, Puy de l’Angle, col de la Croix Morand. La vue sur le lac du Guéry est magnifique, mais la descente vers La Bourboule est usante. Peu technique mais il faut sans cesse relancer. Vers le km 150, la nuit est noire, la fatigue extrême. Les hallucinations débarquent : les pierres ont des visages, les villages deviennent des vaisseaux. Classique. Je me perds plusieurs fois. Orientation difficile. J’improvise une sieste de 20 minutes au bord du chemin, sommaire mais nécessaire. Repartir n’est pas facile, mais il faut avancer.
À 3h30, il me reste 40 km et 10 h. Le rythme est lent (4 km/h en montée, guère plus en descente), mais ça passe. Avant le lac du Guéry, je rattrape deux coureurs. Ouf. Je m’accroche. Ravitaillement surprise, lever du jour, moral en hausse. Le terrain s’adoucit. On atteint Montlosier vers 11h30, au km 188. Le plus dur semble fait. Un bon plat chaud (ou deux), un infirmier qui soigne une ampoule bien vicieuse, et c’est reparti.
Direction le Puy de Dôme, puis le col de Ceyssat. Le moral est excellent, les pieds moins. Je perds mes deux compagnons dans la montée. Au sommet, ma montre me lâche. Panique. Plus de guidage. Et pas de câble. Heureusement, mes deux anciens coéquipiers doivent repasser par là. Je les attends. Miracle : ils arrivent, je récupère le câble. Je boucle le sommet, conscient que les cartes auraient pu me sauver la mise.
Encore 20 km, majoritairement descendant. Il est 17h30. Objectif : maintenir 5 km/h. Le parcours évite les puys, c’est roulant, sauf quelques détours tordus. Ravito sauvage, et les 3 derniers km sont un vrai labyrinthe. Enfin, l’arrivée, après 59 h et 42 minutes. À Volvic, l’ambiance est festive : concerts, stands. Les organisateurs nous accueillent comme des héros. Je retrouve ma femme et mes enfants. Épuisé, mais heureux.
En résumé : une aventure géniale. Moins engagée que le TOR ou la Swiss Peaks, mais un excellent pont entre 100 miles et les longues distances extrêmes. Organisation irréprochable, repas locaux délicieux, balises GPS rassurantes. Courir à la montre, c’est exigeant, mais très fun. Et cette solitude dans les massifs... magique.
Je connaissais bien les massifs, mais j’ai découvert les zones de liaison avec un immense plaisir. Seul regret : avoir traversé le secteur du Guéry de nuit. Ce coin est splendide et sauvage. J’y retournerai. De jour, cette fois.
Sur 81 partants, 50 sont arrivés. J’en suis. Et je ne suis pas mécontent.
A une prochaine ...
Dernière édition par JIBSY69 le 04 Juin 2025, 18:06, édité 2 fois au total.