Récit de la course : 24 heures de Puttelange 2012, par L'Zoreil

L'auteur : L'Zoreil

La course : 24 heures de Puttelange

Date : 30/6/2012

Lieu : Puttelange Aux Lacs (Moselle)

Affichage : 470 vues

Distance : 116km

Matos : Asics de route

Objectif : Terminer

2 commentaires

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24h00 de Puttelange aux Lacs

Je garderai en mémoire des 24h00 de Puttelange aux lacs, les six mois qui les ont précédés. Le 1er janvier, même pas ivres, Mathieu et moi prenons la bonne résolution de l'année : faire un 24h00. Celui de PAL n'est pas trop loin de chez moi, et Mathieu pourra venir de chez lui. Et même si assez rapidement, son programme professionnel et personnel l'empêcheront de se préparer, j'ai adoré ces kilomètres, ces heures passées dans la forêt autour de chez moi. J'ai pu voir 6 mois se dérouler jour après jour, la neige, la pluie, le froid, le verglas de l'hiver, mais aussi les traces d'animaux dans la neige, que je m'amusais à suivre. Les premières lueurs d'un jour qui se lève sur un paysage de neige, les premières feuilles, les premiers chants d'oiseaux du printemps, les chants du soir des merles à la nuit tombante.... sans cet objectif, je n'aurais pas vu tout ça.

J'ai travaillé mon endurance comme un fou, et grâce à mon Garmin, je sais que j'avais atteint une régularité de métronome à la vitesse moyenne de 8,4km/h, le cœur à 130 pulsations par minute. J'ai fait quelques sorties de 2h30 à 3h00 à ce rythme, courant deux kilomètres, marchant 80 mètres, et ainsi de suite. Une horloge. J'avais acquis la douce certitude de pouvoir tenir ce rythme sans limite. Sans cet objectif, je n'aurais pas non plus validé une hypothèse que je faisais depuis longtemps à mon sujet : je ne suis pas du tout doté de capacités physiques hors normes. Impossible d'enchaîner plus de trois séances de 1h30 sans ressentir une lourde fatigue le 4ème jour. Donc j'ai assez vite adapté mon entraînement à cette donnée. Il en a résulté des semaines de 5 séances grand maximum, avec un kilométrage de 50-60 bornes au plus. Même en supposant que j'en aie eu le temps, je ne pouvais pas faire plus physiquement.

Une seule incertitude restait : l'alimentation. Je savais déjà que je mange « n'importe quoi » en course. J'ai toujours fait comme ça, en ne me fiant qu'à mon envie du moment. Sur les courses longues de montagne que j'ai pu faire, j’ai atteint le bonheur total avec un gros sandwich au chorizo fort. Et je n'ai bu que de l'eau, parfois coupée avec du coca. Pour la préparation de ces 24h00, j'ai essayé et vite abandonné l'Isostar, et j'ai essayé le caloreen, à 60g/l. Si je m'en réfère à mes nombreuses imitations de chien marquant son territoire en forêt, je pense que ça m'a bien hydraté. J'aurais dû être plus attentif aux gargouillis de mon ventre...

 

PUTTELANGE AUX LACS ! Le nom est un programme. Ici, la radio de la voiture se met à parler allemand, les maisons me rappellent ma jeunesse d'élève studieux qui adorait les échanges avec l'Allemagne, et les vieux parlent Platt. Un mélange d'allemand et d'autre chose. Le boulanger s'appelle Müller, et d'après les boîtes aux lettres, j'ai plein de cousins qui portent le même nom que moi. Le tout posé au milieu de lacs qu'on ne verra pas du tout pendant la course, puisque celle-ci se déroule en ville sur un circuit d'une longueur quasi diabolique : 661 mètres.

Il fait très chaud et c'est bien dommage, car les derniers entraînements (c'est-à-dire ceux des 6 derniers mois) se sont déroulés dans le froid, tout au plus la tiédeur. Je sais déjà que mon organisme n'est plus habitué à cette chaleur. Je suis arrivé il y a une heure, au moment où rien n'était en place. Mais bon, j'ai mon dossard, et le départ est fixé à 15h00, soit dans une heure. Je prends le temps de reconnaître le parcours. Reconnaître à plus d'un titre, puisque j'ai déjà visionné souvent la vidéo du parcours , mais aussi pour l'assimiler, et essayer de voir où je pourrais marcher. Car c'est ma tactique : courir 3 tours, marcher environ 45 secondes et repartir.

 

Tout le monde est sur la ligne de départ. On nous a présenté le but de la course : aider l'institut médico éducatif du coin, qui s'occupe de handicapés. Petit tour de chauffe en groupe, et c'est parti !

C'est chouette d'être là. D'emblée je pars sur une vitesse d'environ 9km/h. Je sais que ça ne durera pas mais je suppose que ce n'est pas d'aller à 8km/h qui me ferait tenir cette vitesse plus longtemps. La vie est belle, j'ai mon bidon de caloreen à la main, et je suis rassuré : en ayant garé ma voiture sur le parcours, je pourrai accéder à ma boîte de poudre quand je voudrai. Il fait vraiment très chaud, tout le monde se plaint, et certains annoncent déjà qu'ils ne pourront pas faire une performance par un temps pareil. Je double régulièrement Franck Festor, qui marche avec un ami. Je me le répète souvent, pour mieux apprécier cette chance : je suis dans la même course qu'un unijambiste qui a traversé l'Atlantique à la rame !

 

Les trois premières heures sont euphoriques. Je les cours à environ 9km/h de moyenne, ce qui me vaut, au bout de deux heures, ce commentaire du speaker, qui cite les premiers au classement : « nous avons là les meilleurs, l'élite de la course, ceux qui vont tutoyer les records ! ». Si, si, on parle de moi en parlant de l'élite. Ce qui me fait bien rire, car je sais bien que ça ne durera pas, et qu'il n'est pas question que je batte un quelconque record. D'ailleurs, au bout de ces trois heures, je commence à être inquiet, car je n'ai aucun appétit. Les bénévoles, devant lesquels je passe très souvent, ont beau battre des records d'ingéniosité pour présenter le ravitaillement de façon appétissante, je n'ai envie de rien. Et je n'ai aucune preuve « physiologique » que le Caloreen m'hydrate particulièrement. En revanche, mon ventre se sent tout drôle. Et je commence à gamberger. Que se passe-t-il ? Je n'ai jamais connu ça. Je ralentis, rien n'y fait. Au bout de la quatrième heure j'entre dans les toilettes mobiles et en en sortant je me sens bien mieux, je prends donc une décision : le caloreen ne me sert à rien, je reviens à une valeur sûre : l'eau ! Je profite de cet arrêt imprévu pour appliquer ma tactique du départ : m'arrêter 15 minutes toutes les quatre heures. Etirements, SMS aux amis et à la famille.... tous me disent que je suis fou. Certains me souhaitent du courage. Mes parents sont inquiets.

Et comme par miracle, une heure plus tard, je commence à avoir envie de manger. Commence alors une période paradoxale. La course comme je l'aime d'un côté : manger n'importe quoi et boire de l'eau, me représenter -déjà!- l'arrivée. D'un autre côté, est apparu ce que je n'avais pas prévu : les ampoules aux pieds. Quand j'y repense, je me dis qu'il faut être sacrément crétin pour penser qu'une telle course peut se dérouler sans préparer ses pieds. Mais c'est ainsi, et je serre les dents.

Mais, déjà, je marche.

Je me suis imaginé si souvent, courant des heures et des heures, avalant les kilomètres, ne m’arrêtant presque pas aux ravitaillement.

Mais déjà, au bout de cinq heures, je marche.

Au bout de huit heures, un compagnon de route me demande si je vais bien, et non, je ne vais pas bien. J'ai mal aux pieds et au dos. Cette douleur-là est nouvelle pour moi. Il me conseille d'aller voir les kiné. Miracle, ils sont disponibles ! En 10 minutes, une jeune kiné me remet d'aplomb. Incroyable. Et juste comme je sors de la tente, une pluie diluvienne se met à tomber. Il est 23h00, et j'avais prévu un stop à cette heure-là. Je rentre dans la voiture, et m'endors. Réveil 30 minutes plus tard. La pluie a quasiment cessé.

Frais comme un gardon, je repars, complètement libéré des douleurs dorsales. En serrant les dents, je parviens à courir sur mes ampoules et je me sens heureux. Je confirme la qualité des kiné à celui qui me les avait conseillés, et il me traite amicalement de tricheur. Jusqu'à 3h00, j'alterne course et marche. Je me sens bien. Je sais que je suis lent, mais ce n'est pas grave.

3h00. Je repars faire un mini-somme dans la voiture. Je me réveille pile trente minutes plus tard, et c'est là que je décide de brancher mon lecteur mp3. Commence alors une période euphorique d'un peu plus d'une demi-heure. J'ai dans les oreilles la musique de ma jeunesse, et elle me fait du bien. Je me mets à courir, plutôt vite d'ailleurs, poussé par les décibels des Pink Floyd, que je n'ai pas écoutés depuis des années. Ils me font toujours le même effet : celui de croire que tout est toujours possible, que quand tu crois que c'est la fin, non, tu trouves toujours en toi les ressources pour ne pas t'arrêter. Je crois qu'ils m'ont sauvé quand j'étais ado. Il m'aident beaucoup, cette nuit-là.

A 4h13 exactement, alors que je marche en silence, retentit le premier chant d'oiseau. J'attends avec impatience le lever du soleil.

Et je marche.

Je ne me demande pas pourquoi. Je n'essaie pas de communiquer avec mes compagnons. Je suis entré dans une sorte d'état nouveau pour moi. Je ne peux pas dire que je jubile, mais j'ai accepté cette douleur aux pieds, et j'avance.

A chaque passage sous le portique de comptage, je fixe le grand tableau d'affichage sur lequel figure mon nom. Tous les 0,661 km exactement, il affiche une distance parcourue plus importante. L'animation musicale revient vers 11h00, les kinés aussi, mais je ne m'y arrête pas. L'ambiance est revenue sur la piste, et malgré le temps pourri, c'est assez joyeux. Je suis tout de même gêné par les coureurs en équipe. Les équipes ont tourné toute la nuit à la vitesse d'avions supersoniques. Une coureuse m'a même bousculé à un moment. Bien sûr elle n'a pas fait exprès, mais bon sang, quand tu marches depuis des heures en essayant d'oublier des douleurs sur lesquelles tu te focalises, quand ton objectif, c'est d'aller sur une ligne la plus droite possible entre deux points d'une courbe, te faire bousculer par une coureuse lancée à pleine vitesse, c'est très agaçant.

A côté du portique se trouvent les équipes, et ceux qui ne courent pas passent leur temps à regarder et commenter les temps de passage. Mon passage des 100 km permet à deux ou trois d'entre eux de se réchauffer les mains en m'applaudissant et m'encourageant gentiment. Juste après le passage du portique, je m'appuie sur l'estrade du speaker. Je n'en peux plus, mais je suis heureux. Depuis des tours et des tours, c'était devenu mon objectif : 100km. Marchant, courant parfois, râlant, rigolant un peu, discutant avec les bénévoles du ravitaillement, je n'avais plus que ça en tête : parcourir au moins 100 km.

C'est fait.

En 21h00.

Il en reste 3.

Magie de la course, incroyable force venue d'on ne sait où, je me remets alors à courir, avec un nouvel objectif : 115 km !

Je sais à ce moment-là que je vis ce que vivent tous ceux qui atteignent un objectif personnel : l'euphorie qui vous donne des ailes. Ca ne dure pas, il faut en profiter. Je le sais, alors j'y vais … à fond. Enfin à environ 7km/h.... Je sais que la famille arrivera dans la dernière heure, et cette perspective me booste. Même quand je marche, je marche vite.

Ils arrivent à 14h00, il me reste une heure. A leur air, je comprends que je n'ai pas l'air frais, et ma fille me demande pourquoi je marche comme ça. J'annonce mon objectif et ils décident de se relayer pour m'accompagner, un tour chacun. Quel bonheur ! Comment tu peux ne pas courir avec de pareils supporters ? Alors je repars en courant, je ne dis rien, je ne leur parle pas, mais que je me sens bien ! Vers 14h20 je franchis enfin le 115 ème km. Alors pour finir la course, pour le plaisir, j'en rajoute un. Mais en marchant, et avec toute la famille, pour leur montrer tous les coins du circuit. Mon grand garçon me traite de vrai fou, son frère dit m'admirer, et leur sœur ne me croit pas. Ca y est, 116 km et le dernier tour s'annonce. Ils me laissent le faire seul avec mes compagnons de course. Je n’essaierai même pas de décrire ce que j'ai pu ressentir au dernier passage du portique. Ce texte sera lu par des gens qui ont tous connu ces moments où, après un effort, tout s'arrête dans un sentiment de plénitude, où les douleurs s'effacent momentanément, où on se sent fort. Ces moments où des gens vous regarde avec incrédulité, en disant que eux ne seraient pas capables de faire ça. Vous savez de quoi je parle.

J'ai écrit en commençant que je garderai en mémoire tout la phase de préparation. Mais c'est sûr : je n'oublierai jamais cette course !

2 commentaires

Commentaire de calou posté le 11-07-2012 à 17:58:35

Merci pour ce beau CR plein d'émotion ! Croire qu'on peut courir des heures durant sans préparation des pieds, j'ai testé aussi... je confirme que ça fait mal ! ;-)

Commentaire de L'Zoreil posté le 14-07-2012 à 23:12:26

C'est sûr: on ne m'y reprendra pas! Je crois bien que je recommencerai cette course, mais pas sans avoir trouvé un podologue compétent!

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