Récit de la course : Trans 333 2007, par chacal

L'auteur : chacal

La course : Trans 333

Date : 16/11/2007

Lieu : Le Caire (Egypte)

Affichage : 1297 vues

Distance : 333km

Objectif : Pas d'objectif

5 commentaires

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Le récit

 We’re just two silly old men ! “  

            Le rire clair et communicatif résonne dans la tente bédouine. Quelles que soient les raisons qui ont amenées cet attorney de Phoenix (Arizona) jusqu’au désert occidental d’Egypte pour cette épreuve hors norme « à la Gestin «,  il est devenu un élément indispensable de cette tribu de coureurs au long cours. Dan a longtemps bataillé en tête de course, et s’il a du céder à la classe et la détermination de Patrice, cela n’a en rien entaché sa bonne humeur et sa joie d’être arrivé au bout du périple sain et sauf, et de pouvoir partager ses visions du désert blanc avec une des seules personnes qui ne le prendront pas pour un fou, et pour cause …  

           Alain Gestin … Qui d’autre pourrait faire la photo de départ sur un tas de bidons rouillés bavant le bitume séché, vestige de la construction de la route proche ?. Il est 8h45 ce dimanche matin quand la troupe s’élance. Certains en courant, d’autres en marchant. Tous un peu silencieux et les yeux à l’horizon.  333 km. Une distance qu’on sait trop longue à appréhender  dans son ensemble et que pour rendre acceptable, il va falloir morceler, fractionner, diviser et rediviser. En faire des petits segments a l’échelle de nos petites têtes. 

           Il fait déjà trop chaud. Les premières gelées tombaient sur la France il y a moins de deux jours. Je crains avec raison cette journée d’adaptation. Certains y laisseront déjà leurs espoirs et leurs longs mois de préparation.  Je me suis calé vers le milieu de la quarantaine de coureurs. La plupart dévient à gauche vers les points GPS intermédiaires. Seuls les CP (Control points) tous les 25 kms environs sont obligatoires, et je n’ai rentrés que ces seules coordonnées jusqu’au CP10, soit les deux tiers de la course. La fin est réputée plus délicate, et suivre la piste sera plus prudent. Mais pour l’instant je trace tout droit à travers les cultures de la première oasis du parcours Je ne sais pas encore qu’il me faudra parcourir plus de 300 km dans le désert avant de voir la deuxième.          

             Je prends bien garde d’éviter de piétiner les plantations. De grandes  fosses creusées dans le sable pour accéder à l’eau ou planter les dattes rendent la progression difficile dans un sable très mou. J’aperçois de temps a autre, à la faveur des multiples détours, un petit groupe avec Olivier, encore fringant en ce début de course, Jean-Yves, un habitué des raids déjà rencontré en Mauritanie ou il avait signé un podium, Fredo qui vient de la commune voisine de la mienne et que je ne connaissais pas jusqu’alors. Il faut dire qu’une bonne génération nous sépare. Et Dan qui suit derrière en trottinant.         

              Je cours seul en général, mais plutôt que de les suivre à distance, je presse l’allure malgré les difficultés du terrain et prends le large. Sans doute pas ma meilleure idée de la semaine. La sortie de l’Oasis est un soulagement. Suit un faux plat sur du sable assez dur ou seules les vipères ont laissé leurs traces bizarres, sorte de petits traits discontinus, plus ou moins en travers de leurs direction générale. Je verrai de nombreuses traces, mais pas de serpents. Pas plus mal à mon goût.    

           Au CP1, j’apprends avec surprise que je pointe à la deuxième place derrière Sergio, un italien dont la compagne qui suit la course avec l’organisation attire tous les regards (enfin, ceux des hommes). J’en suis un peu contrarié. L’option Oasis a payé c’est certain, mais mon allure doit tout de même être trop rapide. La température, affichée sur la montre de raid qui m’a fait craquer chez decathlon est à 35, et monte toujours. L’après-midi à 40 degrés sera difficile, et malgré le passage à la marche, j’aurai du mal à évacuer la chaleur, au point de devoir m’arrêter près de deux heures au CP2, après le premier marathon, pour récupérer et bien m’hydrater. L’idéal serait de pouvoir passer quelques jours sur place avant le départ, le temps de s’acclimater. Isabelle, qui en a profité pour me dépasser avec pas mal d’autres, vit à la réunion et n’a pas ce genre de souci.    

             La chute brutale des températures annonce la nuit. Le terrain assez rocailleux permet tout de même de courir sur de bonnes portions. Je rattrape ainsi au cours de la nuit la bande des quatre qui m’avait repris dans la chaleur, avec Olivier, Fredo, Jean-yves et peut-être déjà Gerard.  Dan à pris le large . On apprendra bientôt qu’il est en tête de course, en bagarre avec Patrice et Philippe, le Suisse.       

           Au CP4 attend mon plat traditionnel de raid : des nouilles chinoises séchées, vite trempées dans l’eau bouillante. Un régal, qui change des barquettes de l’organisation souvent tièdes. Je décide après ces premiers 95 km de m’offrir une bonne nuit de deux heures, afin d’affronter la suite avec un maximum de chance. Je ne me préoccupe plus guère de mon classement à ce moment là, que j’imagine vers le milieu du peloton.       

            5h du matin. C’est reparti. Mon coup de chaud de la veille m’a rendu excessivement prudent, et je vais passer les 24h suivante à une allure de marche modérée, au point de ne passer que trois CP. La température descend maintenant a quelques degrés la nuit, et le froid devient le premier de nos soucis. Je m’arrêterai au CP7 à minuit pour 4 heures, dont 3 heures de sommeil plus ou moins agité.           

            A quatre heures le troisième jour, je me rends soudain compte qu’à l’allure que j’ai adoptée, avec encore 8 CP devant moi et 3CP par jour, j’arriverai tout juste dans les délais, et qu’au moindre ralentissement ou arrêt un peu prolongé ça deviendra critique. De plus et contrairement à beaucoup, je n’ai pas encore d’ampoules aux pieds, et ma cadence pourrait bien ralentir en cas de problème. Le spectre de l’échec vient soudain glacer mes os qui n’avaient certes pas besoin de ça.  La bande des quatre est repartie depuis plus de deux heures.        

             Je suis en short, le froid est terrible, et j’hésite à repartir quand Sabine, l’une des deux infirmières de tête de course, me propose son collant.  Je ne vous ai pas présenté l’équipe médicale. Karim, le toubib, fait tandem avec Elena et navigue du milieu en fin de peloton, où sont à priori les cas les plus difficiles. Isabelle et Sabine sont dans la première partie. J’oscillerai un moment entre les deux équipes, avant de passer pour les deux derniers jours avec les deux Grenobloises, qui ont rendu amoureux tout le peloton, sauf moi bien entendu, qui ai déjà le cœur bien occupé (ouf c’est passé juste..). Elles ont été formidables, prodiguant soins, support, soupe chaudes, sourires et encouragement à tous. Merci à vous. Notre réussite est la votre.  

             Comme j’hésite un peu elle insiste : « alors tu le veux ou pas ? »« Oh oui », réponds-je, et ni une ni deux, elle baisse son pantalon, enlève le collant qu’elle portait dessous et me le donne. Il est un peu serré, mais pas question de faire la fine bouche. « T’as l’air plus sexy » me fait-elle alors que je plonge dans le froid.Je lui promets d’amener son collant fétiche à l’arrivée.              

             Cet épisode m’a sorti de ma torpeur, et j’ai décidé d’augmenter la cadence pour repasser à 4 CP/ jour. Je suis en course, et c’est maintenant qu’il faut y aller, il ne servira à rien de pleurer plus tard. J’essaie donc de courir à nouveau quand le terrain le permet, en évitant cependant tout gros effort pendant les fortes chaleurs de milieu de journée. Le CP 8 me permet de faire le bilan sur la feuille de pointage. Je pointe dans les quinzièmes, et on commence à signaler pas mal d’abandon. Francesco qui m’avait repris la première nuit, victime de crampes, Olivier, avec une cheville enflée, et d’autres.. Je profite de l’absence des infirmières sur ce CP pour soigner efficacement mon unique ampoule. Ces petits soins de pieds relèvent normalement du seul coureur, même si Isabelle et Sabine l’ont fait sans barguigner sur beaucoup de pieds. Le cameraman est là pour prendre quelques rush pour le film final. « Yvon soigne ses plaies » , »Yvon change de slip », « Yvon repart dans le désert ». Il me suit un peu à pieds, mais comme je cours il repart vers le CP pour chercher son 4x4 avec chauffeur afin de filmer plus confortablement. Mais je coupe toujours entre les CP, et il ne me reverra pas sur la piste . On a aussi rendez-vous pour le lendemain afin de filmer une séance de Tai-chi-chuan dans les rochers calcaires du CP12 . Patrick, le cameraman, pratique le Qi-Gong et compte sur moi pour apporter une touche exotique à son film (mes séances de Tai-chi d’avant-course ont été remarquées).       

            Le chemin du CP9 traverse un grand plateau rocailleux. Le paysage de reg est lunaire, paraît sans fin, mais n’offre pas de difficulté. Il se termine par un cordon de dune immaculé que j’ai la sensation de salir avec l’empreinte de mes pas , Il n’est heureusement pas très large . Il faut traverser un « champ de boulets » rocs bizarres de toutes tailles presque parfaitement sphériques, pour arriver au CP9 , ou je retrouve Isabelle la Réunionnaise, qui a souffert de problèmes gastriques, mais reprend du poil de la bête.  Je m’attarde peu, pressé de repartir vers le CP10, qui marque le « brevet 222km » et les deux-tiers de la course.         

             La nuit est tombée depuis longtemps quand je l’atteint, après avoir traversé un wadi interminable ( cours d’eau temporaire, bien sûr à sec). J’ai rattrapé une lumière en route, Didier  je crois.  A moins que ce ne soit Serge ..       

            Quelqu’un a oublié ses lunettes de soleil au CP10, on pense peut-être a Antonio Ferrari, et je les emmène avec moi pour les remettre au coureur si je le vois ou au CP 11 à l’organisation.  Je repars en suivant les points GPS intermédiaires et la piste qui est maintenant conseillée. C’est assez roulant et je recommence à courir, ce qui me permet de revenir assez vite sur la « bande des quatre », composée maintenant de Fredo, Jean-Yves, Gérard et Antonio.  C’est Gérard qui a oublié ses lunettes, mais on saura plus tard qu’il a oublié pas mal de choses dans cette course. Je ne m’attarde pas avec eux et continue ma course solitaire sous la lune.      

            Apres une longue zone de sable meuble, l’arrivée au CP11 est difficile. La tente est cachée en haut d’une colline et il faut faire quelques détours pour y arriver. Elle est assez minuscule, et quelques personnes y dorment à cette petite heure de la nuit , (entre deux et trois heures). Je décide de dormir une heure, pas plus. Ce ne seront en fait que deux ou trois sommes de 10 mn, termines par des bruits ou le froid ambiant. Mon sac ultralight de chez DK était aussi ultra-camelote, et la fermeture est déjà cassée. Quand je me relève, la tente est pleine, et j’ai un mal fou à retrouver mes affaires, dont mon sac banane que je dégotterai finalement sous la charmante chevelure de Fiorella, la belle italienne dont je parlais plus haut, qui l’avait pris pour oreiller. Je repars en gardant tout de même le sac de couchage« ocazou », mais fermement décidé maintenant à aller au bout sans autre arrêt important.            

           J’ai repris la piste , espérant retrouver un terrain roulant pour pouvoir courir et creuser un écart avec mes suivants immédiat, mais c’était le mauvais choix. La piste est en fech-fech ( sable mou) et je dois marcher en plus de me rallonger.        

            Au CP 12, il fait jour, et Philippe Rosset le Suisse est là, agité et nerveux. Il faisait route avec Dan , et a perdu celui-ci au cours d’un changement de pile sur son GPS. Il s’est lui-même un peu perdu. Dia, le responsable de l’organisation coté égyptien est là et a pris les choses en main. Les batterie du Téléphone satellite de détresse (Thuraya) de Philippe sont à plat , et il demande à utiliser le mien. On s’aperçoit qu’il ne vaut pas mieux. Curieux, on avait tous les deux chargé notre appareil. Ils ont dû se mette en route tout seuls dans le sac. A retenir : la prochaine fois il faudra verrouiller le clavier ou protéger les touches. On apprendra plus tard que Dan était retourné au CP 11 et y avait déclaré avoir perdu … Philippe ! Il y dormait d’ailleurs probablement quand j’y suis passé.       

           Je repars, bientôt suivi à distance par Philippe qui reste à quelques centaines de mètres. Connaissant la supériorité du bonhomme, qui jouait quand même la gagne, je m’attends à ce qu’il me passe rapidement. Mais il n’en est rien .Après ses mésaventures avec le GPS, il doit être méfiant.  J’apercevrai sa silhouette à l’arrière jusqu’au CP13, malgré un petit arrêt aux spectaculaires rochers calcaires pour attendre mon hypothétique cameraman qui ne viendra pas. Mais il est vrai que j’étais en avance sur l’horaire prévu. Il sera d’ailleurs très déçu de n’avoir pu filmer cette séquence. La chaleur est à nouveau terrible, j’ai l’impression de me bruler les cuisses a travers les épaisses couches de crème solaire « écran total » que je repasse régulièrement.  L’arrivée vers le CP 13 est caillouteux et difficile. La tente est montée en contrebas de « Magic spring » et ses palmiers, une source étonnante en plein désert, que je ne verrai pas de près, ne voulant pas me mêler au groupe de touristes aux 4x4 bruyants, ayant envahi la place au moment de mon passage.  Je pointe alors en cinquième place, mais Philippe arrive rapidement derrière ainsi que Fredo, qui en coupant tout droit après le CP11 a pris une excellente option, trouvant du terrain dur et un parcours plus court. Il montre un talent prometteur. Dan est aussi annoncé à proximité. Le départ du CP13 est balisé par des points GPS intermédiaires, avec un détour important pour éviter une zone de roches particulièrement tranchantes . La nuit est proche . Philippe préfère attendre un peu avant de repartir et je reprends donc la route toujours seul en prenant consciencieusement les points intermédiaires. La piste est roulante et je cours à nouveau. J’ai pourtant repris un coup de chaud et je suis un peu « dans le gaz » , mais cette sensation disparaîtra avec la fraîcheur.         

              J’ai dû me tromper ou dévier de mon cap inconsciemment, car je me suis retrouvé au milieu des roches coupantes. Elles sont très curieuses en effet. Il s’agit de roches calcaires aux bords aigus, mais sur les arêtes, il y a des sortes de bavures plus ou moins en dentelles, comme laissées par un outil qui les aurait coupées. Ces bavures sont très fines, et tranchantes comme des rasoirs. Il fait bien nuit maintenant, mais la lune est pleine. Je redouble de prudence pour éviter la chute. J’hésite un moment, mais perdu pour perdu, je règle mon GPS directement sur le CP14 et me résigne à traverser les cailloux. Je progresse lentement, mais finit bientôt par m’en sortir pour entrer dans le désert blanc.           

            Le désert blanc sous la lune. Jamais je ne pourrai l’oublier. Il était fantastique. Fantastique. Je n’ai jamais aimé fantasmagorique, bien que ce soit peut-être plus approprié. Il y a eu deux zones distinctes. Avant et après le CP14. Avant, les rochers d’une blancheur étonnante sont assez bas et espacés. J’ai beaucoup aimé cette partie. J’ai dormi peut-être 20 mn sur les dernières 48heures de la course et j’étais conscient de mon état de fatigue avancé, parfois de mon semi-sommeil, et aussi des hormones diverses ( naturelles je vous assure) qui me faisaient avancer.  Je pense néanmoins avoir souvent su faire la différence entre le sommeil et l’éveil, mais les impressions peuvent être trompeuses dans cet univers de Lovecraft.  

             Il y avait d’abord les feux follets. J’ai soudain réalisé que les frontales que j’apercevais régulièrement autour de moi aux détours des reliefs n’appartenaient à aucun être vivant, mais qu’elles avaient une vie propre. Il n’y avait pas de concurrent à moins de plusieurs heures. Il y avait quelque part des touristes campant dans ce désert , j’en suis conscient, mais quand j’ai commencé à voir ces feux à quelques mètres de moi, flottant dans l’air et si réels, j’ai bien vu qu’ils ne s’agissait pas de ça . D’ailleurs si ces lumières étaient très brillantes et ne disparaissaient pas pour un oui ou un non, elles n’éclairaient ni le sol, ni les roches parfois proches. Il s’agissait probablement d’étoiles, si brillantes dans la nuit du désert, que mon cerveau fatigué plaçait aux mauvais endroits.         

              Et puis il y a eu les ballons. Peut-être la plus palpable des hallucinations : deux ballons flottant dans l’air à quelques mètres de moi, plutôt sombres mais décorés de dessins plus vifs. Ils sont apparus à droite , puis sont restés derrière moi. Ils étaient très nets , paraissant réels, et ne disparaissaient pas . Ils bougeaient avec moi, avançant et reculant ou stoppant quand je stoppais. Je ne sais pas ce que c’était .          

              Et puis les ombres. Deux ombres à forme quasi humaines. à une vingtaines de mètres, puis plus prés quand je me suis rapproché. L’une suivait l’autre à une dizaine de mètres. Le plus curieux est que Dan m’a mentionné les mêmes ombres, de sa propre initiative, avant que j’aborde moi-même le sujet. Il pense que ces phénomènes ont une origine réelle, comme les étoiles pour les feux follets, et que la fatigue ne fait que déformer ou mal représenter quelque chose.          

              Et les chuchotements … Faciles à expliquer ceux-là, avec la brise légère entre les rochers. Mais on comprend soudain  l’origine de bien des fantômes.  Sabine et Isabelle sont au CP14, mais je ne m’attarde pas, voulant en finir avec la dernière portion de cette course avant de m’endormir pour de bon. Dehors c’est de la folie. Lumières, phares et feux follets se mélangent . Un coup d’œil à mon GPS dont je vérifie la programmation me rassure. Je n’ai pas encore basculé en pleine démence et je peux reprendre ma route. Les rochers calcaires sont maintenant beaucoup plus gros et certains dessinent des personnages gigantesques. Cette zone est très visitée des touristes du désert, et certains y passent la nuit, mêlant leurs feux aux étoiles, frontales, et autres lucioles réelles ou imaginaires.    

          J’ai programmé les points intermédiaires pour cette dernière portion, l’arrivée au « doigt d’Allah » étant réputée délicate. Premier objectif : sortir du désert blanc . 

          La progression est difficile, entre de grands rochers/blocs/entrepôts et bâtiments divers au cours encombrées de véhicules et engins de toutes sortes. Il y a des clôtures a éviter, et les rues et places sont peuplées de personnages hétéroclites. Je m’attelle à trouver la sortie, mais ce n’est pas évident dans ce capharnaüm.  Je crois trouver la piste et me retrouve souvent dans une impasse. J’ai une forte impression de tourner en rond. Mon GPS, seul phare de raison dans cet univers à l’envers m’indique pourtant une progression. J’en ai un peu marre de cette banlieue industrielle et j’aimerais trouver la sortie pour être à nouveau seul au milieu du désert. 

          Soudain je me réveille. Je suis debout, face à un rocher, qu’un fantôme bienveillant m’aura empêché de percuter. Mon GPS ne dira rien puisque je suis immobile, et je repars à gauche pour contourner le rocher ; Plus de roches, mais une colline à gravir et des cailloux en guise de chemin. La progression est rude mais je suis heureux d’avoir enfin atteint la lisière de Mégapolis.. Le contour des choses semble plus stable en dehors du désert blanc, et même le vide vertigineux qui se crée dans l’ombre de la lune semble avoir disparu. Normal , la lune va bientôt disparaître. .

        Apres le premier point intermédiaire j’aborde un chemin un peu plus praticable, tracé entre les cailloux que je m’efforce de suivre bien qu’il me dévie un peu de la voie directe ; Il me mène bientôt à une petite oasis. Je m’arrête pour toucher les feuilles des premiers palmiers : Tiens, ils sont vrais . La palmeraie me semble déserte, mais peut-être y a-t.-il des habitations temporaires cachées quelque part . Palmeraie est d’ailleurs un bien grand mot. Il s’agit d’une toute petite oasis et elle n’est sans doute pas habitée en permanence. Quelques kilomètres de chemin m’amènent bientôt à la montagne. Alain a bien recommandé de passer par le dernier point intermédiaire, un « arbre balisé », afin d’éviter les falaises. J’ai beaucoup de mal à le trouver. Le sable s’est transformé en neige, la piste s’est volatilisée, et je recommence à tourner en rond. Je pourrais partir directement au cap, mais j’ai un peu peur , je n’ai jamais été très à l’aise en montagne.  Je finis tout de même par le faire, puisque j’ai perdu la piste, et après un kilomètre ou deux, difficile de préciser car temps et distances ne sont plus des références exactes, je retombe sur la piste principale. A un moment le GPS bascule sur l’arrivée, Je pourrais suivre, mais non, je préfère reprogrammer le waypoint pour aller voir ce fameux arbre. Maintenant ça descend. Un km plus bas , je trouve l’arbre. Un piquet garni d’une rubalise est planté à coté. Les maisons des environs sont un peu surprenantes, mais elles n’existent sans doute que dans mon imagination. Pourtant elles ont l’air bien réelles, mais non, en plein désert… J’oublie les maisons et repart direct cette fois vers l’arrivée. J’attaque presque aussitôt une colline assez raide, et en atteint le sommet, assez escarpé. attention a ne pas tomber dans un trou. il reste 4 km, et j’ai peine a croire qu’il va falloir progresser au milieu de ces reliefs. Puis je me souviens qu’Alain avait parlé au briefing d’un contournement par la droite, et je redescends donc. Bien m’en prend, puisque la route vers l’arrivée parait maintenant praticable.

       Voilà. C’est fini. je suis arrivé au dernier point GPS.  Curieux qu’il n’y ait pas âme qui vive. J’ai comme un sentiment de déjà vu. la lune est couchée, mais en scrutant alentour je distingue les contours sombres d’une tente. ca doit être ça.  J’y entre, la tente est très vaste, beaucoup plus que celle des CP ; Elle est silencieuse, mais je distingue des formes qui dorment sur les tapis, Je toussote un peu, puis appelle, jusqu'à ce qu’une forme s’ébroue enfin. C’est Francisco, qui a abandonne sur la 333, et à effectue un parcours de rattrapage sur la « 222 » . Il est heureux de me voir et on commence par se mettre à jour chacun sur notre parcours, jusqu’à ce qu’il me demande :

       -          Tu es passé à l’arrivée ?

       -          Quelle arrivée ? 

        Oui, l’arrivée est 300 m plus haut et je suis passé devant. Mais cette fois je n’y suis vraiment pour rien. La tente d’arrivée était éteinte, et Alain et Martine, au pointage n’attendaient personne avant le matin, pensant que je n’aurais pas tenté ce dernier tronçon tout seul de nuit. Francesco me remonte donc jusque là, Je suis bien cinquième. Mon temps réel, d’une bonne demi-heure inférieur a mon temps officiel n’aura pas eu d’influence puisque personne n’est arrivé entre temps, contrairement à la Mauritanie l’an dernier.

         La soupe est bonne. Alain se rendort en écoutant mes commentaires, si bien que je redescends vite à la grand tente pour finir la nuit. Mon sommeil sera court et peuplé de fantômes.  

 

5 commentaires

Commentaire de whitekenyan posté le 18-12-2007 à 16:41:00

Tres beau commentaire où j'en ai souffert pour toi.
Felicitation pour cette 5ieme place!
MAintenant recup !
Bonne continuation

Commentaire de may posté le 19-12-2007 à 18:17:00

très beau récit... pour une course que je rêve également de courir, un jour...
félicitations
May

Commentaire de gdraid posté le 20-12-2007 à 17:34:00

Respect et félicitations Yvon !
Même si tu tais dans ton CR, ta remarquable 5ème place en 90h20', il faut savoir que ce genre d'épreuve se déroule en des lieux, où peu d'entre nous coureurs, sommes capables de franchir plus de 200km !
Alors 222, et surtout 333km !!! Toute une histoire, et aventure que tu racontes bien .
Tu étais en sécurité médicale, avec la belle Héléna et ce cher Karim. ( on le retrouve dans tous les coups périlleux, ce merveilleux toubib du désert !)
Chapeau à Patrice FAYOL , 1er en 75h05', loin devant tout le monde !
Bravo mérité aux 24 finishers des 333km, les 2 , 23ème en 107h35' !
Bravo également aux 6 coureurs finishers des 222km, ainsi qu'aux 2 randonneurs des 111km !
Dans les 7 abandons, il faut féliciter le courage de chacun d'entre eux, pour leur participation sur une telle épreuve,
et respect à celui qui accomplit 286km, si près du but, avant l'abandon ...
Et ton cameraman, Yvon ? Qu'a t'il fait de son film ?
Ton projet de 555km tient-il encore, après cette épreuve ?
JC

Commentaire de chacal posté le 20-12-2007 à 19:07:00

May, garde la 333 dans un coin de ton esprit. elle merite le detour, c'est une de ces courses qui restent a jamais dans la tête ..;
Prochaine edition en 2009 ..;

JC,

Je te verrai peut-être en Mauritanie en Mars, si j'arrive a trouver le budget, et en tout cas surement chez JP a la soiree de preparation.

Finalement j'ai terminé cette 333 en meilleur etat physique et mental que je ne l'esperais ,

Et NON, JE N'IRAI PAS A LA 555
NON, JE N'IRAI PAS A LA 555
NON, je n'irai pas a la 555
non, je n'irai pas ...
.. je n'irai pas ... n'irai pas ...
.....................................
.... p%t#:n, encore 11 mois !!

Yvon

Commentaire de La Tortue posté le 15-06-2014 à 21:58:14

que d'émotion en relisant ces lignes !!!

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