Récit de la course : Courmayeur - Champex - Chamonix 2012, par RayaRun

L'auteur : RayaRun

La course : Courmayeur - Champex - Chamonix

Date : 31/8/2012

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1726 vues

Distance : 98km

Matos : Chaussures Asics Sensor
Bâtons Black Diamond Ultra Raid Pole Carbon

Objectif : Terminer

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CCC : le maso des villes

Un petit compte rendu de ma CCC à moi !


6h55 du matin ce samedi 1er septembre 2012, que de monde pour m’accueillir sur la place du Triangle de l’amitié ! Des applaudissements, des bravos, j’en suis étonné, je souris comme lors de mon premier marathon il y a 5 ans et j’ai presque les larmes aux yeux : ça y est, je l’ai fait cette course folle qui m’a envoyé dans les montagnes autour du Mont Blanc ! Soit, je n’ai pas fait le grand, le mythique et majestueux tour du Mont Blanc, mais à cet instant précis, c’est tout comme ! Au dernier virage, un coureur tente de me doubler en courant, je le regarde et je lui dis tout sourire : « ah ! ça mon bonhomme c’est hors de question ! » Je me retrouve des forces depuis longtemps disparues, pour faire un sprint, sur les pointes de pied comme si j’étais au stade après 20 minutes d’échauffement ! Et je passe la ligne d’arrivée comme une fusée en rigolant ! Ma femme m’accueille, un Kikoureur aussi, Olafmax ( un vrai champion de mon point de vue) arrivé 7h plus tôt, la Web Tv qui m’interviewe la ligne d’arrivée passée et m’accompagne jusqu’au retrait du gilet tant désiré puis une journaliste de l'AFP. Je suis aux anges, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose d’extraordinaire, et pourtant je ne suis qu’un coureur parmi beaucoup d’autres, mais c’est aussi là que réside la magie des courses de fin août à Chamonix.

Il faut dire que me retrouver là me semble un peu incroyable ; quelques années auparavant, j’avais vu à la télé ces fous lancés dans une course sur des sentiers de montagne, habillés en tissu de voile de bateau. Sans parler du look assez spécial, je me demandai bien ce qui leur prenait de souffrir, et de la distance, et de la météo, sans parler du fait que je m’interrogeais sur la capacité à courir aussi longtemps dans de telles conditions. Cependant, au début 2012, je suis comme un gamin qui attend le père Noël lors du tirage au sort, et mon inscription est tirée !

Avant même de savoir si j’allais être sélectionné pour envisager la  CCC, restait à valider une vraie course longue distance. En effet, les courses faites de plus de 65 km ne me permettaient pas de juger de la capacité à faire ou non une course montagne à fort dénivelé et au kilométrage approchant les 100 kilomètres. Aussi toute la saison 2011 – 2012 fut tournée vers l’allongement progressif (hum…), avant l’augmentation du dénivelé ou je comptais plus sur ma pugnacité… Aussi nous fîmes des courses de plus en plus longues chaque trimestre : Saintélyon 68 km en décembre 2011, Ecotrail de Paris 80 km en mars 2012, Grand raid du Morbihan 177km en juin 2012. La CCC en août 2012 devant être le point d’orgue. Avec mon coéquipier, mon frère, nous avions programmé ces courses pour les faire ensemble, afin de nous soutenir dans les moments difficiles, et étudier nos erreurs et de nous améliorer.

L’Ecotrail fut une bonne école de la lenteur, selon le principe que l’endurance n’est pas transférable, nous apprîmes à être lents ! Pendant les premiers 45 kilomètres en tout cas, non que nous soyons bien rapides, mais nous voulions vraiment faire en sorte de ne pas être cramés au soixante et onzième kilomètres alors qu’il reste moins de 10 kilomètres !

La fatigue au Grand Raid a été l’élément central à gérer. Des erreurs, nous en avons faites, après 90 km pourquoi avoir accéléré, de plus, nous ne nous sommes pas vraiment reposés.Les kilomètres 120 à 150 ont été un vrai chemin de croix. Si nous avions fait une halte plus importante la première nuit, celle de la seconde aurait été plus courte et globalement nous aurions mis beaucoup moins de temps à terminer. Mais il faut savoir apprendre de ses erreurs.

Après une épreuve telle que le grand raid, inutile de reprendre l’entrainement avant un vrai repos, mon frère mettra tout le mois de juillet à s’en remettre du fait d’un emploi du temps un peu trop chargé pour permettre une bonne récupération. Je reprendrai trois semaines après par des déplacements en vélo dans la capitale, puis des footing d’une durée inférieure à une heure, deux à trois fois par semaine. Pas de douleurs particulières, tout va bien.

Les vacances approchent ; trois semaines avant le départ, nous partons quinze jours en Espagne, 35 degrés en moyenne, 28 vers 20h pour les quelques entrainements programmés, les apéros tapas bières se chargeant de plomber l’entrainement ! Par contre, je remarque que le mélange piscine-plage-mer se charge de tanner naturellement la plante des pieds ! Quasiment pas une peau morte à la veille de la course !

Alors que nous nous apprêtons à rejoindre Chamonix, mon coéquipier m’informe qu’il ne pourra pas venir… Fondamentalement, cela change beaucoup de choses, mais je ne veux pas renoncer même si j’appréhende beaucoup plus la course.

L’arrivée à Chamonix le dimanche précédant les festivités m’empreint d’émotions, la descente de St Gervais dans la vallée avec la vision du Dôme du Mont  Blanc me serre le cœur, des affiches et des drapeaux de l’UTMB partout ! On a l’impression d’arriver dans un lieu mythique !

Sous un beau soleil, nous profitons de la région pour randonner et faire du rafting avec les enfants. Le lundi soir, je vais encourager les « petits » gars qui prennent le départ de la Petite Trotte à Léon, impressionnant quand on connait les conditions rencontrées sur plus de la moitié du parcours pour certains d’entre eux !

Mercredi après-midi, alors le salon de l’ultra trail a débuté, l’orage gronde et éclate, il se met à pleuvoir un peu, puis alors que des dizaines de concurrents font la queue pour le retrait des dossards au gymnase, il tombe des trombes d’eau ! La couleur des 3 jours qui vont suivre est donnée : de la pluie, de la neige, du froid et de la boue…

C’est dans ces conditions que je récupère mon dossard, mon sac dont une partie est déjà sur moi est contrôlé sommairement, je discute avec une suissesse qui s’inquiète un peu des conditions météo. Je lui dis que quelles que soient les conditions, il faut au moins essayer d’aller au départ, les choses peuvent évoluer favorablement. Cependant, je n’y crois pas tellement car depuis huit jours que je regarde la météo, les prévisions se dégradent systématiquement. Les bulletins reçus par SMS de l’organisation ne font que confirmer un temps pourri, venteux froid et humide. Il semble que l’hiver commence à Chamonix fin août depuis trois ans…

Le jeudi est propice au repos et à la préparation pour la énième fois du sac, ma femme et les enfants vont faire un tour lors des accalmies sachant que la veille d’une course je ne suis pas quelqu’un de très facile à vivre… Je vais tout de même courir la mini CCC sous la flotte avec mon plus jeune fils, il prend la chose très au sérieux et met tout son cœur à faire la course ! Mon sac est prêt, nous dinons, je regarde la progression les traileurs de la TDS sur ma tablette, j’entends  au loin par la fenêtre l’arrivée de Dawa puis d’Antoine et Lionel, j’encourage Agnès virtuellement, lit Kikourou et reçoit l’ordre d’aller me coucher par Arclusaz (pipi, les dents et au lit)! Je m’exécute, de toute façon, je suis crevé…

Au matin, 6h, je me douche, je mange ma crème déjeuner maison, mes abricots et pruneaux, un café je m’habille en essayant de ne réveiller personne, mais il faut croire que ce n’était pas possible. Les garçons ont l’air plus en forme que moi, en tout cas cela me fait bien plaisir de les voir éveillés avant de partir. Je quitte l’appartement pour retrouver les mêmes bêtes à sac que moi au cœur de Chamonix afin de prendre la navette pour Courmayeur. Il a plu durant la nuit, mais là le sol est presque sec, le ciel reste gris. Dans la navette qui part rapidement, je discute avec mon voisin et peu de temps après le tunnel du Mont Blanc passé, il fait beau dans le creux de Courmayeur, en tout cas nous profitions de quelques minutes de ciel bleu, celui-ci se chargeant peu à peu.

Alors que je descends de la navette, un peu tendu,  je suis interpelé d’un « oh ! un Kikoureur ! ». Je viens de rencontrer Zorglub74, je m’accrocherai à lui comme une moule à son rocher pendant l’heure précédent le départ. Il semble détendu ayant déjà couru cette course, il me donne plein de conseils, conseils que je suivrai. Par contre, à la lecture de travers d’un post sur le forum de kikourou, je me suis chargé des Yacktrax, chargement bien inutile mais comme je n’ai pas de sac de délestage et bien tant pis je les garderai avec moi. J’ai aussi pris ma gopro, et là aussi, hélas, vu les conditions, je sais déjà que je renoncerai bien vite à filmer ou à photographier…

La pluie se met à tomber, le speaker, un Italien, présente les conditions météo comme une catastrophe aérienne ! Le ton employé ne rassure pas une seconde, un SMS tombe, plus de Tête de la Tronche, plus de Tête au Vent : j’avoue qu’en cet instant, sous la pluie, avec le ton catastrophique du speaker, je me demande un peu si j’ai bien raison d’être là. Martine Poletti renchérit avec sa voix rapide sur la météo, la nécessité d’être solidaire et sur le fait qu’il ne faut absolument pas rester au Col Ferret pour éviter tout risque. Tout ceci est bien apocalyptique, je me fais peur en ayant l’impression de ne pas avoir pris mon pantalon imperméable que je fini par retrouver… Etienne (Zorglub74) semble plus serein, il voit bien ou je peux trouver du plaisir durant la course. Je l’en remercie encore. Il me quitte pour prendre la température et rejoindre la première vague.

Me voilà sur la ligne de départ, Un hélico survole le site, il y a beaucoup de monde, cela parle dans plein de langues différentes autour de moi, on entend des hymnes nationaux, la musique de Vangelis donne le départ de la première vague, puis 10 minutes plus tard de la mienne, ça vocifère dans les hauts parleurs mais je ne fais pas attention à ce qui est dit.

J’ai déjà chaud, à force de nous dire de nous habiller, j’ai 4 couches sur moi, un Tshirt nid d’abeille, un collant, le t-shirt Kikourou, des manchettes, une micro polaire manche longue et ma Gore tex, je dégouline déjà dans la montée en sous-bois. J’ai une gêne au talon, l’impression que les jambes sont en coton et que je ne vais pas aller bien loin. En plus la balise Nexxtep que j’ai prise pour que ma petite famille puisse me suivre ne semble pas fonctionné, j’échange par SMS avec Aline, ma femme, pour qu’elle aille voir sur le stand ce qui se passe. A son arrivée au stand, j’apparais sur leur écran géant ! Tout le monde est rassuré et je peux me reconcentrer sur la course.

Après un sentier à vache on est assez vite dans un sentier monotrace, je double parfois mais je finis par me raisonner en me disant qu’il est bien inutile de doubler pour le moment car c’est beaucoup trop d’énergie dépensée, les points de vue sont superbes malgré le mauvais temps. Je croise un coureur japonais avec un énorme appareil photo, moi qui regrette déjà d’avoir embarqué mes 300 g de Gopro,en anglais,  je lui demande s’il a l’intention d’aller jusqu’au bout avec ce gros bidule, il me répond que oui mais qu’il le regrette déjà ! Je lui souhaite bon courage. Au refuge Bertone, je bois un verre et repars, au refuge Bonatti, je recharge les bouteilles de Powerade qui me servent de gourde. Cela fait pourtant déjà 2h30 de course, mais je n’ai pas bu 1 litre. Le froid annihile l’envie de boire et il faut que je lutte contre moi-même pour m’hydrater. De plus le terrain est peu propice à la course à pied, ça monte un peu, ça descend un peu, et il y a beaucoup de monde. Jusqu’à Arnuva, une heure plus tard, pas vraiment beaucoup de plaisir à être simplement là. Cependant le temps file comme un rêve, j’ai l’impression d’être en course depuis une heure ou deux mais cela fait déjà presque 5 heures que je crapahute en arrivant au Grand Col Ferret. La montée a été difficile, la pluie, puis la neige ont plombé ma montée, je n’ai pas froid, mais j’ai l’impression que celle-ci est interminable, et dire que déjà une montée a été supprimée et que derrière il y la fameuse ascension  de Bovine, plus courte mais plus technique, un calvaire pour beaucoup.

Enfin une vrai descente, j’apprécie quand cela descend, je me remémore les conseils d’Etienne, la course commence à Champex, ne te crame pas dans la descente vers La Fouly, Je suis ce précieux conseil en retenant les chevaux. A la Fouly, je m’assois quelques minutes après avoir avalé vite fait une soupe, je mange aussi un peu de pain, de saucisson et de fromage qu’un Kikoureur (peu actif sur le site selon lui) propose de m’apporter. Il attend ses collègues qui travaillent dans la même boite que lui (une société d’assurance avec deux voyelles identiques et un X au milieu !). On discute un peu alors que ses collègues arrivent, l’un déclarant tout de go que de toute façon, il s’arrêterait à Champex car il en a marre de ces CCC avec du mauvais temps, qu’il ne prend aucun plaisir. Un grand gars assis derrière moi se change, il s’inquiète car il ne peut rien avaler sans vomir, « quand le corps ne veut pas, il ne veut pas ! ». Je ne me sens pas au top non plus, mais Etienne m’avait indiqué que jusqu’à Champex, le chemin était assez tranquille et que je devais en profiter compte tenu de mon profil. Les gars de l’assurance me le confirment. La pluie qui s’était mis à tomber fort sur la tente se calme miraculeusement au moment où je repars.

 Je me dis que si je dois arrêter, je me dois d’aller au moins à Champex car il n’y a que de la descente et que je me sens bien dans les descentes.

Sur la route, de sympathiques suisses nous offrent le thé et des boissons. Moi qui n’aime pas le thé, je le trouve excellent ! Les petits hameaux suisses ont tout de la carte postale, fleuris, proprets même les champs au bord du chemin semblent avoir été tondus pour notre passage !!! Je me sens rasséréné.

De temps en temps, au coin d’une route, je suis interpellé, « oh un Kikourou ! Allez Kikourou ! ». Je ne sais pas qui est-ce mais cela fait bien plaisir, en plus des SMS de ma femme et des amis qui m’encouragent (ignorant les surtaxes des sms envoyés de France en Italie et en Suisse, tant pis ils m’égorgeront à la fin du mois de septembre !!!!).

L’arrivée à Champex me semble un peu étrange, il y a un brouhaha énorme, un paquet de coureurs fait un semblant de queue pour le ravitaillement, discipliné, je me mets sur ce qui semble être la queue officielle, j’avance à pas d’escargot, mettant plus de 25 minutes à atteindre le plat chaud, des petits malins, français et étrangers, doublant allègrement à peine arrivés (la c…. est internationale, je peux vous l’assurer !). Mon voisin de queue de derrière commence à s’embrouiller avec un gars des pays de l’est… J’essaie en anglais de lui dire de faire la queue comme devrait le faire tout le monde… Mais il semble que ce sont moins mes paroles que les menaces de mon compagnon d’infortune qui lui font rebrousser chemin. Le bénévole qui me tend l’assiette de pâtes, me montre aussi comment porter mes pates et ma soupe ensemble… Alors que je m’assieds, je vois que des bénévoles mettent en place une file avec de la rubalise, je n’en aurai pas profité, tant pis. La tente est pleine comme un œuf, je commence à me refroidir, je m’assieds hagard, à la première place que je trouve. 30 minutes que je suis arrivé, et je commence seulement à me reposer… Une poignée de minutes plus tard, deux gars arrivent et s’installent devant moi, l’un menant le duo : « on se change, on mange on reste 10 minutes et on repart », l’autre ne répond rien et s’exécute, je les regarde d’un œil vitreux, je ne me suis pas changé ayant juste posé mon sac à côté de moi, et ouvert ma gore tex, je sais qu’il ne me reste qu’un t-shirt manches  longues sec et une paire de chaussettes, je me demande ce que je dois faire, il fait assez chaud sous la tente même si je tremble doucement. Je décide de conserver les fringues sèches si mon coup de mou dure ou que je me décide à renoncer. Le meneur interpelle un autre coureur au bout de la table, « Eric (je crois…) tu as une assistance, super ! tu as de la chance, dis, tu peux pas prendre nos fringues mouillée ? On les récupérera demain à Chamonix ». «  Pas de problème » répond l’autre.

A ce moment-là, j’ai vraiment le moral dans les chaussettes, je ne voulais pas imposer à ma femme et aux enfants de se taper de la route en navette ou en voiture pour faire mon assistance, ma philosophie étant que je me mets tout seul dans la galère et je ne fais pas subir aux autres mes frasques… A cet instant précis, je sais qu’il faut que je reparte ou que j’abandonne, le gars me dit : « te refroidis pas vas-y, ça monte, Bovine est la dernière grosse difficulté, ça se gère comme le Grand Col Ferret. » Vu comment s’est passée la montée du Grand Col, rien de vraiment rassurant pour moi. Je prends ma frontale, une STD6, l’allume pour la tester,…, rien ne se passe ! Je change la batterie, le noir total, je panique un peu, je trouve ma troisième batterie, la met fébrilement dans la lampe, mais toujours rien, je réessaie les 3 batteries, mais sans autre résultat. Je me rends compte que j’ai mis à recharger mon autre jeu de batterie mais que j’ai pris celui qui était déjà dans le sac ! Me voilà contraint de ranger mon phare de voiture pour une lampe de vélo ! Je mets ma Tikka sur la tête, elle s’allume, je l’avais vérifié, je ne connais pas l’état des piles, mais j’ai aussi un jeu neuf dans le sac… Je m’en contenterai.

Près de 1h40 que je suis à Champex, je passe faire un tour aux toilettes, entre sous la tente de repos afin de mettre mon pantalon imperméable car la pluie redouble. Je tombe sur un gars sans dossard mais habillé trail qui « accompagne » un ami, il n’a pu rentrer sous la tente de ravitaillement, n’ayant manifestement pas le sauf conduit nécessaire. Il me dit qu’il devait s’arrêter à la Fouly mais finalement il a accompagné son ami jusqu’à Champex, mais sûr, à Trient, il rentre chez lui !!! Je suis bluffé, on a l’impression qu’il parle de cette course comme d’un footing au bois de Boulogne un dimanche matin !

Je ressors de là, les batteries rechargées. Après une sorte de faux plat montant, on se retrouve sur la montée de Bovine, cela monte vite, droit et raide, la pluie qui tombe a transformé le chemin en ruisseau, les pieds auparavant humides sont désormais constamment détrempés. Je n’ai pas froid, je repense à ce que disait le coureur sur la gestion de Bovine, j’ai un peu de mal à trouver mon rythme mais je me cale derrière un gars qui va lentement mais régulièrement, les obstacles, racines hautes, pierres de 50 cm, nous font faire des pas de géant, parfois sur des appuis improbables, ça bouchonne, ce qui me permet de souffler, cette montée dure, dure mais j’ai décidé de ne rien lâcher avant le ravitaillement de Bovine.

Au bout d’un très très long moment, la pluie se transforme en neige, la pente est légèrement moins raide, le sentier plus roulant, on entend les cloches des vaches. C’est bon signe s’il neige, c’est que nous sommes au moins à 1800m, et les cloches, que nous arrivons dans les alpages. Je ne me trompe pas, en levant les yeux je vois au loin plus haut à droite deux lignes oblique  l’une au-dessus l’autre, de lumière de frontale dans un halo dû à la neige tombante. C’est bon signe, la pente se faisant plus douce et le chemin plus large, je me mets à accélérer, suivi d’un coureur équipé d’un phare. Contrôle à l’entrée de la grange qui sert de ravitaillement, un café, je ne traine pas, cela bouchonne vers la sortie, je demande au contrôleur de passer par l’entrée, je me retrouve seul sur le chemin, la pente restant raisonnable, n’ayant pas froid malgré les pieds détrempés, je marche à vive allure doublant de nombreux coureurs, je me sens bien, profitons en tant que cela dure ! Je rejoins une petite barrière ouverte et je bascule dans la descente, au début je cours mais petit à petit la descente devient plus raide et difficile, je me fixe derrière un coureur sans bâtons qui ne descend pas très vite mais avec une certaine aisance, j’essaie de l'imiter, mais même avec mes bâtons, je glisse souvent sans vraiment tomber. Je tiens son rythme, et nous arrivons enfin en vue de Trient, je le remercie de m’avoir aidé à descendre Bovine et j’accélère pour atteindre le ravitaillement de Trient vers minuit et demi.

Moins de monde à ce ravitaillement, enfin, l’ambiance est festive. Derrière moi arrive un coureur de 50 ans dont c’est l’anniversaire qui est accueilli par l’animateur au son de  « joyeux anniversaire ». Je bois une soupe, trois verres d’eau gazeuse, discute avec un groupe de trois coureurs pendant deux minutes. Mes lunettes embuées et sales ne me sont d’aucune utilité pour regarder la distance et le dénivelé qui me sépare de Vallorcine. Je les enlève, les range et les oublie. J’ai tellement peu bu durant le passage Bovine que je n’ai même pas à recharger les gourdes, sans parler de la poche à eau à peine entamé depuis le début de la course.

Un passage sur route, une descente sur un drôle de sentier, puis j’attaque la montée de Catogne. Bovine, Catogne, j’ai l’impression de livrer une bataille, bataille contre moi-même, bataille contre la fatigue et la douleur. J’emploie la même méthode que la montée précédente, lentement, mais sans arrêt, mais mon pied accroche sous une pierre et je tombe assez brutalement sur les genoux dont un sur un caillou, ce qui m’arrache un cri de douleur, mon prédécesseur et mon suiveur s’enquièrent de mon état, mais plus de peur et de douleur instantanée que de vrai mal. Je me remets de suite à marcher, une sangle de l’un de mes bâtons s’est arrachée, et a disparu dans la boue. Je suis pressé d’en finir avec cette montée, j’attends avec impatience de voir la neige tomber et de marcher dans celle-ci, j’écoute la nuit afin d’entendre la cloche d’une vache. Mes bras et mes épaules me font mal, je laisse parfois pendouiller mes bâtons pour reposer les épaules. Enfin la neige arrive, et comme à Bovine, la pente est un peu moins dure mais le vent souffle et je crains d’avoir froid. D’un seul coup on bascule dans une descente assez rapide, contrôle sous une petite tente ; chapeau bas aux bénévoles de supporter de telles conditions.

Je veux arriver vite à Vallorcine et prends quelques risques en courant sur le côté enneigé sans lunette de vue ni visibilité des obstacles afin de doubler un peloton de marcheurs, en m’assurant autant que possible avec les bâtons. Puis j’entre dans la forêt, ma lampe montre quelques signes de fatigue et ma vision nocturne n’étant pas très bonne, je commence à glisser et déraper de plus en plus, un coup sur les fesses, un coup en avant, un coup sur le côté, la descente sur Vallorcine est un véritable enfer ! J’ai l’impression que mes chaussures n’accrochent rien. Olafmax, un kikoureur bien plus rapide et aguerri, avouera avoir passé un sale quart d’heure dans cette descente. J’essaie de m’accrocher à un coureur, mais ceux-ci sont trop rapides et agiles pour moi. A mois de 300 mètres de la fin de la descente, je fais un vol plané sur l’herbe et retombe lourdement en arrière sur le dos. Deux italiennes qui me suivaient arrivent à mon niveau et la plus petite et menue, me tend la main pour m’aider à me relever. Je marche comme sur des œufs pour terminer la descente et j’appréhende vraiment la fin.

Le ravitaillement de Vallorcine est une délivrance ! Je suis boueux de la tête au pied, mes gants, mes bâtons sont détrempés et plein de terre. Je pose mon sac et là, tiens ! Les deux gars rencontrés à Champex et partis 20 minutes avant moi. Je les avais rattrapés ! Je prends de l’essuie tout pour me nettoyer les mains, je bois de l’eau gazeuse, recharge mes gourdes. Mes gants sont dans un tel état que je ne peux plus les porter, heureusement,  j’avais emporté une paire de gant en micro polaire et des sur gants. Quel bonheur de mettre des gants propres ! Je me repose encore quelques minutes, profite du parasol chauffant, puis du feu de bois dehors. Ces 30 minutes sont un vrai bonheur dans ce monde bien hostile.

Je quitte tranquillement Vallorcine, un commissaire de course m’indique qu’il ne reste que le col des Montets puis 10 km à partir d’Argentière jusqu’à Chamonix. Je pars d’un bon pas sur un sentier large montant longeant la route qui lie le Valais suisse à la vallée de l’Arve en France. Le ballet des navettes est incessant et continue entre la France et la Suisse, j’imagine le dispositif mis en place. Un traileur me rejoins après quelques kilomètres et me demande si je veux être relayé, j’accepte avec plaisir mais il ne faut pas 300 mètres pour qu’il me distance et disparaisse dans la nuit !

Je crois me rappeler que c’est par là que j’ai vu des fusées passer près de moi, je me demande alors quels coureurs trouvent encore l’énergie pour courir aussi vite. Je ne le comprends pas immédiatement, mais ce sont les premiers de l’UTMB ! Je suis bluffé par leur vitesse.

La descente sur Argentière n’est pas très intéressante, je me tords la cheville gauche sur le rebord de la route ! Un comble après tant de difficultés, mais rien de grave. Arrivée au ravitaillement d’Argentière, je suis surpris par le monde présent, je m’arrête moins de 5 minutes dans la tente mais plaisante avec de volubiles bénévoles qui savent faire l’animation même au petit matin ! Je suis tout seul lorsque je repars. Je pensais naïvement que s’en était terminé des montées et des descentes ce qui m’arrangeait car j’étais cuit !

Que nenni, même sans Tête au Vent, le sentier se rétrécit et monte en belvédère le long de la vallée pendant une durée interminable, enfin après plus d’une heure trente de marche et de peu de course, je croise Rapace74 avec un autre coureur, je n’arrive pas à courir avec eux. On approche de Chamonix par un large sentier boueux en fond de vallée, je tente de courir un peu, mais j’en ai ma claque, je préfère marcher vite avec mes bâtons. Enfin les premiers bâtiments, le stade, les bords aménagés de l’Arve, le Gymnase. Je cours un peu, je croise quelques personnes puis un peu plus.  Je rigole et en même temps je pleure à moitié !

J’arrive au niveau du salon du trail, il ne reste pas un kilomètre, je cours un peu plus, je marche plus vite, la rue piétonne, les félicitations, ma petite femme qui me soutient, un virage à gauche, l’Arve à nouveau, un virage à droite, un coureur arrive à gauche à ma hauteur, ce n’est pas possible, je ne vais pas me faire doubler là ! Je me sens pousser des ailes, mes talons s’élèvent je m’élance comme si j’étais le premier qui veut conserver sa place, je pique un sprint ! Je double un petit groupe juste près de l’arrivée ! La ligne est franchie ! Je suis heureux ! J’ai fini la CCC. 1007 ème en 20h44 :48.

Je suis trempé, boueux même sur le visage, mais j’ai la banane, je vois le monde qu’il y a sur l’aire d’arrivée alors qu’il n’est pas 7h00 du matin. A cet instant, je n’ai pas de douleur, ma femme est là, Olafmax m’interpelle. J’ai un air béa, « dantesque mais génial ! » sont les mots qui me viennent. La WebTV, le gilet : la magie opère.

Un peu plus tard, lorsque je rentre à l’appartement, je me mets directement dans la baignoire pour me déshabiller, et l’intégralité des vêtements, chaussures et sac vont dans un grand sac poubelle. Je nettoierai tout cela à mon retour le lendemain, j’en sortirai près d’un kilo de terre !

J’ai trouvé Chamonix très attachant, l’organisation de l’UTMB professionnelle et importante, même si je crois que les courses y gagneraient en fluidité avec moins de concurrents.  J’ai eu le plaisir de rencontrer Zorglub74, Olafmax, Rafouille, Rapace74 et d’autres Kikous dont je n’ai pas mémorisé le nom.

A peine une semaine après qu’en reste t il ? Il s’avère qu’après cette quatrième grande course de l’année, 6 jours est la durée moyenne de ma période des « 3 D » : Dodo (1 jour), Douleurs (2 jours) et Déprime (3jours). Ce CR devant clore le cycle !

Cette année fut riche en trails peu montagneux. Je peux désormais envisager la nouvelle saison avec plus de trails et moins de route, plus de dénivelé et moins de plat. Des épreuves moins connues m’attirent. La saisons qui devrait débuter en novembre, commencera par le Sparnatrail puis l’O’rigole. Et avant de m’inscrire à l’UTMB, j’espère pouvoir faire un Ultra Tour du Beaufortain et /ou un tour du lac d’Annecy.

23 commentaires

Commentaire de Zorglub74 posté le 07-09-2012 à 07:54:31

Bravo Rayarun pour cette première un peu épique. On se rend bien compte que ce qui compte sur une course comme cela, ce n'est pas tant le fait de courir mais tous les à côtés qui font font que tout va bien mais que le moindre accroc apporte son lot de soucis. Etre un peu trop chargé au départ, une lampe en panne, ne pas avoir la volonté de se changer, avoir une assistance ou pas, passer trop de temps aux ravitos, avoir des soucis de digestion... En tout cas bravo pour ta course, pas évidente pour un gars venant des pays plats ;-) et à une prochaine dans la yaute.

Commentaire de RayaRun posté le 07-09-2012 à 08:41:05

Merci Zorglub, tes conseils m ont été précieux et c'est en partie grâce à ceux-ci que j'ai terminé ! J'aurai beaucoup de plaisir à recommencer une prochaine dans la yaute !

Commentaire de gj4807 posté le 07-09-2012 à 10:20:34

Merci pour ton récit, j'ai passé un vrai bon moment en le lisant, il m'a pris par la peau du cou et m'a ramené dans Bovine, Catogne... Le coup des Yaktrax m'a fait sourire! mais en fait... elles auraient presque pu être utile entre les Tseppes et Vallorcine.

Commentaire de RayaRun posté le 07-09-2012 à 19:07:15

les Yacktraxx ont pesés bien lourd et pris la place d'un change... Je m'en suis bien mordu les doigts mais c'est comme cela qu'on apprend ;-)

Commentaire de Arclusaz posté le 07-09-2012 à 12:35:20

" Je rigole et en même temps je pleure à moitié !"

Tout est dit dans cette phrase ! Magnifique course, super CR (où tu as l'élégance de ne pas omettre les petits loupés : les Yaktrax, la super frontale qui ne sert à rien,...).

Et puis ça fait plaisir de voir que tu obéis à mon "pipi, les dents et au lit" plus rapidement que mes enfants !

Bon, la Yaute, c'est bien mais rappelle toi la Savoie c'est beau aussi !

Commentaire de RayaRun posté le 07-09-2012 à 19:02:39

Merci ! Et oui en fait je me sentais crevé, mais dans ces cas là faut que ce soit les autres qui vous le dise !

Et la Savoie reste mon point de chute tri voire quadri annuelle !

Commentaire de jaunay86 posté le 07-09-2012 à 14:09:23

Coool, vraiment content que tu sois arrivé au bout...le gars que tu as croisé à table au ravito de la Fouly, c'était moi...Tu semblais vraiment zen à ce moment !!!
Et finalement on aurait pu continuer ensemble, j'arrive à Chamonix 3 minutes avant toi !!

Commentaire de RayaRun posté le 07-09-2012 à 19:05:09

C'est vrai que cela aurait été plus facile de continuer avec toi car j'en ai un peu bavé, mais c'est la richesse de l"environnement, des échanges avec les autres qui permet parfois du supporter les coups de moins bien ! Au plaisir de te retrouver sur les sentiers !

Commentaire de JLW posté le 07-09-2012 à 22:44:53

Merci RayaRun pour ton recit ou j'ai retrouvé pas mal de mes impressions du CCC 2008. J'avais passé un heure à Champex ce qui apres coup m'a paru interminable mais finalement tu as battu mon record :) Encore bravo d'avoir terminé sous ces conditions météo difficiles..

Commentaire de freddo90 posté le 09-09-2012 à 00:07:09

Merci pour ce récit si détaillé et proche de tes sensations !

Commentaire de RayaRun posté le 09-09-2012 à 19:42:57

En espérant que cela serve à mes successeurs :-)

Commentaire de Japhy posté le 09-09-2012 à 15:41:04

Bravo Rayarun! C'est fou, j'ai l'impression que je n'étais pas loin derrière toi jusqu'à Champex disons, mais alors ensuite, bérézina. Seule consolation, ta description de la descente de Vallorcine ne me fait pas regretter l'arrêt à Trient. J'avais déjà valsé dans la descente de Bovine, et deux jours après, me suis aperçue que j'avais une côte cassée! :))))
Je te comprends pour le souhait de ne pas embêter tes proches avec l'assistance, je suis dans le même état d'esprit, surtout dans ces conditions où ce serait un calvaire pour eux, avec les navettes et ce temps merdique!

Commentaire de Japhy posté le 09-09-2012 à 15:45:40

Ha oui j'oubliais, je suis rassurée de voir plusieurs kikous se plaindre des resquilleurs à la soupe, une copine qui était aussi sur la CCC (et qui s'est aussi arrêtée à Trient) n'a rien remarqué!

Commentaire de RayaRun posté le 09-09-2012 à 20:21:47

Salut Japhy, Merci. Si la descente sur Vallorcine avait été dans la première moitié de la course, et qu'une deuxième du même type s'était présentée, j'aurais très certainement abandonné. Je me suis accroché aux "il reste seulement 15 km après Vallorcine".
Bravo en tout cas pour ta course et je sais que ce n'est que partie remise. Avec plaisir sur un prochain trail, avec un peu de soleil, j'espère ;-)

Commentaire de freethunder posté le 12-09-2012 à 10:13:08

Bravo, juste bravo.
Merci pour ce récit. J'ai eu l'impression d'etre avec toi pendant cette lecture :)

Commentaire de RayaRun posté le 12-09-2012 à 10:21:34

Merci, et si cela te donne le goût de la faire et bien, je m'en félicite ! Les trails montagne, c'est vraiment un truc génial à faire, et ce, quel que soit la météo !

Commentaire de freethunder posté le 12-09-2012 à 10:37:22

Peut etre l'année prochaine :)

Commentaire de Matchbox posté le 12-09-2012 à 16:34:50

Toutes mes félicitations Rayarun d'être allé au bout de cette aventure !
Je me suis régalé avec ton récit et j'ai, du coup, refais ma course à te lire.

Commentaire de sabzaina posté le 20-03-2013 à 21:04:04

Je me suis régalée à te lire.
2 frontales, des affaires de rechange indispensables... Je note, je note.
Bravo à toi.
Idem pour l'assistance: je ne souhaite pas que toute ma famille se retrouve dans la galère juste parce que je suis fêlée ;)

Commentaire de RayaRun posté le 29-03-2013 à 08:09:36

Si la météo est prévue pourri, ne lésine pas avec le change. Être frigorifié, c est, à mon sens le pire sur ce type de course à nos allures pour gâcher le plaisir. J attend avec impatience ton CR et je ne manquerai pas de te suivre virtuellement avec la kikouterie présente !

Commentaire de sabzaina posté le 07-07-2013 à 20:47:41

Je le lis et je le relis ce CR...

Commentaire de RayaRun posté le 15-02-2014 à 13:57:21

Je découvre ton commentaire seulement maintenant, et bien cela me fait plaisir !

Commentaire de sabzaina posté le 15-02-2014 à 14:09:29

Il m'a enrichie ;)

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