Récit de la course : Marathon de Salon de Provence 2016, par Seabiscuit

L'auteur : Seabiscuit

La course : Marathon de Salon de Provence

Date : 13/11/2016

Lieu : Salon De Provence (Bouches-du-Rhône)

Affichage : 608 vues

Distance : 42.195km

Objectif : Faire un temps

1 commentaire

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Un marathon de haut vol

Il fait 3°C, le ciel est bleu, il n’y a pas de vent. Je suis très enthousiaste d’être au départ du marathon de Salon-de-Provence. Pour plusieurs raisons. La première parce que c’est une édition unique, un évènement qui a été organisé pour commémorer les 40 ans de l’élection de la ville de Salon-de-Provence comme ville la plus sportive en France. La deuxième, en raison de la spécificité de cette épreuve et qui la rend sûrement unique dans l’hexagone : sur les 42,195 km du marathon, 15 km vont se dérouler à l'intérieur même de la base aérienne 701, siège de la patrouille de France.

Je m’apprête donc à fouler le tarmac d’une piste d’aviation. C’est le terme de 12 semaines de préparation, une durée qui peut paraître longue mais qui aujourd’hui ne m’apporte pas une totale sérénité quant à mes capacités à aborder cette épreuve. Les sensations lors du footing la veille en forêt m’ont toutefois parues bonnes et j’ai le sentiment d’avoir fait une bonne préparation. J’ai tiré les enseignements de mon premier marathon, j’ai augmenté le kilométrage en faisant des sorties plus longues et en m’étirant davantage. Je n’ai pas eu de pépin de santé au cours de ces 3 mois, le plan d’entraînement a globalement été respecté et j’ai battu mon record sur semi-marathon en milieu de préparation.

La veille, je suis venu en famille retirer le dossard. Un froid de canard amplifié par le vent accueillait les prétendants marathoniens place Jules Morgan. 1157 coureurs se sont inscrits à l’épreuve solo. Bien plus si on compte les concurrents du relais à 2 et ceux du relais à 4. Dossard en poche, maillot perçu, il ne me restait plus qu’à faire le tour des stands du village des exposants, notamment celui des pompiers où on s’est arrêtés pour réviser les gestes de premiers secours.Il est 8h50, le soleil peine à me réchauffer. Quand je me suis inscrit il y a quelques mois je n’imaginais pas que j’allais partir en bonnet et avec des gants ! Après la présentation du circuit, le remerciement des partenaires et la revue des principaux favoris, le speaker nous invite à respecter une minute de silence en mémoire des victimes de l’attentat survenu il y a un an à Paris. Un lâcher de ballons aux couleurs bleu-blanc-rouge clôt ce recueillement. La foule présente sur la place entonne alors la Marseillaise. J’assiste à un beau moment fraternel.

Le départ est imminent, les secondes qui nous séparent encore du coup de pistolet sont décomptées par les quelques 1.100 partants.

Je vois les premiers partir à bon rythme alors que je profite encore de l’ambiance festive créée par un petit groupe de rares coureurs déguisés. Je franchis la ligne quasiment le dernier mais je ne suis toutefois pas épargné par l’engorgement au niveau du premier virage. Je suis obligé de marcher.

Je souhaite partir sur les bases de 5’10 au km pour atteindre l’objectif de 3h45’. 3h40’ serait un très bon résultat.

Le premier kilomètre n’est jamais facile car il faut slalomer entre les concurrents et aujourd’hui, la sortie de la ville est tortueuse. Au 2ème kilomètre, tout est rentré dans l’ordre, je peux adopter mon rythme de croisière. Bien que je me sois fixé une allure, je ne souhaite pas en être l’esclave. Je prends en compte l’indication donnée par la montre mais je cours davantage aux sensations, et les sensations sont bonnes !

Le parcours fait une petite boucle au nord de Salon, dans la campagne, puis revient dans le centre-ville vers le km 8. On se dirige ensuite vers la BA 701. Sortis de l’enceinte militaire, nous entamerons une grande boucle champêtre sur la commune de Lançon-Provence pour revenir dans la base aérienne vers le km 35. Il nous restera alors à regagner la ligne d’arrivée placée au même endroit que la ligne de départ et ainsi la boucle sera bouclée.

Mais avant d’y arriver, la route est encore longue. Nous n’en sommes pour ainsi dire qu’à l’échauffement. Les jambes sont légères, la foulée aérienne, le corps relâché, le souffle régulier.

Le meneur d’allure à 3h45’, oriflamme violette dans le dos, est devant. Il faut que je le rattrape, mais pas trop vite, juste avant le semi. Etant parti 1 mn après lui ça me laissera un peu de marge pour la deuxième partie du marathon.

Cette petite boucle propose un parcours tout plat sur des routes étroites, parfois au milieu des vignes, dans un environnement très calme. Il y a peu de spectateurs, parfois quelques groupes venus avec des banderoles encourager des amis ou des personnes de la famille.

Au détour d’un virage, km 4,5, arrive le premier ravito. Je rejoins déjà le meneur d’allure. Je l’entends prodiguer des conseils à certains de ses poissons pilotes qui ne le quittent pas. Je passe sans m’arrêter. Le bidon que j’ai avec moi me permet de boire quand j’en ai envie et m’évite les bousculades aux abords des ravitaillements.

Je me dirige vers Salon via une artère assez importante. Ce passage du parcours n’offre pas beaucoup de charme, nous sommes canalisés entre des plots de chantier et le trottoir. Je fais mon entrée dans le centre-ville et à l’approche de la fontaine moussue, j’ai peine à croire que la foule scande mon prénom : Ludovic … Ludovic … Ludovic. Est-ce bien pour moi ? Il est vrai que nous portons tous un dossard sur lequel notre prénom est inscrit mais ce n’est pas possible qu’ils l’aient lu d’aussi loin. Dubitatif et intrigué, je poursuis sur mon rythme jusqu’à ce que je repère la famille. Pour un peu, je les loupais ! Ce sont donc les investigateurs de ce comité de soutien fort sympathique et très apprécié. Ils me diront par la suite qu’ils avaient fait un pari avec une dame que je passerai avant son mari. Pari perdu, je me suis présenté au km 8 avec quelques longueurs de retard sur lui.

Réchauffé par l’effort et les rayons du soleil, je peux quitter les gants. Je reviens donc sur mes pas pour leur laisser.

Je quitte la foule pour me diriger par un profil descendant vers l’école militaire de l’air. C’est un moment attendu car il n’est pas commun de courir sur une piste d’aviation, qui plus est, militaire.

Depuis quelques kilomètres, je cours avec Corinne, une dame menue, la cinquantaine passée, licenciée au club de l’Elan Lambescain et Georges, un black bien charpenté. Corinne semble très à l’aise et imprime à notre trio un rythme très régulier. Elle n’arrête pas de regarder sa montre, c’est un vrai métronome. Je constate qu’elle se règle sur 5’10 au km car soit elle est plus rapide et elle ralentit, soit elle est plus lente et elle accélère. C’est pile poil l’allure que je recherche si bien que je n’ai pas besoin de sortir le tableau des temps de passage de ma poche.

Au km 14, c’est donc à trois que nous faisons notre entrée dans la base aérienne. La présence d’un alpha jet atteste qu’on est bien au siège de la patrouille de France. Les militaires sont réquisitionnés pour assurer la sécurité sur le parcours et ils sont en nombre. On arpente les allées, un coup à droite, un coup à gauche comme pour mieux nous désorienter avant d’attaquer les 2 kilomètres de ligne droite. Puis nous participons à constituer une file ininterrompue de coureurs sur un gros ruban de bitume gris. Je me voyais évoluer, tel un Top Gun, entre deux haies d’honneur constituées d’avions prestigieux de l’armée de l’air française. Malheureusement le canadair paraît bien seul sur cette étendue désertique. 

Est-ce cette désillusion qui provoque à cet instant, c’est-à-dire au droit de la pancarte indiquant le km 16, une crampe à l’adducteur droit ? Je suis surpris et médusé que mon corps me trahisse aussi tôt dans la course. Ça me fait mal, j’hésite à m’arrêter. Je ralentis de manière à passer derrière Corinne afin que mon geste ne soit pas visible (et mal interprété) et me masse l’entrejambe. La crampe semble passer mais cette alerte m’inquiète pour les 26 km restants. Avec l’expérience, je sais que sur une épreuve longue distance la forme connaît des hauts et des bas. Parfois, dans les mauvais jours, elle est basse très tôt et le reste définitivement …

Nous quittons la base aérienne et abordons les faubourgs de Lançon-Provence.

Une montée, relativement courte mais bien marquée, nous amène sous l’arche du semi. Même un semi se mérite ! J’y passe en 1h46’, bien mieux que ce que je visais. Je suis tout de même prudent, pas d’euphorie, je me rappelle mes déboires à Lausanne où j’avais 2’30 d’avance sur mon plan de marche à mi-course que j’ai perdues sur la fin, les jambes tétanisées. Cependant aujourd’hui, contrairement à 2014, je n’ai pas mal aux jambes. Et heureusement car après une courte descente, on s’engage sur le tronçon le plus difficile : 4 km de montée pour atteindre le point culminant du parcours. 

Je constate que dans les parties montantes, je suis plus à l’aise que mes deux compagnons. Je suis tout de même fort admiratif de la prestation de Georges, qui arrive à emmener son gabarit à pareille allure.

 

On rattrape un quatrième larron, Richard, qui nous avait déjà accompagnés auparavant. Il paraît très à l’aise et court relâché.

 

Cette partie du parcours est agréable, nous traversons par des petites routes une zone arborée dont nous ne profitons guère des senteurs en raison, je pense, du froid qu’il fait.

 

Au gré des foulées, nous arrivons enfin à un point où la route fait le dos rond. La pancarte des 25 km atteste que nous sommes arrivés à l’altitude maximale de ce marathon. Corinne, qui semble très bien connaître les lieux, nous annonce que nous avons fait le plus dur. Elle précise qu’il restera juste la montée au quarantième km à négocier. Je lui réponds que ça ne posera pas de problème car nous serons alors portés par la foule.

 

C’est dans ce quatuor que j’entame la descente en pente douce. Je n’ai plus aucun problème physique. Je suis confiant pour la suite.

 

Après deux kilomètres, nous nous rapprochons de l’autoroute que nous longeons sur un kilomètre. La quiétude des petites routes fait place au vrombissement des voitures se dirigeant vers Marseille. Cette attaque sonore est de courte durée puisqu’à la faveur d’un changement de direction nous prenons le large.

 

Nous arrivons au km 32. Le ravito était attendu, je n’ai plus d’eau. Je bois un verre et en emporte un autre pour remplir mon bidon. La manœuvre est compliquée, un gobelet dans une main, il faut que j’arrive avec l’autre à dévisser le bouchon. Au bout de 2h45’ de course, c’est un bon de test psychotechnique ! Je ne m’en sors pas trop mal, prêt à aborder les 10 derniers kilomètres.

 

Nous longeons le golf de la base aérienne par un chemin de terre dont les trous ont été comblés par une sorte de pouzzolane. Ce terrain meuble soulage les articulations qui commencent à faire savoir qu’elles trouvent cette sortie dominicale un peu longue.

 

A l’attaque des 2 km de la seconde piste d’aviation, Georges et Richard sont en retrait. Ils finiront main dans la main en 3h47.

Pour ma part, je m’accroche toujours à Corinne qui reste sur un tempo régulier. En milieu de piste, elle rattrape un collègue de club qui marche. Ce dernier se remet alors à courir avec nous. Corinne lui demande ce qu’il lui arrive, il lui répond qu’il n’a plus de jambes. Il ne va pas bien loin avec nous, il s’arrête et se remet à marcher. Corinne se tourne alors vers moi et me dit « il visait 3h20’ mais il est parti trop vite ». Je perçois dans l’intonation de sa voix et son petit sourire qu’elle s’en amuse, l’air de dire « lui il n’a pas su gérer sa course ». Elle enchaine en me disant « et vous avez vu le black tout à l’heure, il était facile », j’ai envie de lui faire remarquer que maintenant il est derrière mais elle rajoute « je crois que c’est un champion ». Là je suis plutôt circonspect « Vous êtes sûr ? ». « Oui, oui, je crois bien que c’est un champion ». Je dois reconnaître qu’il avait des faux airs à Stéphane Diagana mais son nom m’est totalement inconnu (recherche sur internet après course).

A ce point de la compétition, on rattrape nombre de coureurs qui trainent leur pauvre corps malmené. Ils marchent tête baissée, grimaçants, espérant retrouver un semblant de forme leur permettant d’obtenir le statut de « finisher », l’objectif de la plupart d’entre nous. Le but n’est en effet jamais d’être le meilleur, juste d’aller au bout.

 

Fin de la piste, on fait un tour par les hangars avant de contourner l’école de l’air. Un groupe de militaires assure l’ambiance à notre passage. Est-ce Corinne qui se sent pousser des ailes ou moi qui aie l’impression de tirer des boulets ? Toujours est-il que notre couple vieux de plusieurs dizaines de kilomètre éclate. Et c’est la dame qui s’en va, me laissant seul avec mes souffrances.

 

Il ne reste que 3 km, que représentent 3 km ? Je me dis que ce n’est rien du tout mais les jambes protestent aussitôt et font remarquer qu’elles viennent de parcourir une distance qu’elles n’avaient plus connue depuis deux ans.

Je m’accroche, le cerveau sur off, concentré sur une seule chose : mettre un pied devant l’autre. Mais le rythme m’effraie, j’ai beau vouloir, je ne peux pas aller plus vite. Je tourne autour de 6’ au km.

 

Km 40. Je suis à 3h26’30 et il reste deux km. Si je maintiens cette allure, j’arriverai en dessous des 3h40’. Je me fais donc violence. Je suis dans la dernière difficulté, la montée qui nous conduit jusqu’à la ligne d’arrivée. J’avais dit tout à l’heure que la foule me portera mais que nenni, ce sont bien mes jambes qui me supportent. Douloureuses, elles me rappellent que ce sont elles qui assument cette tâche. J’espère juste qu’elles ne vont pas se rebeller et me laisser en plan juste avant d’en avoir fini. J’essaye d’accélérer, je regarde ma montre qui affiche 41,57 km. Mince je me dis que je m’y suis pris trop tôt. Je ne sais plus si le marathon fait 42 ou 43 km. Non, je retrouve mes esprits, c’est bon je peux tout donner. Les derniers mètres sont un pur bonheur. Je foule le tapis rouge, j’entends les spectateurs m’encourager, je savoure.

3h37mn50s. Le temps est au-delà de mes espérances. Je voudrais remercier Corinne pour sa gestion de la course mais je ne la vois pas.

 

Médaille au cou, je vais m’assoir. Les instants de bonheur font place aux moments de douleur. Là les jambes me font cruellement savoir qu’il ne faut plus rien leur demander.

 

Si l’exploit semble inutile à certains, il revêt une valeur importante à mes yeux. Se surpasser, ce n’est pas juste une réflexion abstraite et vulgarisée par l’essor de la grande distance et plus encore par les ultra distances, cela sous-entend de vaincre tout un tas de difficultés personnelles, cela sous-entend d’y avoir cru et en premier lieu d’avoir eu confiance en soi. Un marathon, c’est une succession d’évènements à gérer, c’est être capable d’interpréter les signaux que le corps nous envoie et de pouvoir s’adapter aux informations perçues. C’est tout sauf monotone car même en l’absence d’intérêt extérieur, au cours d’un tel effort, l’activité des cinq sens et le traitement des signaux internes sont très riches. En plus d’avoir été une jolie balade provençale, ce fut un véritable voyage intérieur.


Ce marathon, pour une édition unique, a été remarquablement organisé. La médaille est très belle, les indications kilométriques précises, les ravitaillements étaient bien placés et suffisamment garnis. Bref, une course à laquelle je suis très content d’avoir participé d’autant plus que je suis très satisfait de mon chrono. L’année sportive 2016 s’achève, ce fut un bon cru : foulée blanche, ardéchoise, étape du Tour, semi-marathon de Lyon puis marathon de Salon de Provence. Place au repos avant de se fixer d’autres objectifs …

 

1 commentaire

Commentaire de smetairie posté le 07-05-2017 à 22:04:52

Bravo pour la perf, les temps autour de 3h30 ne sont pas données a tous !

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