Récit de la course : L'Intégrale de Riquet 2009, par c2

L'auteur : c2

La course : L'Intégrale de Riquet

Date : 2/7/2009

Lieu : Marseillan (Hérault)

Affichage : 1630 vues

Distance : 240km

Objectif : Terminer

3 commentaires

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Intégrale de Riquet 2009

Avant-propos : ce texte est paru dans le magazine Ultrafondus n°62 d'août/septembre 2009 

en voici une version enrichie en photos

 

Après cinq années d'absence, l'intégrale de Riquet effectue son grand retour. Les coureurs l'attendaient au tournant: ils étaient une soixantaine à se présenter au départ, mais l'Intégrale les attendait au tournant: distance, terrain et chaleur ont décimé leurs rangs. Pas facile d'aligner 240 km le long d'un canal en moins de 48 heures sans que l'esprit parte à la dérive....

Dérive intégrale au bord du canal

Intégrale, vous avez dit intégrale ? Mais pourquoi parler mathématique me direz-vous? Complètement hors sujet ! Quelle est cette fonction bizarre qui porte le nom de Riquet. Pierre-Paul pour les intimes. Le dit Riquet existe bien. La preuve, il nous a donné rendez-vous au cœur de Toulouse. Mais les consignes sont très strictes. Il faut arriver samedi 4 juillet 2009 à 10 heures dernier délai. Après, il sera trop tard. Le monsieur ne rigole pas et en impose. Baron de Bonrepos. Comte de Camaran. Il vient de fêter ses 400 ans, a discuté avec Colbert et enthousiasmé le roi Soleil. Rien que ça !!

48h maxi. Nous sommes le jeudi 2, il est 10 heures. Du pied du phare des Onglous sur la commune de Marseillan près de Sète, nous contemplons l’étang de Thau à deux pas de la Méditerranée.

 
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Phare des Onglons et fin du canal se jetant dans l’étang de Thau

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Départ  imminent sous un soleil généreux

Le deal est très clair: deux pieds pour les coureurs, un VTT pour chaque suiveur. 240 bornes à faire en longeant à contre courant en totalité le canal du midi. 20 heures maxi pour la mi-parcours au 124ième km à Trèbes et 28h de plus pour aller au bout. Le décor est planté. Ne pas finir : inconcevable. ça ne m’est jamais arrivé. Six mois plus tôt apprendre l'existence de ce challenge m’avait immédiatement emballé: le trajet en ligne, la cohérence du parcours, la logique de l’aventure. Remonter le fil de l’eau et de l’histoire. Découvrir un travail titanesque pour l’époque, le plus grand chantier de génie civil depuis les Romains. Pensez donc : 12 ans de travaux, 12000 ouvriers sur le terrain, 350 ouvrages d'art, dont 63 écluses,

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des écluses, encore des écluses 

54 aqueducs, 7 ponts-canaux, des tunnels, des maisons éclusières et 45000 arbres plantés à l’occasion. Tout cela avait un sens. J’avais follement envie d’en savoir plus. Après plusieurs saisons orientées trail longue distance, j'avais envie d’un truc assez roulant, plus proche de la route, sans verser dans le bitume. Un mixte, mi-route mi-trail. L’oiseau rare. Bingo. Si le parcours n’est pas plat cela y ressemble drôlement : 190m à monter en 180 bornes jusqu’au seuil de Naurouze, partage des eaux entre l’atlantique et la méditerranée puis une glissage de 50m en 60 kilomètres jusqu’à Toulouse. Attention quand même à ne pas oublier les brèves montées/descentes à chaque rencontre de pont, qui usent le bonhomme avec leur comique de répétition. Bref, un billard bien loin des trails de montagne roulant mais sans bitume, juste un peu de piste cyclable et du chemin de halage tranquille.

Rencontres. Mercredi 1er Juillet. 66 inscrits, quelques blessés, une soixantaine de partants, une communauté, une famille. Le thermomètre hésite entre 36 et 37°C. Pour le lendemain on peut ranger les manches longues et sortir les bouteilles d’eau. 19h, une pasta au cœur de Marseillan dans une petite ruelle avec brève présentation de chacun.

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Marseillan 

Respect et connivence. Passion commune. Certains CV impressionnent. Mots superflus. Mêmes vibrations. On se comprend en un regard. On se connaît, on s’est déjà vu ou on a entendu parler de….

Avant même de commencer à courir un point du règlement a fait renoncer quelques coureurs: l'obligation de trouver au moins un suiveur en vélo, sur la totalité du parcours. Son rôle : veiller à la sécurité, rester aux petits soins, être à l’écoute, faire fi de sa propre fatigue, encaisser les sautes d’humeur du coureur. Rôle de l’ombre, ingrat par nature. Mais ô combien important. Personnellement ce problème s’est très vite transformé en avantage: mon suiveur serait une suiveuse, mais pas n’importe laquelle ! Une, qui m’a déjà suivi sur des 100 kms, qui en a déjà couru elle-même et avec qui j’ai déjà franchi main dans la main des lignes d’arrivée de grands raids. Bref une qui savait donc au plus profond d’elle-même de quoi on parle. Cette Intégrale sera donc une course en couple ouverte sur le partage. A moi les jambes du jour, à elle le vélo, l’intendance, la tactique et surtout la lucidité.

 
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Jeudi 2 juillet, départ à 10h. La caravane s’ébranle et s’étire doucement avec un léger vent de face.

 
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Après une dizaine de kilomètres les binômes coureur-suiveurs peuvent se former suite à un début solo plutôt dur: chaleur déjà bien présente, peu ou pas d’arbres et sentier très étroit en tout bord de canal entre joncs et micro-anses piégeuses. Des pieds se retrouvent déjà dans le canal.

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Le plus dur c’est de faire monter le compteur à kilomètres sans regarder ce qu’il reste. Dur de sentir des petits tiraillements dans les jambes après 40 bornes et se dire : « Mais je n’en ai fait qu’un sixième !!! »

 
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Mon idée fixe. Partir prudemment pour arriver à Trèbes pas trop entamé où la course ne fera finalement que commencer. S’hydrater, s’alimenter et se refroidir sont les clés du succès. Des dizaines de fois je trempe la saharienne dans le canal.

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Question boisson ma suiveuse me mène la vie dure. Elle est dans le vrai. Je pensais pouvoir me tirer la bourre (au début) avec les bateaux de plaisance limités en théorie à une vitesse à 8km/h; manque de chance, ils vont quasiment tous dans l’autre sens.

Le platane rend fou. Bien alignés à l’infini tous les dix mètres, ils sont de véritables pièges à coureurs, source de tous les dangers. Ne pas trop les regarder ni les compter sous peine d'endormissement prématuré.

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Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. (Invitation au voyage, C. Baudelaire)

Retour au CM2. « Tu vas nous conjuguer un verbe du premier groupe  me suggère l'instituteur, plataner. Allez, nous t’écoutons » Et me voilà parti dans un délire grammatical « Je platane, tu platanes,…», « et au futur », «Il platanera, nous platanerons…. », et ... Stop. Sortir de ce mauvais rêve. Retour au plus vite vers le présent. Chanson de Graeme Allwright « Jolie bouteille, sacrée bouteille…. » mais après une strophe voici qu'elle se transforme en « joli platane, sacré platane, veux-tu me laisser tranquille…. » Solution unique. Prendre le bon côté des choses, cohabiter avec le platane, accepter sa présence, son look majestueux, le frêle bruissement de sa ramure et de son ombre. Retourner le problème, en faire un allié. Mais voilà qu'une fois les arbres acquis à ma cause, ce sont les cigales qui cherchent à me faire tourner chèvre « Ksss ksss ksss ksss ». Silence!

Ce parcours est vraiment agréable, une vraie visite touristique. Ca va de la grosse ville version Beziers, Carcassonne et ses remparts ou Castelnaudary et son grand bassin jusqu’au petit village reculé de tout. Et puis tous ces ouvrages qui ont permis l’avancé du serpent : des ponts qui enjambent des rivières comme ceux de l’Orb ou de Repudre, le tunnel de Malpas creusé dans la montagne et toutes ces écluses à un ou plusieurs étages, l’embranchement au km 75 entre le canal de la Robine qui pique au sud vers la mer et celui du midi qui poursuit à l’ouest....

 
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Tunnel de Malpas et passage au-dessus du canal de la Robine

Et puis cette ballade est agréable finalement: on reçoit les saluts des éclusiers, ceux des familles qui se préparent à manger en terrasse de leur embarcation; on admire des bateaux de tous genres, de la coque de noix à la péniche transformée en luxueux appartement; on longue des ports de plaisance, des paillotes ou ginguettes plus ou moins animées.

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Vois sur ces canaux, dormir ces vaisseaux, dont l'humeur est vagabonde (Invitation au voyage, C. Baudelaire)

Toute une vie grouille au bord de ce canal que nous pouvons apprécier à loisir. Pendant que nous déambulons, nos mules à deux roues gèrent le ravitaillement: chacun y va de son panier frontal, de sa sacoche arrière, de sa caisse plastique solidement arrimée jusqu’à la carriole. Ajoutez à ça deux bouteilles d'eau fournies par l'organisation tous les 30 km et une salle couverte avec repas chaud, lits et kiné à mi-parcours à Trèbes. Que demander de plus.

Train-train. Au fil du temps certaines têtes deviennent familières: des coureurs qui doublent et qu’on redouble au gré des arrêts de chacun et des coups de mieux ou de moins bien;

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les contrôleurs qui progressent avec la caravane et que l’on recroise de saut de puce en saut de puce; les bénévoles, coureurs ou pas qui n’en perdent pas une miette qui nous donnent quelques indications ou sécurisent nos traversées de route; ceux tournés plutôt vers la santé des coureurs qui arpentent le terrain en moto trail et nous interrogent régulièrement. Je taille parfois la bavette avec quelques locaux de tous âges : « mais qu’est ce  que vous faites exactement ? Monsieur le maire ne nous a rien dit » ou encore. « Vous devez être à Toulouse demain, mais vous n’aurez jamais le temps !! ». Et si mes pauvres amis, nous courons aussi la nuit, pas de repos pour ceux qui visent l'Intégrale...  

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Et on avance toujours, on enchaîne les changements de rive, un œil sur le terrain, l’autre sur le road-book; on surveille le balisage et les panneaux; les neurones s’embrouillent, le calcul mental devient insurmontable.

 « Combien il reste? Je sais pas, cours »

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Micro-sommeil de 5mn 

Ce parcours « plat » va se révéler bien usant. Pas mal de petites bosses à chacune des nombreuses écluses. Un chemin souvent caillouteux avec des racines piégeuses surtout la nuit. De la grave bien blanche qui renvoie toute la chaleur. Les abandons se succèdent.

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parfois à l’ombre, parfois au soleil  

Piste cyclable sur les 50 derniers kilomètres. Les dessous de pieds apprécient. On glisse à côté de cette autoroute du silence sur notre gauche. En revanche ce qui est moins fun c’est la présence de la vraie autoroute assez proche sur notre droite un jour de grande transhumance. Bonjour les décibels.  

Petite averse pas bien méchante, nombreux éclairs. Les 15 derniers kilomètres me paraissent fort longs. Cocktail de nuit à base de repères inconnus, de fatigue accumulée et de hâte d’en finir. Ca fait bien longtemps que j’ai l’impression que le canal monte et puis je vois plein de choses bizarres : des troncs d’arbres transformés en personnages. Des maisons éclairées qui ne sont que de simples reflets dans l’eau. Visiblement la dette de sommeil est conséquente. Ma suiveuse prend de temps en temps un peu d’avance pour se reposer. Je la retrouve allongée à même la piste cyclable, endormie. Scène surréaliste à 2h du mat, au milieu de nulle part au sud de Toulouse.

Ramonville. On repart aux portes de la grande ville, un halo plus lumineux dans le fond. Entrée en ville plutôt lugubre, qui s'arrange en pénétrant vers le cœur. Tout est désert. Le jour se lève. Ligne droite finale. Quelques applaudissements du staff toujours au taquet. Photo d’arrivée. Quelques nouilles sans conviction. Vite un lit pour s’endormir en deux secondes avec l’intense satisfaction d’être arrivé au bout.

 
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plus que 190km   
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                  mais elle est où ma suiveuse                         après course 

Fin de partie : Samedi 4 juillet, 12h. Quelques gouttes ont la décence de repartir aussi vite qu'elles sont venues. L'heure est à la remise des prix, bon enfant. L’éventuelle déception des coureurs qui ont rendu leur dossard en cours de route (presque 50%) est partiellement cachée. Des coupes sont remises aux meilleurs, des diplômes à tous, sans compter de jolis t-shirts bien sûr. Mais c'est surtout avec des souvenirs que nous allons rentrer à la maison, ceux de la plus longue course non-stop de France (excepté la Mil'Kil), qui nous a fait revisiter une page de l'histoire. Cette épreuve nous a permis de voir la région sous un angle différent, en nous invitant à y revenir pour approfondir la visite en attendant... l'édition 2010.

 

Christian

3 commentaires

Commentaire de CROCS-MAN posté le 16-10-2009 à 15:58:00

Une autre super ballade, merci et Bravo, de bien belles photos.

Commentaire de francois 91410 posté le 17-10-2009 à 22:40:00

bravo et merci Christian pour ces clichés et ces impressions de course, pour une aventure hors du commun ... pour le commun des mortels !

Commentaire de golum posté le 19-12-2009 à 00:20:00

Bravo pour ta course et ce CR bien sympa qui donne envie d'aller y faire un tour (en évitant les platanes). Allez dans mes tablettes pour 2011.
Au plaisir de te croiser.

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